Désinformation sur l'école : vers un « grand remplacement » du personnel « enseignant »

jeudi 27 septembre 2012

La désinformation sur l’école est essentielle au maintien du système actuel. La désinformation se focalise sur la notion de « refondation » de l’école ; celle-ci est comprise par beaucoup comme une restauration de l’école traditionnelle. Il n’en est rien. Il s’agit, au contraire, de parachever la suppression d’un enseignement par discipline au profit d’un enseignement par « activités ». De même le débat sur les postes est biaisé : l’opinion croit que les socialistes vont rétablir les postes d’enseignant supprimés par le gouvernement précédent. Tel n’est pas le cas. Les nouveaux postes, ainsi créés, vont bénéficier à des « assistants d’éducation » et à des « auxiliaires de vie scolaire individualisés » dans le cadre d’une institution scolaire transformée en « lieu de vie », sinon garderie. Pour les enseignants aussi, le temps du grand remplacement est venu ! Claude Meunier-Berthelot fait le point pour Polémia.
Polémia.

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Sont-elles rassurantes, les annonces de création de postes depuis que Vincent Peillon a pris la tête du ministère de l’Education ! 1000, 6000, 60.000… enfin ! C’est un festival de chiffres qui pourraient fleurer bon une renaissance de l’Ecole d’autant que le ministre de l’Education accompagne ses discours de sa tonitruante volonté de « refondation » du système éducatif qui donnerait quasiment à penser qu’il aurait l’intention de redonner du lustre à cette ruine qu’est devenue l’Education nationale.

Encore faudrait-il savoir ce qu’il appelle « refondation » de l’Ecole.

Petite précision sémantique : la « refondation » n’est pas la restauration

En réalité, la « refondation » du système éducatif n’a rien à voir avec sa « restauration ».

Cette « refondation » de l’Ecole n’est pas nouvelle ; elle n’est pas une création originale de Vincent Peillon qui en prend seulement le relais puisqu’elle a pour base la réforme révolutionnaire de Claude Allègre de 1999 sur laquelle tous les ministres se basent depuis, pour la mettre en œuvre et métamorphoser ainsi l’Institution scolaire en lieu de vie.

Cette « refondation » de l’Ecole, du primaire à l’université incluse, est donc déjà bien entamée et il s’agit d’une véritable destruction de l’institution scolaire puisqu’elle vise à supprimer tous les cours pour les remplacer par des activités au cours desquelles l’enfant doit construire son savoir sans obligation de résultat pré-établi, activités réalisées sur la base d’un thème, ersatz de programme.

Travesties sous des appellations qui fassent penser, au contraire, à un souci de faire mieux assimiler des connaissances aux élèves – « accompagnement personnalisé, aide aux devoirs, tutorat, projet personnel de réussite éducative, travaux personnels encadrés, … » –, ces activités sont prévues non en complément des cours, mais en remplacement des cours. Toute idée de transmission des savoirs, d’acquisition de connaissances par un professeur est exclue, toute idée d’identité culturelle, de formation intellectuelle et d’exigences également.

Ceci expliquant cela…

1000 créations de postes dans le primaire ?

Vincent Peillon affirme vouloir donner la priorité à l’enseignement primaire et commence par un vœu pieux : le ministère « souhaite que tout soit mis en œuvre » pour que les CP soient confiés à des professeurs expérimentés ; c’est une annonce qui fait bon effet et dont le public retiendra l’intention, mais un « souhait » n’est ni un arrêté ni un décret, et cette formulation nous laisse augurer que cela restera assurément au stade du souhait, d’autant que la nouvelle philosophie du système éducatif dans le cadre de la « refondation » du système scolaire consiste à balayer le savoir en supprimant les cours.

Par ailleurs, Vincent Peillon prétend créer 1000 postes ; or, 5.700 suppressions de poste dans le primaire ont été votés dans le budget 2012 et, quand il annonce la création de 1000 postes dans le primaire, en réalité, il reste toujours 4.700 suppressions !

6.000 postes dans le secondaire ?

Dans le budget 2012 – donc entériné depuis plus de 6 mois – ont été votées par le gouvernement précédent des coupes budgétaires importantes se concrétisant par 6.550 suppressions de poste d’enseignant.

Vincent Peillon prend la tête du ministère de l’Education et dit « attendre » 6.000 recrutements. Bien qu’ « attendre » ne soit pas « créer », faisons comme si ! Mais… créer à la suite d’une suppression de 6.550 postes, subsiste toujours un déficit de 550 postes.

De plus, les catégories de personnels « recrutés » ne sont pas précisées pour les besoins de l’effet d’annonce et, afin que le public puisse en déduire qu’il s’agit de postes d’enseignant, le ministre « recrute » ! Mais si l’on cherche à approfondir le sujet et que l’on aille à la pêche à l’information, on découvre que sur ces 6.000 recrutements, seulement 280 concernent les professeurs du 2nd degré ! (en moyenne, à peine 3 par département) !

Une majorité de personnels sans aucune qualification…

Alors, quid de l’immense majorité des recrutements annoncés appelés à remplacer les postes d’enseignant supprimés ? Ils concernent des personnels sans aucune qualification : des assistants d’éducation, c’est-à-dire des personnels non diplômés, recrutés sous contrat de droit public pour une durée de 3 ans renouvelables, chargés de surveiller les élèves, d’ « aider aux devoirs », dit le texte. Encore faudrait-il que, dans l’absolu, ces personnels en soient capables et que, par surcroît, des devoirs soient réellement prévus dans le système éducatif en cours de « refondation » !

Parmi ces assistants d’éducation, certains sont également des « auxiliaires de vie scolaire individualisés » (AVSI) chargés d’accompagner les enfants en situation de handicap et qui constitueront une grande partie de ces 6.000 recrutements ; d’autres sont des personnels recrutés via des « contrats aidés » œuvrant également auprès des élèves handicapés et dont les contrats ont une durée variant de 6 à 24 mois.

Pourquoi si peu de professeurs malgré les besoins affichés ?

En réalité, ces assistants d’éducation recrutés massivement et sur-représentés par rapport aux enseignants sont appelés à remplacer les enseignants : ils seront donc amenés à « soutenir » des enfants qui n’auront plus cours ! Car la réalité de la « refondation » de l’Institution scolaire, déjà bien engagée par le précédent ministère et dont Vincent Peillon prend seulement le relais tout en nous laissant croire qu’il se lance dans une concertation pour « refonder » l’Ecole sur des bases totalement opposées, est celle-là !

Ce que l’histoire ne dit pas et qui n’est absolument pas relayé par les médias, c’est que les enseignants, dans leur grande majorité, sont farouchement hostiles à cette révolution de l’Institution scolaire dont ils contestent le bien-fondé et qu’ils rejettent, ce sur quoi les syndicats font bien entendu le silence le plus total, puisqu’ils cautionnent largement cette « refondation »-destruction de l’Institution scolaire.

Aussi, afin d’endiguer les contestations, prévenir les manifestations d’hostilité et permettre la poursuite de la mise en œuvre de cette « refondation »-destruction envers et contre tout, prétendre que les enseignants éprouvent une « souffrance normale » (sic) n’est pas suffisant. Le personnel enseignant, trop critique par rapport à cette « refondation », est « mis sur la touche » par le moyen des suppressions de poste d’enseignant pour remplacer ces enseignants par des personnels incompétents sur le plan scolaire, incapables de remettre en cause le système et donc forcément dociles à cette révolution de l’Institution scolaire qui en détruit tous les fondements.

Tout cela confirme, s’il en était besoin, que ce remplacement du personnel qualifié par des personnels de formation totalement indifférenciée et a minima, traduit la mutation de l’Institution scolaire en centres d’activités et de loisirs nommément désignés du terme de « refondation ».

Et pour les besoins de l’ « enfumage », ces personnels sont fraîchement désignés par Vincent Peillon « emplois-avenir-professeurs » qui passeront dans le moule des IUFM non supprimés mais rebaptisés, pour les mêmes besoins de l’enfumage, « Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation », dans lesquelles continue à être distillé un pédagogisme totalement abscons au détriment de l’enseignement disciplinaire.

Un air de « déjà vu » !

Cette substitution du personnel « enseignant » par du personnel incompétent nous rappelle l’époque où les CES ont été créés pour remplacer les classes de premier cycle des lycées et où les professeurs agrégés et certifiés ont été remplacés par des instituteurs n’ayant aucune formation universitaire et baptisés PEGC (professeurs d’enseignement général des collèges). De ces CES ont été alors systématiquement exclus les étudiants titulaires d’une maîtrise d’enseignement avec, pour motif avoué, « trop de diplômes », donc trop dangereux pour le système en décomposition ; ce tour de passe-passe avait permis d’entériner la chute prodigieuse de niveau des élèves victimes des méthodes globales d’enseignement généralisées à la fin des années 1950 à l’école primaire.

Aujourd’hui, nous sommes toujours dans cette même logique de « substitution du personnel enseignant » pour achever la destruction de l’Institution scolaire programmée dans le plan Langevin-Wallon de 1947, destruction baptisée du terme de « refondation ».

Claude Meunier-Berthelot
25/09/2012

Voir aussi :

« Bas les masques - De la désinformation sur l'école » de Claude Meunier-Berthelot
PISA 2010
Philippe Meirieu prix Lyssenko : Les origines du délire pédagogique
La déroute du CAPES
Présidentielle 2012 : le vrai débat sur l'éducation n'a pas eu lieu

Correspondance Polémia – 27/09/2012

Image : Dans une école primaire, lors de la rentrée scolaire 2011.

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