La déroute du CAPES

mercredi 19 octobre 2011

Le système scolaire va de mal en pis. Sa gestion centralisée débouche sur une catastrophe. L’effondrement des recrutements au titre du CAPES en est une nouvelle preuve. Aux conséquences redoutables : car c’est la qualité des formateurs de demain qui est en cause. Claude Meunier-Berthelot fait le point et repose la question de la liberté scolaire.

Polémia.

Dans la Quinzaine Universitaire du 10/09/11, Claire Mazeron, membre de jury du CAPES d’histoire-géographie, relate des faits qui ne sauraient nous surprendre, dans un article intitulé « Concours de recrutement : soldes avant fermeture »

En effet - et c’est nouveau - tous les postes au CAPES externe 2011 n’ont pas pu être pourvus : en maths, 350 seulement l’ont été sur 950 offerts ; en anglais, 132 sur 790 ; en lettres classiques, 108 sur 185 ; en  éducation musicale : 48 sur 120.

Quid ? Niveau insuffisant et manque de candidats

« Niveau insuffisant » des candidats recrutés… pourtant à BAC+5 (…) malgré des exigences sans cesse revues à la baisse - ce qui ne saurait nous surprendre - ou bien manque de candidats.

« Niveau insuffisant », mais… quelles insuffisances ?

Les examinateurs ne feraient-ils pas preuve de zèle ?

En réalité parler d’insuffisances relève plutôt de l’euphémisme quand il est fait l’inventaire des lacunes des candidats relevées  : orthographe et grammaire élémentaires non maîtrisées, inaptitude à formuler une problématique, incapacité à construire un plan… en plus d’une ignorance des notions disciplinaires de base : ainsi , en géographie, les examinateurs ont pu « apprendre » que la Seine prend sa source dans la Manche pour se jeter sur le plateau de Langres (…) et que l’industrie regroupe les activités liées à l’agriculture et au tourisme ; de même qu’ils ont pu apprécier l’incapacité des candidats à situer Lyon ou Marseille sur une carte de France et à citer les 5 grands fleuves français !

En histoire, les lacunes relevées ont été du même « tonneau » et sur des connaissances que les candidats devront – en principe – « enseigner » aux élèves.

Par surcroît, une absence inquiétante de curiosité intellectuelle des candidats a laissé dubitatifs les jurys sur leur capacité à combler par eux-mêmes les lacunes accumulées afin d’assurer une mission d’enseignement dans de bonnes conditions.

Enseignant : un métier dévalorisé et dévalorisant ?

L’explication donnée de ce marasme est que les meilleurs étudiants désertent ce métier dévalorisant et dévalorisé, phénomène encore plus patent pour les CAPES de mathématiques et de sciences où la pénurie accrue de candidats compétents résulte de leur orientation vers des formations supérieures multiples : dans des grandes écoles ou des écoles spécialisées, qui offrent des débouchés beaucoup plus attractifs que ceux de l’enseignement.

Si l’université veut donc encore accueillir des candidats à l’enseignement, elle doit donner libre accès à ceux issus de bacs professionnels ou technologiques dont les bases seraient plus fragiles et dont la formation préparerait mal à des études abstraites.

De fait, beaucoup de candidats au CAPES d’histoire-géographie issus des bacs STG et STI et n’ayant pas été acceptés dans le BTS de leur choix – c’est-à-dire, par surcroît, les moins bons d’entre eux – auraient choisi, par défaut, l’université où ils sont admis sans aucune sélection.

Soit ! Mais, est-ce suffisant pour justifier une telle indigence intellectuelle à « bac+5 » ?

Il faut rappeler que le bac est obtenu, pour une grande partie des candidats, grâce à une série d’artifices divers et variés : sujets de plus en plus faciles, corrections très lâches qui font fi des exigences les plus élémentaires autant dans la forme que sur le fond, pressions sur les examinateurs, coefficients exagérément gonflés dans les disciplines dans lesquelles les candidats ont le plus de chance d’avoir de bonnes notes même si ce n’est pas une discipline fondamentale, etc., et il est évident qu’en trois mois de vacances, le miracle ne peut se produire et qu’au moment de l’entrée à l’université, beaucoup de postulants aux études universitaires sont quasiment incultes.

Les classes préparatoires, c’est-à-dire les classes qui accueillent les meilleurs étudiants, prévoient des modules d’expression écrite pour reprendre les bases nécessaires en orthographe et forment, de manière intensive, les candidats à la dissertation.

C’est donc dire que ces meilleurs d’entre eux ont les mêmes lacunes que les autres quand ils abordent les études supérieures et que, s’ils entraient à l’université, ils auraient à la sortie les mêmes lacunes que celles constatées chez les candidats au CAPES recrutés à bac+5 car, si certaines universités inscrivent des modules d’expression écrite pour reprendre les bases nécessaires en orthographe, très peu forment les étudiants à la dissertation, c’est-à-dire qu’ils sont et resteront incapables d’exprimer et d’organiser leur pensée faute d’y avoir été « entraînés ». Pour de futurs « enseignants », cela peut paraître très embêtant !

« Du passé, faisons table rase »

Les lacunes constatées remontent donc à la fois à l’enseignement primaire et à l’enseignement secondaire.

Par surcroît, les professeurs d’université privilégient systématiquement le travail dit « de recherche » au détriment de la transmission du savoir : « Du passé, faisons table rase ».

Or, le travail de recherche est un travail de vrai universitaire et, pour être productif, suppose une solide formation intellectuelle : avoir une véritable culture, savoir lire un texte, savoir en analyser son contenu, savoir trier l’information, savoir faire la synthèse des éléments recueillis, ce qui suppose de savoir organiser sa pensée et la formuler.

Comment ces étudiants, qui n’ont pas acquis les connaissances et la formation de base, peuvent-ils se métamorphoser en étudiants « chercheurs » ?

L’école-lieu de vie

Corrélativement, la plupart des universités ont abandonné une bonne partie de l’enseignement disciplinaire et certaines grandes facultés de géographie ne proposent plus de modules de géographie de la France, ceci, dans la foulée de ce qui se pratique et se pratiquera de plus en plus dans les lycées-lieux de vie, en application de la réforme des lycées de 2009 : nous restons donc bien dans la logique du système de l’école-lieu de vie, objet de la refondation de l’école dont Nicolas Sarkozy se fait le chantre.

L’indigence intellectuelle constatée ne vient donc pas tant du recrutement des étudiants d’université que du système éducatif totalement dévoyé du Primaire à l’Université et les examinateurs se trouvent face à cette alternative : pourvoir tous les postes avec des « incultes » ou laisser les postes à la merci de recrutement de « vacataires », avec un résultat tout aussi hypothétique.

Aussi facile à résoudre que la quadrature du cercle, le député Grosperrin propose de supprimer les concours au profit d’un recrutement direct, sur master, par les chefs d’établissement, autrement il s’agit de proposer une libéralisation de l’offre éducative.

Libéraliser la demande éducative

Pourquoi pas ?

Mais alors, une évidence s’impose, Monsieur le Député : si l’offre éducative se libéralise, cela suppose de libéraliser aussi la demande éducative en donnant à tous les parents les moyens de la liberté de choix de l’école de leurs enfants, du Primaire à l’Université.

Le résultat d’un sondage IFOP réalisé en 2010 est sans ambiguîté : c’est ce que 74% des parents attendent.

Claude Meunier-Berthelot
15/10/2011

Voir aussi :

« Bas les masques - De la désinformation sur l'école » de Claude Meunier-Berthelot
PISA 2010
http://www.fondationpourlecole.org/fr/important/sondage-exclusif-ifop-fpe-juin-2010-ce-que-pensent-vraiment-les-francais-de-l-cole.html

Correspondance Polémia – 19/10/2011

Image : IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres)

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