« Les rêves de mon père / L'histoire d'un héritage en noir et blanc »
Par Barack Obama (autobiographie)

samedi 20 décembre 2008

C’est sans doute un livre incontournable si l’on veut mieux connaître le nouveau président américain. En refermant cet ouvrage, on ne peut s’empêcher de penser : c’est du Jean-Jacques Rousseau. Non pas le Rousseau théoricien du « Contrat Social » mais celui des « Confessions ». Le livre déborde de sentimentalité, dans un mélange étonnant de ressentiment et d’humanitarisme. Le mot « larmes » est un des plus utilisés. Les mots « moi » et « je » reviennent de façon lancinante : dix fois dans les vingt premières lignes !

Il est impossible de trouver un quelconque programme politique ou même des convictions affirmées dans ce livre. A chaque fois qu’il pourrait se dévoiler, Obama se masque : c’est très net sur la religion. Il laisse sans arrêt entendre qu’il est un « laïc » : « Je restais irrémédiablement sceptique, plein de doutes quant à mes propres motivations, méfiant envers toute conversion, ayant trop de différends avec Dieu pour accepter un salut trop aisément gagné », écrit-il ! Mais il montre aussi qu’il pleure à l’église, ému par les gospels : ainsi, personne ne s’opposera à lui.

Sa sensibilité courageuse de « travailleur social » est à vif (p. 319) : il fait une allusion claire à une sorte de lutte des classes qui existe dans le monde entier. Sa mère a rencontré son père à des cours de russe à Hawaï dans les années 1958 : s’intéresser au russe à cette époque pour un Noir du Kenya (le père d’Obama) et pour la mère d’Obama trahit fort probablement un intérêt pour le communisme ! Mais ses parents comme lui-même sont des pragmatiques et non des idéologues. Obama vit avec sa mère et des grands-parents maternels « libéraux » (plutôt à gauche) mais sans doctrine précise.

En tout cas, le livre n’est clair que sur un point : Obama a choisi son identité, elle est noire : « Notre fierté noire », écrit-il (p. 266). Le sous-titre du livre montre la fascination pour son père noir qu’il a à peine connu. Il faut dire que sa mère blanche est aussi une passionnée des Noirs et de leurs luttes : elle déclare d’ailleurs à son deuxième mari indonésien : « Les Américains, ce n’est pas mon peuple » (p. 82) ! Quant à Obama, à aucun moment il ne montre de l’amour pour les Etats-Unis : il dit toujours qu’il aime « le rêve américain », ce qui n’est pas à proprement parler une patrie charnelle ! Cette dernière serait plutôt au Kenya où il revient retrouver ses racines à la fin du livre. Le livre trahit une véritable obsession du problème racial. Mais, bien qu’en contact fréquent avec les nationalistes noirs, y compris islamistes comme ceux de Farrakhan, il rejette le nationalisme et son racisme. La page où il évoque sa rupture avec une amie blanche est toutefois étonnante. Son amie s’énerve de ce que les Noirs en veulent aux Blancs : Obama dit que c’est justifié et compare alors l’esclavage noir à l’Holocauste des juifs et l’amie s’indigne de la comparaison : « On a eu une grosse engueulade devant le théâtre. Dans la voiture, elle s’est mise à pleurer. Elle m’a dit que même avec la meilleure volonté du monde, elle ne pourrait jamais être noire, elle ne pourrait être qu’elle-même. »

Le passage sur l’Europe a de quoi nous faire réfléchir mais aussi faire réfléchir les Américains (il est plus difficile de réfléchir que de voter, semble-t-il !). « C’était ainsi que je m’étais senti pendant tout mon séjour en Europe : chatouilleux, sur la défensive (…) ce n’était pas du tout ce que j’avais envisagé au départ. Cette escale devait être un simple détour, une récréation (…). A la fin de la première semaine, j’avais compris que j’avais commis une erreur : non pas parce que j’étais déçu de la beauté de l’Europe, au contraire, tout était exactement comme je l’avais imaginé. Simplement, ce n’était pas à moi. J’avais eu le sentiment de vivre l’histoire sentimentale de quelqu’un d’autre ; le côté incomplet de ma propre histoire se dressait entre moi et les sites que je voyais (la Tamise, le Jardin du Luxembourg à Paris, la Plaza Mayor à Madrid, le Palatin à Rome) comme un épais panneau de verre. » (*)

Dans cette autobiographie, Obama a l’honnêteté de ne pas taire des anecdotes qui témoignent d’un racisme anti-blanc, lorsqu’il se réjouit dans un musée de voir des têtes de Blancs réduites par des Indiens, ou lorsqu’il ricane avec ses voisins lorsqu’un Blanc est obligé par eux de ramasser les crottes de son chien « sur leur trottoir » (sic !).

Mais le plus beau message du livre est délivré par un Noir conseiller d’éducation de lycée, Asante Moran, qui explique le drame des Noirs américains par leur déracinement : « Pour l’enfant noir, tout marche sur la tête. Dès le premier jour (aux USA) qu’est-ce qu’on lui apprend ? L’histoire de quelqu’un d’autre, la culture de quelqu’un d’autre. Et ce n’est pas tout : cette culture qu’il est censé apprendre, c’est celle qui le rejette » (p. 348) ; il décide donc de leur enseigner l’Afrique : « S’ils ne sont pas enracinés dans leur propre tradition, ils ne seront pas en mesure d’apprécier ce que les autres cultures ont à leur offrir. » Obama ne commente pas ce texte avec lequel il ne semble pas en désaccord, même si son choix politique est autre.

Son livre donne à penser : On voit en gros et en détail les malheurs apportés par le déracinement des hommes ! Obama semble d’ailleurs hésiter en permanence entre ses racines préférées (au Kenya, semble-t-il) et un engagement politico-social de type idéologique universaliste, « le rêve américain » (qui pour lui n’a rien à voir avec la culture européenne !). A la place où il est, il n’a plus guère le choix !

Yvan BLOT
Polémia
15/12/08

(*) Sur l’intérêt porté par Obama à l’Europe, voir l’article « Obama, les mollahs et le “big bargain” » à :
http://www.polemia.com/article.php?id=1798

Barack Obama, « Les rêves de mon père / L’histoire d’un héritage en noir et blanc », Points, 571 p., 27,80 euros.

Cette critique de l’autobiographie d’Obama sera publiée dans le numéro de janvier de « Politique Magazine ».

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