L\'ethnicisation des comportements électoraux

samedi 25 octobre 2008

Le vote est un phénomène psychologique complexe : c’est un acte personnel qui s’inscrit dans des démarches collectives, des cultures familiales et des traditions religieuses et/ou géographiques ; même quand le scrutin est libre, l’électeur vote rarement indépendamment des siens.

En France, toutefois, à la différence de ce qui se passait dans les pays anglo-saxons ou même en Belgique, les campagnes électorales ont longtemps ignoré le facteur ethnique.
Ce n\'est plus le cas aujourd’hui.
La logique de la diversité a conduit à une ethnicisation des listes et des candidatures aux élections municipales alors que l’élection présidentielle a révélé un clivage ethnique du vote excessivement marqué.

L’ethnicisation des listes municipales

Dans les villes grandes et moyennes, en mars 2008, les listes des principales formations politiques ont été composées à l’identique : la dictature du politiquement correct a débouché sur l’abandon du mérite républicain au profit des quotas raciaux ; les listes composées sur le principe du chabadabada ethnique se sont multipliées.

Les candidats opposés se sont même parfois livrés à de dérisoires surenchères : à Amiens, Gilles de Robien déclarait : « Il y a beaucoup de candidats issus de la diversité sur ma liste » pour tenter de faire pièce au candidat socialiste qui affirmait : « Mon équipe municipale est à l’image de l’équipe de France : black-blanc-beur » ; le tout sur la télévision en ligne islamiste oummah.com‑TV.

Des icônes médiatiques ont même été parachutées têtes de liste comme Razzye Hammadi à Orly, Rachida Dati dans le VIIe arrondissement de Paris ou Rama Yade, à Colombes, en numéro 3 sur la liste de la maire sortante.

Les succès électoraux n’ont pas toujours été au rendez–vous.

L’ethnicisation des programmes

La pression des associations ainsi que des milieux culturels et cultuels a pesé sur les annonces de politique municipale. Des engagements ont été demandés sur les politiques sociales et les subventions, d’un côté, la promotion des droits religieux, de l’autre : grandes mosquées, repas halal dans les cantines scolaires et carrés musulmans dans les cimetières.

Globalement, le vote des quartiers de l’immigration a plutôt bénéficié à la gauche réputée plus généreuse en matière d’aides sociales. C’est ainsi qu’à Colombes la mobilisation des quartiers de l’immigration a fait battre le maire sortant UMP qui avait coupé certains robinets d’aide sociale ; la présence de Rama Yade sur la liste n’a en rien changé la donne : une jeune femme glamour, d’origine sénégalaise, née musulmane mais éduquée dans une école catholique et mariée à un juif sioniste, n’offrant peut-être pas le meilleur profil pour de nombreux électeurs… arabo-musulmans.

Toutefois, bien des maires UMP ou Modem ont recueilli le bénéfice de leur clientélisme.

Le cas le plus frappant est celui de Rodolphe Thomas à Hérouville-Saint-Clair dans le Calvados. Alors que Ségolène Royal avait réalisé 67‑% des suffrages à l’élection présidentielle, ce maire Modem a été réélu dès le premier tour avec 53‑% des voix : face à une liste socialiste d’inspiration plutôt laïque, les imams avaient fait passer des consignes en faveur du maire sortant qui s’étant fortement impliqué dans le projet de grande mosquée architecturale prévue à Hérouville-Saint-Clair ; il y a derrière ce résultat un risque de surenchères en faveur de revendications sociales et sociétales communautaires.

L’exemple de Mantes-la-Jolie est aussi intéressant : là où Ségolène Royal avait recueilli 60‑% des voix, le maire sortant parvient à être réélu dès le premier tour avec 52‑% des suffrages : le clientélisme ethnique a porté ses fruits ; l’électorat turc a été courtisé avec des tracts en turc et les « jeunes des quartiers », deux d’origine noire, deux d’origine maghrébine, se sont vu offrir quatre mandats d’adjoints avec des délégations « de clientèle » : la jeunesse et les sports, l’action sociale et la prévention, la vie scolaire et la petite enfance, les relations internationales et l’action civique ; et la délégation à la santé a aussi été confiée à un conseiller municipal issu de l’immigration. Michel Vialay, le maire UMP réélu, a d’ailleurs tenu les promesses faites à la communauté turque. À l’occasion de la Fête nationale turque, plusieurs centaines de personnes ont été autorisés à défiler dans les rues de Mantes, en tenue militaire traditionnelle avec sabre et sous les drapeaux du Millis Gorus parti islamiste défendant la Voie nationale religieuse comme nous l’apprend l’observatoire de l’islamisation.

Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de mai 2007, tous les candidats, de Le Pen à Besancenot en passant par Sarkozy, Bayrou et Royal, ont d’ailleurs courtisé le vote ethnique. Mais, alors qu’aux élections municipales, celui-ci a pu s’exprimer de manière diversifiée, en fonction de considérations locales et de liens clientélistes particuliers, il n’en a pas été de même lors de l’élection présidentielle : alors que les votes sociologiques et géographiques se sont relativement partagés, le vote des minorités ethniques issues de l’immigration s’est, lui, massivement porté sur la gauche et l’extrême gauche.

Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’en soi un vote serait meilleur qu’un autre, ni de reprocher aux électeurs issus de l’immigration leurs choix politiques individuels ou collectifs. Simplement, le vote est un instrument supplémentaire permettant de mesurer si les comportements des minorités se rapprochent ou non de ceux de la majorité. L’exemple de l’élection présidentielle de 2007 montre une divergence majeure entre les Français dans leur globalité et les minorités.

Présidentielle 2007 : l’émergence du « vote ethnique »

Toutes les analyses électorales essaient de prendre en compte, comme facteur explicatif du vote, des données sociologiques ou économiques ou des traditions géographiques. Bien sûr, il ne s’agit pas de déterminisme individuel mais de probabilités statistiques. Un titulaire de haut revenu, habitant Neuilly, peut voter socialiste et une infirmière ariégeoise opter pour l’UMP. Ces cas existent mais ce ne sont pas les cas les plus… fréquents.

Il en va de même pour l’explication par le vote ethnique, analyse statistique des comportements électoraux prenant en compte les appartenances religieuses ou ethnoculturelles. Il y a, bien sûr, de pieux musulmans qui ont choisi Sarkozy et des étudiants d’origine africaine qui ont voté Le Pen. Simplement, il ne s’agit pas là des comportements électoraux les plus courants.

Or, à l’occasion de l’élection présidentielle française d’avril 2007, l’appartenance communautaire semble avoir pesé plus lourd que d’autres critères habituels dans la différenciation et la structuration du vote.

Vote musulman au premier tour 2007 : Royal 64‑%, Sarkozy 1‑%, Le Pen 1‑%

Le journal La Croix a commandé un sondage CSA/Cisco effectué à la sortie des bureaux de vote, le 22 avril 2007. Ce sondage a porté sur 5 009 personnes. Sur ce total, 5‑% des sondés ne se sont pas prononcés, 25‑% se sont déclarés « sans religion », 30‑% se sont déclarés « catholiques pratiquants réguliers ou occasionnels », 34‑% « catholiques non pratiquants », 2‑% « protestants », 1‑% « juifs » et 3‑% « musulmans ».

Le vote des 150 électeurs s’étant déclarés « musulmans » est radicalement différent de celui de l’opinion moyenne : on trouve en effet 14‑% de vote d’extrême gauche (au lieu de 9,5‑%) et 64‑% de vote Royal (au lieu de 25,9‑%) ; soit un total gauche/extrême gauche de 78‑%, à comparer à un score national de 35‑%. A contrario, Jean-Marie Le Pen ne recueille que 1‑% au lieu de 10,4‑% en moyenne nationale ; le même chiffre de 1‑% se retrouve pour Nicolas Sarkozy, soit trente fois moins que sa moyenne nationale !

Il est clair, dans ces conditions, que même si le sous-échantillon des électeurs musulmans est réduit (150), les écarts de vote déclarés sont tels qu’ils sont indubitablement significatifs.

Certes, ces chiffres ne recoupent pas complètement ceux du vote ethnique issu de l’immigration dans la mesure où certains immigrés ne sont pas musulmans (mais catholiques ou d’autres religions) et que d’autres, même lorsqu’ils sont issus d’une immigration en provenance des pays musulmans, ont pu se déclarer « sans religion ».

Il n’en reste pas moins vrai que, dans le cas des électeurs se déclarant musulmans, il y a une corrélation étroite entre leur appartenance religieuse annoncée et leur vote contre les deux candidats ayant fait le plus référence, dans leur programme et dans leurs discours, aux thèmes de l’identité nationale et de la lutte contre l’insécurité ; thématiques qui ont été, a contrario, déterminantes dans le choix de leurs électeurs, selon le sondage TNS-Sofres, réalisé lui aussi le jour du vote .

L’analyse géographique du vote confirme d’ailleurs ce point de vue.

Vote des villes phares de l’immigration : Royal entre 60‑% et 70‑%

L’enquête d’opinion Ipsos/Dell, réalisée le 6 mai 2007 auprès de 3 609 personnes sur leurs motivations de vote et sur leurs appartenances révèle la diversité sociologique des électorats.

Ainsi on peut opposer le vote des travailleurs indépendants, à 77‑% pour Nicolas Sarkozy, à celui des chômeurs, à 75‑% pour Ségolène Royal. Mais il ne s’agit là que du clivage politique issu du clivage économique le plus marqué. Au regard d’autres critères, les divergences entre électorats sont nettement moins fortes. Ainsi chez les « sans diplôme », Nicolas Sarkozy obtient 51‑%, ce qui est proche de sa moyenne nationale ; et chez les foyers au niveau de revenu modeste, il n’obtient que 44‑% des voix, ce qui représente une décote certaine mais néanmoins limitée à 20‑% par rapport à sa moyenne nationale. En revanche, les clivages géographiques sont beaucoup plus marqués.

Ainsi les villes dont les noms ont été associés aux émeutes des quartiers à forte présence de l’immigration, en 2005 ou lors d’épisodes de violences antérieurs, ont toutes voté à 60‑% ou plus pour Ségolène Royal : dans les Yvelines, Mantes-la-Jolie (59,56‑%), Les Mureaux (60,96‑%), Trappes (70,33‑%) ; en Essonne, Grigny (64,60‑%), Les Ulis (65,97‑%) ; dans les Hauts-de-Seine, Nanterre (61,98‑%), Bagneux (64,05‑%), Gennevilliers (68,97‑%) ; en Seine-Saint-Denis, Clichy-sous-Bois (61,70‑%), Épinay-sur-Seine (60,58‑%), Saint-Denis (67,94‑%), La Courneuve (64,19‑%), Montreuil (67,66‑%) ; dans le Val-de-Marne, Ivry (66,31‑%) ; dans le Val-d’Oise, Garges-lès-Gonesse (61,55‑%) ; dans le Calvados, Hérouville-Saint-Clair (67,43‑%) ; dans l’Isère, Saint-Martin-d’Hères (61,33‑%) ; dans le Rhône, Vaulx-en-Velin (64,03‑%), Vénissieux (60,67‑%).

Vote des quartiers ethniques : Royal à 80‑%

Or ces chiffres ne donnent qu’une idée imparfaite de la réalité du vote ethnique : chaque ville est en effet composite et souvent les votes y sont différenciés selon les quartiers. Une analyse fine par bureau de vote révèle que, dans les cités ou les quartiers à très forte présence de l’immigration, la cote de Ségolène Royal atteint souvent près de 80‑%.

Ainsi la commune UMP de Mantes-la-Jolie a donné en moyenne 59,58‑% pour Ségolène Royal mais celle-ci ne réalise que 39,97‑% des suffrages en centre-ville alors qu’elle atteint 82,06‑% au Val Fourré, selon les données communiquées sur le site internet de la ville.

Des phénomènes comparables s’observent ailleurs : à La Courneuve, la moyenne de 64,19‑% pour Ségolène Royal cache des pointes à 80,17‑% et 79,54‑% dans les bureaux de vote Robespierre et Paul-Langevin ; de même, à Gennevilliers, le score de 79,26‑% est atteint aux Grésillons, quartier de très forte et très ancienne implantation de population musulmane.

Toujours dans le département des Hauts-de-Seine, alors présidé par Nicolas Sarkozy, les résultats de la commune à direction centriste-sarkozyste de Villeneuve-la-Garenne sont intéressants : Ségolène Royal y obtient 56,95‑% des suffrages, moyenne cachant des scores nettement inférieurs à 50‑% dans les bureaux de vote du centre et surtout de la cité Jean-Moulin. Ces grandes barres d’immeubles peuplées en majorité par des catholiques et des israélites n’accordent que 39‑% à 42‑% des suffrages à Ségolène Royal, chiffres compensés par les scores obtenus au Fond de la Noue (72‑%) et surtout au bureau de vote Coubertin (78‑%). Ce dernier cas est particulièrement intéressant, car ce bureau de vote dessert le grand ensemble La Caravelle qui a fait l’objet de considérables travaux de rénovation financés par l’État, le Conseil régional d’Île-de-France et le Conseil général des Hauts-de-Seine dans le cadre du très ambitieux programme Banlieue 92. L’abondance des crédits consacrés à cette zone n’a donc pas eu d’effet notable sur le vote, qui reste manifestement un vote ethnique de gauche, de protestation et de rejet du candidat de droite.

Le fait qu’il reste encore dans ces quartiers des électeurs d’origine européenne (portugaise ou franco-française) n’invalide pas l’analyse mais la renforce : d’abord, parce que certains d’entre eux sont en voie de désocialisation et sont donc assez portés à l’abstention ; tandis que d’autres, subissant l’emprise des éléments majoritaires les plus turbulents, s’intègrent au modèle dominant, y compris dans leur vote. Reste qu’une partie de ces électeurs d’origine européenne persistent à s’opposer à l’opinion majoritaire du quartier en apportant leurs voix aux candidats qui leur paraissent les moins favorables à l’excès d’immigration, votant ainsi avec leurs mains en attendant, souvent, de voter avec leurs pieds (en déménageant). Une analyse encore plus fine de la géographie des votes pourrait sans doute permettre de vérifier l’hypothèse selon laquelle c’est cette catégorie d’électeurs qui fournit le gros du vote résiduel des quartiers de l’immigration en faveur de Le Pen ou Sarkozy.

Français de l’étranger : fort vote Royal dans les pays d’Afrique et du Maghreb

Le vote des Français de l’étranger a fait l’objet de deux commentaires principaux : le doublement du nombre des votants par rapport à 2002 (340 093 exprimés en 2007 ; 166 612 en 2002) ; le rapprochement de leur vote avec le vote général des Français (53,99‑% pour Nicolas Sarkozy en 2007 ; 58,55‑% pour Jacques Chirac en 1995).

Reste que ces tendances générales cachent des différences majeures d’un pays à l’autre, reflétant la diversité d’origine et d’activité des Français de l’étranger.

Schématiquement, on trouve en effet trois grandes catégories d’électeurs français de l’étranger : des expatriés économiques présents notamment en Chine, aux États-Unis, en Grande-Bretagne (pays où les électeurs ont voté à plus de 60‑% pour Nicolas Sarkozy) ; des Français vivant dans le pays de leur conjoint, notamment en Europe ; des Français binationaux, issus de l’immigration ou ayant des liens historiques avec le pays dans lequel ils résident.

On observe, pour ce dernier cas, des situations très contrastées : ainsi, les électeurs français d’Algérie ont voté à 80,5‑% pour la candidate socialiste, ceux de Tunisie à 70,5‑%, de Turquie à 66,4‑%. Des scores élevés pour Ségolène Royal ont aussi été enregistrés au Burkina-Faso (61,1‑%), au Mali (69,3‑%), aux Comores (67,7‑%). A contrario, les électeurs français du Portugal n’ont accordé que 50,3‑% de leurs suffrages à Ségolène Royal.

Quant aux électeurs français vivant dans des pays placés au cœur de la tourmente moyen-orientale, ils ont massivement apporté leurs suffrages à Nicolas Sarkozy : électeurs d’Arménie (79,8‑%), du Liban (71,5‑%), d’Israël (90,7‑%), de Jérusalem (87,0‑%).

Vote des banlieues de l’immigration : l’échec de la tentative de séduction de la droite

Le vote de l’immigration a été courtisé par Nicolas Sarkozy qui s’était engagé pour la discrimination positive, contre la double peine et qui, en son temps, avait fait part de ses réserves à l’égard de la loi sur le voile islamique ; le tout après avoir créé le Conseil français du culte musulman (CFCM). Ces démarches, pas plus que la promotion d’un « préfet musulman » (disparu d’ailleurs aussi rapidement qu’il était apparu) ou la nomination de sa conseillère Rachida Dati comme porte-parole de sa campagne n’ont porté leurs fruits en termes électoraux ; bien au contraire, tous les indices étudiés montrent que les banlieues de l’immigration ont massivement voté contre Sarkozy.

Les tentatives de Jean-Marie Le Pen allant sur la dalle d’Argenteuil courtiser le vote beur ou celles de sa fille Marine à Aulnay-sous-Bois se sont, elles aussi, terminées par un fiasco électoral, les propos tenus ayant contribué à semer le trouble dans l’électorat de base du Front national sans avoir apporté d’électeurs nouveaux.

Vote des banlieues de l’immigration : la réussite de la structuration d’un vote d’hostilité

Le vote ethnique tel qu’il est ressorti des urnes n’a pas été spontané, il a été structuré. D’abord, lors de l’intense campagne visant à l’inscription des jeunes sur les listes électorales. Campagne civique dont le slogan était « Inscris-toi sur les listes électorales avant le 30 décembre. Je vote, tu votes, il vote, elle vote, nous votons, vous votez ; ils [Sarkozy + Le Pen] dégagent ! » Le jour du vote, certaines associations avaient même organisé des jeux, des fêtes ou des repas communautaires auxquels on ne pouvait participer qu’en montrant sa carte d’électeur dûment tamponnée : Serge Moati l’a montré dans un reportage sur Montpellier.

Le vote ethnique a d’abord été un vote « contre », qui a d’ailleurs été un vote politique utile, se portant massivement sur Ségolène Royal dès le premier tour. Cette campagne anti-Le Pen/anti-Sarkozy a été intensément relayée par les associations et les médiateurs sociaux. D’autant plus qu’étaient aux manettes de la campagne de Ségolène Royal : Julien Dray, Jean-Louis Bianco, Jean-Christophe Cambadélis, trois orfèvres de la lutte antiraciste qui ont joué un rôle déterminant, durant les années Mitterrand, dans la diabolisation du Front national et la séparation de la droite de l’extrême droite.

Mais ce vote a aussi été influencé par les leaders des communautés ethniques : les rappeurs ou le footballeur Lilian Thuram à l’attention des Franco-Africains ; l’amuseur Djamel ou des responsables associatifs comme Fouad Alaoui en direction des arabo-musulmans ; le secrétaire général de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) déclarant, le 14 avril 2007, lors de la Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF) : « J’espère que Nicolas Sarkozy prend conscience du mal qu’il a causé à des millions de Français musulmans ; M. Sarkozy, vous nous avez fait mal ! » Ce qui était à tout le moins une consigne de vote, qui fut d’ailleurs reçue cinq sur cinq.

Vote ethnique, vote signifiant

Cette prise de position de l’UOIF est significative : elle fait clairement allusion aux déclarations de Nicolas Sarkozy sur « la racaille » ou « le Kärcher ». Elle en est la riposte. Par là même elle montre – et c’est un problème majeur – la solidarité de fait qui s’établit trop souvent entre les voyous qui troublent la paix civile dans les cités et une partie des communautés dont ils sont proches.

Ne nous y trompons pas, la mobilisation du vote ethnique, d’abord par l’inscription sur les listes électorales puis par l’orientation très majoritaire du choix exprimé, est moins la conséquence de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de 2002 que des émeutes de l’automne 2005. Par la violence ou par le vote, il s’agit dans les deux cas de peser et de faire pression sur le reste de la société française ; pour différentes raisons, et notamment dans le souci de protéger une économie de rentes : rente des trafics pour les uns, rente sociale pour les autres .

On ne peut nier, en effet, la composante « protection de l’assistanat » dans le vote ethnique contre Nicolas Sarkozy (promoteur de « la France qui se lève tôt ») et en faveur de Ségolène Royal (porte-parole d’une politique compassionnelle et redistributive) : l’élection de l’un ou de l’autre étant susceptible, à tout le moins dans l’esprit des électeurs, d’influer sur les politiques de répartition et sur la plus ou moins grande générosité de l’État providence.

Quel avenir pour le vote ethnique en France ?

Pour la première fois en France, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007, le vote ethnique s’est manifesté de manière puissante. Il n’a pas changé le sens du scrutin mais il a atténué l’écart entre Royal et Sarkozy ; sans le vote ethnique, la différence de 6 points qui les sépare aurait pu monter à 10.

À cette occasion, le vote ethnique a montré son existence et son rôle potentiellement déterminant – déterminant sauf si d’autres composantes de la population, y compris la composante majoritaire, agissaient de même pour le contrer.

Reste que si le phénomène a été peu commenté (politiquement correct oblige) il a été observé par les acteurs politiques, d’autant qu’il a été suivi par une série de nuits d’émeutes : 730 véhicules brûlant (« comme pour un 14 Juillet ou une Saint-Sylvestre ») dans la nuit de l’élection de Nicolas Sarkozy, 855 étant incendiés au cours des trois nuits suivantes, selon les statistiques de la Direction générale de la police nationale (DGPN). Là aussi, il y a eu consensus pour peu commenter les faits et même carrément les minorer : dans les médias, pour éviter de contribuer à la contagion des faits par la production d’images ; à droite, pour éviter d’inquiéter la partie la plus frileuse de l’électorat ; à gauche, pour tenter de s’épargner un désastre électoral aux élections législatives en montrant la violence sauvage de certains de ses partisans. Reste que c’est la première fois depuis les périodes révolutionnaires que des émeutes en chaîne contestent le résultat d’une élection démocratique en France.

Toutefois, tout porte à estimer que le vote ethnique, d’un côté, les émeutes ethniques, de l’autre, conduisent à tenter de donner toujours plus de gages et d’avantages aux groupes communautaires dont sont issus leurs auteurs.

À terme, on peut penser qu’aux élections municipales (2014, 2020 ?) des listes ethniques se constitueront et que des municipalités islamiques pourront être élues, en Seine-Saint-Denis notamment.

Mais ce cas de figure n’est pas forcément le seul à envisager : des élections au scrutin majoritaire se jouent souvent à la marge, ce qui peut conférer un formidable pouvoir de pression à des minorités décidées à s’en servir ; celles-ci, sans chercher à gagner directement des élus, peuvent user du bulletin de vote pour obtenir des avantages de l’un ou l’autre camp, y compris de celui qui n’est pas forcément le bénéficiaire du plus grand nombre de leurs voix. Paradoxalement, à la dernière élection présidentielle, en se portant massivement sur Ségolène Royal, qui a subi une défaite, le vote ethnique s’est aussi érigé en interlocuteur revendicatif vis-à-vis du vainqueur Nicolas Sarkozy. Avec un certain succès, d’ailleurs.

Polémia
23/10/08

Texte extrait de « Immigration : L’illusion de l’intégration », ch. 4, édition Polémia, septembre 2008

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