L’Eglise entre immédiateté et éternité

mardi 17 mai 2005
Véritable tsunami cathodique plus encore que catholique, l’hypermédiatisation mondiale de l’agonie et des obsèques du pape Jean Paul II a frappé les esprits. Cette hypermédiatisation s’explique : c’est l’un des phénomènes dominants de notre époque dont Jean Paul II, athlète de Dieu, avait su jouer depuis l’origine de son pontificat. Conscient des limites de l’appareil écclésial – comme de tout appareil politique, syndical ou associatif, dans la dernière partie du XXème siècle, le pape Jean-Paul II avait choisi d’utiliser les médias pour faire passer le message de l’Église, tel qu’il le concevait et tel qu’il lui paraissait possible de le faire connaître au monde :
- ouverture aux autres religions, d’un coté, avec la réunion interreligieuse d’Assise, le dialogue avec le judaïsme, le baiser au Coran et la repentance ;
- fermeté doctrinale, de l’autre, avec la défense des valeurs de la morale traditionnelle catholique et d’une éthique sexuelle rigoureuse.

Sans doute les stratèges du Vatican estimaient-ils qu’il fallait des alliés pour livrer le combat essentiel à leurs yeux sur les valeurs, combat qui suscitait une forte hostilité de mouvements féministes, homosexuels militants et laïcs ultras. Ces alliés nécessaires, le Vatican les a trouvés auprès des représentants d’autres grands cultes et dans les milieux médiatiques à qui le discours d’ouverture aux autres religions et de repentance convenait, car au fond, il était « politiquement correct ».

C’est dans ces conditions que la mort de Jean Paul II a donné aux médias dominants l’occasion de tenter une OPA sur l’Église en cherchant à peser sur ses choix futurs.
Deux arguments étaient développés :
1. il ne faut pas laisser retomber l’émotion mondiale suscitée par la mort de Jean Paul°II mais répondre à l’attente de l’opinion et ouvrir davantage l’Église à l’air du temps ;
2. le nouveau pape, pour ne pas décevoir, devra engager un profond mouvement de réforme.

Cette campagne était relayée, pays par pays, et médias par médias, par des interviews de théologiens, d’évêques ou de cardinaux réputés « progressistes ». En fait, le pouvoir médiatique voulait s’inviter au concile.
Le Cardinal Ratzinger et le cardinal camerlingue Sodano ont sifflé la fin de la récréation en rappelant aux Cardinaux l’obligation de secret dès que le pape eut rejoint sa dernière demeure et y compris sans attendre le concile pour les assemblées ecclésiales qui le précédait. Ce rappel à l’ordre fut décisif pour la suite des événements.

Il n’empêche que via le Corriera de la Serra on a retrouvé dans les journaux du monde entier le plaidoyer du Cardinal italien Martini, prononcé dans le secret d’une assemblée ecclésiale, en faveur d’une évolution progressiste du Vatican. Bien sûr ceci n’est pas nouveau, les conciles ont souvent subi des pressions extérieures : de la part des pouvoirs politiques quand ceux-ci pesaient, de la part du pouvoir médiatique qui les supplée aujourd’hui dans bien des nations d’occident.

Ceci ne va évidemment pas sans poser des problèmes : le temps de l’Église c’est le temps long, la durée, sinon l’éternité ; le temps des médias, c’est le temps court, c’est l’immédiat.

Il y a là une contradiction majeure qui éclatait d’ailleurs de manière manifeste dans les manifestations de Rome réclamant la canonisation immédiate de Jean Paul II « Santo Subito » alors que le droit canon prévoit sagement un délai de 5 ans entre la mort et la canonisation éventuelle (délai oublié d’ailleurs s’agissant de Mère Térésa, personnage emblématique de l’Église cathodique).

Au demeurant, la question qui s’est trouvé posée à l’Église catholique est la même que celle qui se pose aux nations et aux grandes civilisations : comment défendre des règles et des valeurs dans la durée dans un monde dominé par l’immédiateté médiatique ?

En portant à sa tête le cardinal Ratzinger, l’église catholique a apporté une réponse claire : les pères conciliaires ont choisi l’éternité, la réaffirmation des valeurs permanentes de la foi catholique et de sa vérité fut-elle en opposition à l’air du temps : « c’est le choix d’une foi adulte qui ne suit pas les vagues de la mode » selon la formule du futur Benoit XVI lors de la messe concélébrée le 12 avril dernier.

Les réactions médiatiques, en France tout au moins, ne se sont pas faites attendre : le nouveau pape a été accueilli par une franche hostilité. Reste qu’il est singulier de voir des représentants médiatiquement désignés des protestants, des juifs ou des musulmans prétendre fixer l’agenda et la ligne de conduite du chef de l’église catholique ! Quelle confusion des genres et des esprits !

La suite des événements promet d’être passionnante : elle permettra de savoir s’il est possible, par l’intelligence, la volonté et le ressourcement, d’échapper à la tyrannie médiatique et à la tyrannie de l’instant.

De ce point de vue, l’élection de Benoit XVI pourrait marquer un tournant et pas seulement pour l’église catholique.


J.H.
© POLEMIA
13/05/2005
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