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« Un paroissien de Saint-Germain-des-Prés » de Chard

« Un paroissien de Saint-Germain-des-Prés » de Chard

par | 26 décembre 2013 | Médiathèque

Un album illustré peut aussi participer à la « réinformation » et lutter à sa manière contre la « tyrannie médiatique ». C’est le cas du vingtième et dernier livre de Chard, dessinatrice dont l’édition originale de l’historique « Profanation » (inspiré par l’affaire de Carpentras) atteint des prix fous sur Internet. Son « paroissien », terme à prendre dans le sens ancien d’habitant d’une paroisse, c’est-à-dire d’un quartier, est sûrement un fidèle du site de Polémia !

Préfaçant en 1985 l’album (aujourd’hui épuisé) De droite à gauche, Jean Raspail avait écrit :

« Beaucoup plus que ses confrères, et presque seule de son espèce, je crois, Chard a le trait qui convient aux temps que nous autres Français vivons. Un trait noir, impitoyable, tragique parfois. Mais, souvent un trait de génie. »

Le ravissant petit livre carré, dessins au recto, textes au verso, n’est ni vraiment noir ni totalement tragique ; on trouve même trace du fameux lait de la tendresse humaine dans cette histoire d’un vieux garçon contraint d’accueillir chez lui sa sosotte de nièce qui, s’étant portée volontaire pour donner un héritier à une paire mâle homosexuelle contre espèces sonnantes et trébuchantes, doit échapper à l’ire du tandem Patrice et Tom après avoir décidé de garder l’enfant, soit Ernest aux trois oreilles, dont on suit la quiète enfance sous le toit et l’indulgente férule avunculaires.

Mais à travers ce récit qui finit bien, Chard nous raconte, dans un style volontairement dépouillé, l’histoire d’un quartier qui finit très mal. Comme son héros le « vieux réac ronchonneur », Chard a vécu toute sa vie à l’ombre de l’abbaye que, tel un fantôme, vient visiter Morard, son premier prieur et aux alentours de laquelle on croise Jean-Paul Sartre qui « s’est trompé sur tout, mais toujours au bon moment… ». Car ce quartier, d’apparence si préservé, réservé aux « rupins » et sanctuaire de la culture, est à l’image de notre pays : rongé par la dictature de la pensée unique, la dissolution des mœurs, la décérébration de l’enfance, le consumérisme galopant et la submersion allogène. Cela nous vaut, alternant avec de superbes évocations à la plume des richesses architecturales du quartier, des planches hilarantes, dont il faut savourer chaque détail sur les Roms, les gays (ayant renoncé à obtenir le rejeton de leurs rêves, Patrice et Tom s’acharnent à créer une nouvelle race de chiens en tentant de croiser leur fox-terrier avec une saint-bernard mais cela ne marche pas car, les deux clébards étant hétéros, ils sont « coincés »), les joyeusetés multiculturelles des crèches ou les « espoirs » de demain : littérateurs (déjà) ratés ou jeunes chanteurs, de gauche bien sûr, au talent aussi improbable que leurs dreadlocks, tel le nommé YuriYuri, de son vrai nom Kevin Merlupeau (car les patronymes non plus ne doivent rien au hasard).

Et là, en effet, le trait se fait impitoyable, d’autant plus que Chard est la seule virtuose de la caricature qui ne charge jamais. D’une plume cruelle mais froide, elle se contente de pointer les ridicules de notre époque, les vices de notre société, et ce constat glacial, dressé par une artiste au regard acéré, à la curiosité politique et culturelle toujours en éveil, frappe plus que toutes les outrances.

Un livre indispensable pour tous les amoureux d’une capitale qui n’est plus « toujours Paris » mais, au-delà, pour tous les esprits libres, à l’instar du narrateur, qui s’efforce d’inculquer au jeune Ernest l’esprit critique et le respect de nos traditions.

 Claude Lorne
24/12/2013

Chard, Un paroissien de Saint-Germain-des-Prés, éditions Fol’Fer, décembre 2013, 110 pages.

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