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Trois ans

Trois ans

par | 18 mai 2015 | Politique

Une note de Jacques Sapir, diplômé de l’IEPP en 1976, titulaire d’un doctorat de 3e cycle sur l’organisation du travail en URSS

♦ Le Président, François Hollande, fête ce 6 mai le troisième anniversaire de son élection à la magistrature suprême. Cela invite à revenir sur l’homme et sur la politique qu’il a conduite. Beaucoup de choses ont déjà été dites à ce sujet. L’échec le plus patent, mais aussi le plus prévisible, de sa présidence fut le chômage. François Hollande s’est ici enfermé dans une position intenable : celle qui consistait à croire, contre toutes les évidences et de nombreux avis, que l’accroissement du chômage avait une dimension cyclique. Il en déduisait le fait qu’il suffisait d’attendre le retournement du cycle pour que la situation s’améliore.

Ce faisant, il se condamnait à la méthode Coué. Les déclarations, tant les siennes que celles des ministres, sur cette question rappellent les dires du premier ministre russe en 1995, devant l’aggravation de la crise. Victor Tchernomyrdine ne cessait d’affirmer sur les plateaux de télévision « Oui, la situation est difficile, mais nous voyons la lumière au bout du tunnel… ». Ce à quoi les Russes, qui n’étaient pas dupes,


François Hollande et la question du chômage.

Sur le fond, François Hollande n’a pas voulu voir la dimension structurelle du chômage en France, qui découle largement de notre adhésion à la zone euro. L’effet délétère de cette dernière se décompose en un effet direct et un effet indirect. L’effet direct est clair. L’euro fort, que l’on a connu jusqu’à l’automne dernier pénalisait durablement la compétitivité des entreprises françaises. La chute des marges des entreprises les poussait à comprimer la masse salariale, soit en recherchant toutes les méthodes pour baisser les salaires, point sur lequel elles ont trouvé un appui dans la politique gouvernementale, soit en licenciant et en faisant faire le même travail à un nombre réduits de salariés. Le meilleur indicateur de cette situation perverse est le fait que l’on compte aujourd’hui à peu près 600 000 personnes en épuisement professionnel ( Burn out ), alors que nous avons près de 4 millions de chômeurs, dans compter les personnes en quasi-chômage. La baisse de l’euro par rapport au dollar a donné un petit ballon d’oxygène, mais uniquement pour les entreprises faisant leur chiffre d’affaires dans la zone dollar. Le problème de compétitivité se maintient dans la zone euro, où la France ne peut déprécier sa monnaie par rapport à l’Allemagne et aux pays de l’Europe du Nord. C’est ce qui explique que la baisse de l’euro, qui, notons le, n’a pas entraîné la forte inflation promise en cas de sortie de l’euro et de retour au franc par de nombreux économistes, ait eu si peu d’effet sur l’économie française.

A cet effet direct s’ajoute l’effet indirect de l’euro. Ce dernier implique une certaine forme d’organisation des structures financières et monétaires. En particulier, il interdit à la Banque centrale (la Banque de France) de refinancer spécifiquement les crédits accordés aux entreprises pour leur développement, ce qui condamne à l’inefficacité la Banque de développement industriel, idée qui n’était pas mauvaise à l’origine, mais qui n’a pu s’appuyer sur un système de financement adéquat. Les banques traditionnelles, largement refinancées par la Banque centrale européenne, préfèrent éviter tout prêt à risque, et ne financent que très faiblement l’activité économique. Etranglée en aval par l’effet direct de l’euro, la production française l’est aussi en amont par l’impossibilité de trouver les ressources nécessaires à son développement. L’industrie française s’étiole, à la fois par manque de demande, par manque de compétitivité, et par manque de financement. Elle s’effondre sous les coups de la concurrence étrangère, de pressions non-économiques auxquelles se livrent les Etats-Unis. Il ne faut donc pas s’étonner de la montée inexorable du chômage.

Aveuglement et idéologie.

Cela ne fait que traduire un aveuglement profond aux principes de l’économie, et l’on peut alors s’interroger pourquoi François Hollande, qui n’a pas le profil d’un Mitterrand, d’un Sarkozy ou d’un Chirac, qui est bien mieux armé intellectuellement pour comprendre la nature de ces problèmes, a commis de telles erreurs. Non seulement il n’a pas identifié la cause profonde de la crise française, mais les « réformes » qu’il propose ne peuvent qu’aggraver la situation. On sait bien quelles en seront les conséquences, qu’il s’agisse de la loi « Macron » ou des différentes mesures qui l’accompagnent. En détricotant le système social, cela aboutira à comprimer les revenus et donc la demande. Ajoutons à cela une politique fiscale irréfléchie et largement injuste, et l’on comprend la stagnation de la demande, mais aussi la colère des classes moyennes et populaires, qui se traduit dans les sondages réellement calamiteux que connaît François Hollande.

L’explication de cet aveuglement est pourtant simple, mais la rondeur du personnage a pu nous la cacher. Il n’y a pas d’aveuglement, mais un choix idéologique fait en faveur de l’Union européenne, et de ses règles les plus draconiennes. Non que François Hollande n’ait caressé le rêve de réorienter l’UE. Mais, devant l’intransigeance allemande, il a préféré caresser d’autres rêves, plus charnels. Mis devant l’alternative de devoir provoquer une crise majeure de l’UE pour la changer ou de se plier à la volonté allemande, François Hollande a choisi de capituler. Et il a fait ce choix fort tôt dans son quinquennat, car ceci s’est joué à l’été 2012.

On a beaucoup glosé sur sa propension à choisir les solutions de facilité, à éviter le conflit. Cette propension assurément existe ; il n’est que de voir comment il a géré sa vie personnelle. Mais, ce serait ici ignorer un fait essentiel, qui se révèle à chaque fois où, devant choisir sur le fond, François Hollande fait preuve d’une incontestable dureté. Sous ses dehors bonhomme, affichant peu de convictions déclarées, toujours prêt à la « synthèse », François Hollande se dévoile comme un idéologue. Reconnaissons qu’il a su donner le change. L’Europe, ou plus précisément l’Union européenne, constitue le point dur de son idéologie, ce qu’il ne remettra jamais en cause, et auquel il sacrifiera tout, sa réputation, sa carrière, son avenir politique, son pays.

Je ne ferai pas l’injure de penser que François Hollande n’aime pas la France. Mais, il ne l’aime que parce qu’elle est dans l’Union européenne, parce qu’elle est, selon lui, appelée à se fondre dans cet ensemble. Et, s’il faut pour cela imposer aux français une rigueur budgétaire dont on ne voit pas la fin, un chômage sans cesse croissant, un détricotage du modèle non seulement social mais aussi politique français, des règles privant les citoyens de leur souveraineté, il le fait sans état d’âme. Au nom de cette vision particulière, il devient capable de toutes les manipulations, de tous les mensonges, de toutes les bassesses. Ses proches et certains de ses ministres, n’est-ce pas Arnaud Montebourg, le savent bien.

François Hollande et les « principes ».

Ce que l’on a aussi découvert dans ces trois dernières années, c’est le rapport particulier de François Hollande avec la notion de « principe ». Il aime bien en faire état, claironner son attachement indéfectible. En cela il est bien un produit de la déliquescence du parti « socialiste ». Mais, ce que l’on a pu constater dans l’exercice du pouvoir c’est surtout une instrumentalisation très politicienne de cette notion de « principe ». L’affaire des deux BPC de la classe « Mistral » en est un excellent exemple. A la suite de la crise ukrainienne, François Hollande prend la décision de suspendre leur livraison à la Russie. Mais, le Président se déplace en personne pour la signature de contrats d’avions de combat « Rafale », hier avec la Qatar et sans doute demain avec les Emirat arabes unis. Ou donc se trouve la ligne à ne pas franchir ? Ce n’est certes pas sur la question de la démocratie.

A tout prendre, et quelles que soient les réserves et les critiques que l’on peut faire sur ce point au gouvernement russe, il est clair que la Russie est bien plus démocratique que le Qatar, les EAU ou l’Arabie Saoudite, qui mène une guerre d’agression au Yémen sans que cela ne fasse sourciller le moins du monde la diplomatie française. Sur la question des « principes », un thème dont François Hollande aime pourtant bien s’emparer pour endosser les habits du défenseur de la liberté et des Droits de l’Homme, on est forcé de constater que sa position est comme les chaussettes : elles se retournent sans peine. La question de la présence, ou de l’absence, de François Hollande à la parade du 9 mai à Moscou, quelque chose qui n’a rien à voir avec les désaccords que l’on peut avoir avec Vladimir Poutine, mais qui touche bien pour le coup à la symbolique de ces mêmes principes, risque de nous le confirmer.

A moins que ce cynisme ne cache quelque chose de beaucoup plus grave. On est d’autant plus sévère avec les Russes qu’on les intègre, consciemment ou non, parmi les peuples civilisés. Pour les émirati, les qatari, et les saoudiens, il n’en va pas de même. Ces peuples sont considérés comme des barbares et à eux, on ne leur demande rien. L’attitude de François Hollande, et plus précisément sa différence d’attitude quant à la Russie et quant à ces pays, pourrait donc bien traduire, au mieux, un européocentrisme latent, au pire une forme de racisme, dissimulé sous le masque souriant de la condescendance.

L’image du Président, telle qu’elle se dessine après trois ans d’exercice du mandat présidentiel s’avère en définitive bien plus sombre que l’image que le candidat avait voulu nous vendre. Monsieur « petites blagues » semble être passé du côté obscur de la farce.

Jacques Sapir
6/05/2015

Source : RussEurope

Correspondance Polémia – 18/05/2015

Image : François Hollande à l’Elysée

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