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Printemps arabe : l’échec de la démocratie en Orient ?

Printemps arabe : l’échec de la démocratie en Orient ?

par | 11 juillet 2013 | Géopolitique

« La France sait que l’islam et la démocratie sont compatibles. »
François Hollande, dans son discours de clôture à l’occasion de sa visite officielle en Tunisie les 4 et 5 juillet 2013*

Pourtant, « Parmi les nombreux manifestants égyptiens Place Tahrir, certains brandissaient aussi des drapeaux syriens et des portraits de Bashar el-Assad, traduisant ainsi leur bonne compréhension des événements géopolitiques régionaux. » Pour bien saisir ce paradoxe, Polémia publie ci-après une fine analyse du journaliste politique Alexandre Latsa, résidant à Moscou où il anime le site DISSONANCE, destiné à donner un « autre regard sur la Russie. »
Polémia

L’armée égyptienne est finalement intervenue pour déposer le président Mohamed Morsi, pourtant premier président démocratiquement élu du pays. Le Printemps arabe, né en Tunisie fin 2010, a atteint l’Égypte dès le début 2011 et a abouti au départ du président Moubarak qui dirigeait l’Égypte depuis trente ans.

Déferlante électorale islamique

Les revendications d’une grande partie de la jeunesse égyptienne qui a mené cette révolution dite du Nil ou du Papyrus sur la place centrale du Caire (la Place Tahrir) ont abouti à des élections libres qui ont vu une déferlante islamique.

En effet, aux premières élections législatives de l’après-Moubarak, qui a vu une participation de 55%, les Frères musulmans ont obtenu 44,6% des voix, concurrencés seulement par les plus radicaux qu’eux, les salafistes, qui ont obtenu 22,5% des voix, le premier parti pseudo-libéral obtenant seulement 7,8% des voix. A l’élection présidentielle de 2012, la scission du pays en deux (islamo-conservateurs contre réformistes) était palpable et l’élection s’est résumée à un duel politique entre un homme de l’époque Moubarak et le candidat des Frères musulmans, le scientifique Mohamed Morsi, qui a notamment étudié aux États-Unis. Celui-ci remportera l’élection avec 51,73% des voix (la participation s’élevant à seulement 45%) et sera investi en juin 2012.

Coup d’état militaire

Un an plus tard, il sera donc déposé par l’armée après de nouvelles et immenses manifestations (plusieurs millions de personnes) Place Tahrir et ailleurs en Égypte. Les opposants lui reprochent principalement sa piteuse gestion de la situation économique du pays. Ce week-end, plusieurs centaines de milliers de partisans du président déchu sont, eux aussi, descendus dans la rue, invoquant à juste titre le respect des urnes et la démocratie. Les manifestations ont tourné à l’affrontement entre partisans de Mohamed Morsi et l’armée et, en ce 10 juillet 2013, on parle déjà de dizaines de morts et de centaines de blessés.

Dilemmes insolubles

Il y a là des dilemmes visiblement insolubles pour l’Égypte, pour les pays du Printemps arabe et pour la communauté internationale.

La démocratie du Printemps arabe a vu l’émergence et la prise de pouvoir de mouvements islamo-conservateurs (principalement les Frères musulmans) qui étaient soit interdits, soit tenus à l’écart de la vie politique par les anciens pouvoirs laïcisants issus de la guerre froide. Ce retour au pouvoir des clergés et d’un islam politique a accentué les batailles d’influence trans-territoriales entre confréries, menant à la situation que l’on connaît, par exemple en Syrie. Ce pays fait en effet face à une guerre au niveau régional et confessionnel, où le courant sunnite régional le plus radical tente de mettre à mal le croissant chiite en s’attaquant à sa composante la plus hérétique selon lui mais aussi la plus laïque selon les critères occidentaux. La Syrie est ainsi devenue le champ de bataille par ricochet d’une coalition russo-chiite qui est en conflit ouvert avec un axe occidentalo-sunnite.

Le mythe d’un islam compatible avec la démocratie semble remis en cause

Les victoires électorales des Frères musulmans en Égypte, en Tunisie ou en Libye, qui auraient pu amener à des cohabitations entre charia et démocratie, ne semblent plus viables. Il y a une crise culturelle profonde qui traverse les sociétés arabo-musulmanes. Les nouveaux régimes issus des élections semblent avoir du mal à bien intégrer la pluralité, qu’elle soit ethnico-culturelle, religieuse ou comportementale. Hormis en Tunisie où les islamistes composent, la situation économique de tous les pays concernés par ces nouveaux régimes est d’ailleurs plus que catastrophique et semble inévitablement génératrice de protestations dans un avenir proche, comme c’est le cas en Égypte aujourd’hui.

Les coups d’État militaires et les juntes au pouvoir ont toujours été fermement condamnés par les pays occidentaux, que ce soit en Birmanie, en Grèce ou en Argentine. La mollesse des réactions occidentales face au coup d’État militaire en Égypte démontre bien le dilemme entre armée et islamisation. Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu a, lui, tenté d’empêcher une intervention de l’armée contre le président égyptien en avertissant les capitales européennes hébétées, mais cela a échoué.

L’armée apparaît pourtant de plus en plus comme un nouveau pouvoir (ou contre-pouvoir) seul à même de maintenir une forme d’équilibre national et de protéger l’équilibre communautaire (et les minorités) face à une islamisation à outrance des pays concernés. Cette tendance n’est pas nouvelle :

• en Algérie, la victoire des islamistes fut annulée en 1991, plongeant le pays dans une guerre civile de 10 ans durant laquelle l’armée affronta, jusqu’à sa victoire en 2002, divers groupes islamistes ; • en Turquie, Recep Erdogan, depuis son élection en 2003, a, lui, mené d’intensives campagnes pour désactiver l’armée et faire mettre en prison les officiers qui auraient pu s’opposer à l’islamisation lente que le pays connaît, entraînant l’inquiétude des minorités et des laïcs qui ont manifesté récemment ;
• en Syrie, l’armée paraît être aujourd’hui le seul garant du rétablissement de l’ordre constitutionnel mis à mal.

Parmi les nombreux manifestants égyptiens Place Tahrir, certains brandissaient aussi des drapeaux syriens et des portraits de Bashar Al-Assad, traduisant ainsi leur bonne compréhension des événements géopolitiques régionaux, mais aussi peut-être leur profonde intuition que Syrie et Égypte doivent être unies et non en guerre. Il faut se souvenir qu’historiquement Égypte et Syrie ont déjà été un seul et même État pour faire face à la menace communiste d’un côté (qui n’existe plus aujourd’hui) et américaine de l’autre. Est-ce la raison pour laquelle de nombreux manifestants Place Tahrir brandissaient également des pancartes dénonçant le soutien américain au candidat Morsi ?

L’avenir ? Que vont faire les groupes radicaux ?

Il est certain que des groupes radicaux ne vont pas tarder à menacer l’armée égyptienne d’un conflit pour le rétablissement du pouvoir islamique arrivé au pouvoir par les urnes. On peut se poser la question de savoir si l’Égypte va désormais connaître une guerre civile larvée sur le modèle de l’Algérie quand les élections de 1991 ont été annulées par l’armée.

Le monde arabo-musulman risque de traverser au cours de ce siècle sa grande guerre interne, politique, confessionnelle et générationnelle. Pour les Américains, il semble que l’agenda de remodelage du Grand Moyen-Orient soit remis aux calendes grecques. Il faut maintenant essayer d’imaginer quelles seront les conséquences directes de ces bouleversements pour les États de la région, et les conséquences possibles et imaginables pour la France, l’Europe et la Russie.

 Alexandre Latsa
Source : RiaNovosti
10/07/2013

Les intertitres sont de la rédaction.

Note

(*) Hollande en Tunisie : « L’islam est compatible avec la démocratie »

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