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« Les génocides de Staline » de Norman M. Naimark

« Les génocides de Staline » de Norman M. Naimark

par | 27 mars 2013 | Médiathèque

En ce soixantième anniversaire de la mort (dans son lit, et couvert d’honneurs) du « Petit Père des peuples », est-il enfin temps d’admettre que les similitudes « entre le nazisme et le stalinisme sont trop nombreuses pour être ignorées » et qu’ « en fin de compte », si Adolf Hitler fut un génocideur, Joseph Staline le fut aussi ? C’est la conclusion du grand universitaire américain Norman M. Naimark, spécialiste de l’ère soviétique à l’université de Stanford, dans son livre court et assez mal écrit mais dense, « Les génocides de Staline ». C.G.

Pour beaucoup d’entre nous, et bien avant la publication du Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997) dû à Stéphane Courtois, le caractère génocidaire des régimes issus du marxisme-léninisme était une évidence, l’ancien zek croate (et ci-devant trotskiste) Ante Ciliga l’ayant par exemple établi dès 1938 dans Au pays du grand mensonge  (Gallimard). Mais le sujet reste explosif.

Peut-on comparer « crimes soviétiques » et « horreurs nazies » ?

Moins en raison, désormais, de l’opposition des communistes que de l’OPA lancée par Israël et la diaspora sur le terme de génocide ainsi que l’explique Naimark dans un premier chapitre (« La question du génocide ») passablement embarrassé et plein de formules propitiatoires sur la barbarie du IIIe Reich et l’unicité de la Shoah qui, « pour nombre de raisons, doit être considéré comme le pire cas de génocide de l’époque moderne » ainsi qu’il le répète in fine à l’usage de ceux qui n’auraient pas compris. « L’horreur fondamentale inspirée par l’Holocauste, insiste ainsi l’universitaire états-unien, influence à juste titre notre appréhension d’un certain nombre de questions politiques et morales importantes. Du fait précisément que l’Union soviétique eut un rôle primordial dans la victoire sur le nazisme et perdit 27 millions de citoyens contre le monstre qui engendra Auschwitz et Babi Yar, il existe une réticence considérable et compréhensible à classer les crimes soviétiques dans la même catégorie que les horreurs nazies. »

Cela constaté, il faut passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire à l’examen des faits. Et ceux-ci sont accablants, qu’il s’agisse de la liquidation des « ennemis de classe » ou de celle de peuples catalogués comme potentiellement dangereux pour l’avenir radieux du socialisme.

Après la dékoulakisation, l’Holodomor

Parmi les premiers, les Koulaks, surnom d’ailleurs obscène donné aux paysans aisés. Plusieurs « dizaines de milliers » d’entre eux furent « rapidement éliminés » en 1929 et « plus de deux millions » envoyés au Goulag où 250.000 succombèrent « dans la seule période 1932-1933 ». Une cadence que l’on devait revoir au moment des grandes purges organisées par Staline à la fin des années 1930 et destinées à décapiter toute opposition… et toute concurrence, la famille et l’entourage (parfois simplement professionnel) des adversaires et des rivaux potentiels du maître du Kremlin étant sur son ordre exprès « exécutés comme des chiens » et, dans le meilleur des cas, déportés dans ce que Soljenitsyne devait appeler l’archipel.

Parmi les seconds, les Baltes, les Polonais (22.000 morts dont Staline tenta jusqu’à Nuremberg de faire endosser la responsabilité au chancelier allemand) et les Ukrainiens trop attachés à leurs traditions et à leurs spécificités, religieuses notamment, et donc réputés réfractaires à l’idéologie communiste. D’où la terrifiante « Holodomor », famine systématiquement organisée en Ukraine par Lazare Moïsseïevitch Kaganovitch – qui, lui aussi, mourut dans son lit, presque centenaire. Cette disette sans précédent fit au minimum 6 à 7 millions de morts et entraîna cannibalisme et nécrophagie dans « un cycle de dé-civilisation » dûment programmé, selon Naimark.

La moitié des Tatars et 38% des Kazakhs anéantis !

Mais l’historien mentionne d’autres cas qui sont moins connus, tel celui des Tatars de Crimée, des Tchétchènes et des Ingouches, massivement déportés et dispersés dans des déserts d’Asie centrale car « destinés à l’élimination, sinon physique, du moins en tant que nationalités ayant leur identité propre ». Résultat : sur les 190.000 Tatars déplacés, « 70.000 à 90.000 moururent pendant les premières années d’exil », du fait de la faim et des conditions climatiques extrêmes succédant à d’interminables acheminements en train, sans eau ni nourriture – ce qui devait être dix ans plus tard le lot des Allemands chassés des territoires germaniques de l’Europe de l’Est et eux aussi « expulsés » dans des conditions inhumaines, tragédie tacitement occultée mais récemment dévoilée par un autre universitaire américain, R. M. Douglas (*).

Autre région sinistrée et délibérément dépeuplée car on connaissait à Moscou l’ampleur des réserves en hydrocarbures du territoire, le Kazakhstan : « Le nombre de décès attribuables à la famine fut de 1,45 million, 38% de la population. » Si l’on ajoute que « beaucoup de Kazakhs furent abattus parce qu’ils essayaient de fuir leur pays », le génocide est ici aussi avéré. De même que dans le cas d’ethnies sibériennes jugées par Staline « irrationnelles » car numériquement insignifiantes… et donc non viables de toute façon !

Qu’en disent nos belles âmes toujours si sensibles, à juste titre, au sort réservé aux Indiens des deux Amériques par les Espagnols puis les Yankees ?

L’indécent hommage de L’Huma

Nonobstant, la plupart des démocrates patentés y allèrent le 5 mars 1953 de leur hommage ému au grand disparu. En France, cependant qu’une minute de silence était observée à l’Assemblée nationale à la demande du président Herrriot, Le Monde, déjà « quotidien de référence », célébrait en Staline « l’homme qui a réconcilié la Russie et la révolution au point de les rendre inséparables » et qui « a aussi permis à l’homme de remporter sur la nature quelques-unes de ses plus magnifiques victoires » – on sait au prix de quels désastres pour l’environnement, tel l’assèchement de la mer d’Aral. Et L’Humanité, fidèle à elle-même, titrait à sa une sur « Le deuil de tous les peuples ».

Ceux, du moins, qui avaient survécu au génocidaire Staline… Lequel n’avait d’ailleurs rien inventé (M. Naimark n’insiste pas suffisamment sur ce point) mais simplement porté à son paroxysme le système hérité de Lénine, créateur dès son décret de décembre 1917 des Kontzentratzionyé lageri, autrement dit des camps de concentration où devait périr, exécutés ou malades, affamés et à bout de forces, plus du dixième de la population soviétique de l’époque.

Camille Galic
21/03/2013

Normam M. Naimark, Les génocides de Staline, Ed. L’Arche 2012, 140 pages avec notes, 15 €. Traduction de Jean Pouvelle.

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