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Le cerveau du robot : le cœur du problème ?

Le cerveau du robot : le cœur du problème ?

Laurence Maugest, philosophe, essayiste

 ♦ Echec et mat… Voilà c’est fait !

Le champion de jeu de Go sud-coréen Lee Sedol a perdu samedi 12 mars la troisième manche du combat qui l’oppose à l’intelligence artificielle conçue par Google, nommée « AlphaGo ». Dans le domaine du raisonnement, nous pensions que l’ordinateur se borne à recracher les connaissances que l’homme lui transmet et que sa force réside dans sa rapidité de plus en plus époustouflante à traiter un nombre exponentiel de données.

Mais cette dernière rencontre du 12 mars entre l’homme et la machine a démontré une aptitude nouvelle de l’ordinateur : le robot joueur de Go est capable d’apprendre.


L’homme ne lâchera pas la robotique, nouvelle source du Narcisse qui est en lui. Elle est la glaise où il peut modeler l’intelligence de ses rêves, où il peut enfin se réaliser comme démiurge.

Au regard des aspirations de la Silicon Valley, de Google, Microsoft et autres financeurs de ces avancées notre cerveau limité d’homo sapiens sapiens a le devoir de se demander ce que nous allons devenir, nous autres les humains que l’on ne résume pas à nos capacités de raisonnement.

La réduction binaire de l’homme qui est en cours, nécessaire à sa robotisation future, ne s’arrête pas à ses capacités intellectuelles mais s’applique aussi à ses sentiments, ses attentes, son esprit et cela depuis déjà quelques décennies. (Voir les robots « empathiques » destinés à être les compagnons des personnes âgées esseulées. Comment peut-on qualifier une société amenée à de tels comportements avec ses aînés ?)

Affects et méthodes… Pour demain ? Le rôle de la médiatisation de la psychanalyse dans le transhumanisme

Le choix des appellations des complexes psychanalytiques (Œdipe, Electre, …), les études sur l’inconscient collectif de Jung, attestent que la psychanalyse des origines revendique son lien avec la complexité mythologique et historique de l’homme.

Comme toute discipline nouvelle, elle traversa des doutes, des « tâtonnements » et des querelles d’écoles particulièrement aiguës qui rigidifièrent, sans doute, les positions des uns et des autres. Sa situation face à son milieu d’origine, le monde médical, fut aussi source de tension et de troubles. Sa naissance tumultueuse ne l’a pas empêchée de se propager et de s’imposer, par les médias, dans le public, dans le monde de l’éducation, de l’entreprise et celui de la communication qu’elle développa d’ailleurs considérablement. Mais, via sa vulgarisation, ce sont les éléments schématiques de la psychanalyse qui furent divulgués et devinrent rapidement des abrégés et de simples recettes. C’est du contenu médiatisé de la psychanalyse que nous parlons ici et non pas de la discipline elle-même.

Dans tout domaine scientifique, les questionnements et la recherche occupent les spécialistes et, plus rarement, le quidam. Mais le souci est que, contrairement à la physique quantique ou à la vie intime de la mitochondrie, la psychanalyse concerne l’homme dans son quotidien, tous les jours et à chaque instant. Ce que l’homme de la rue a reçu de la psychanalyse ce sont des outils simplifiés à l’extrême et des dogmes caricaturaux, qui, tout à la fois, isolés et généralisés, schématisent l’homme, tels les topiques de Freud : sa topographie de l’être – Ça (Inconscient), Moi, Sur-moi.

Cette recherche de simplification n’est pas récente. Les outils d’analyse et les « cartographies » de l’être humain apparaissent souvent dans la philosophie occidentale ; on les trouve déjà chez Platon et Aristote. Mais ce qui est nouveau dans le cas de la psychanalyse est le rôle des médias et de l’air du temps (avide d’immédiateté et de « prêt à l’emploi ») qui ont massifié la diffusion de ces théories simplifiées. Elles ont ainsi perdu leur qualité de « repères » et de sources éventuelles de questionnement pour s’imposer en grille de lecture.

Discipline sécréteuse et bénéficiaire de l’envolée libertaire de la deuxième moitié du XXe siècle qui s’exprime dans la mise au pilori de l’ennemi identifié, le Sur-moi : Instance sécrétée par des sources extérieures (la religion, le père, l’autorité, …), elle est la partie de soi à surveiller de près. Dans les années 1970, il était de bon ton, vivement conseillé, voire obligé de se libérer de ces règles surmoïques jugées castratrices et qui, nous le réaliserons plus tard, étaient aussi porteuses d’une transmission sélective qui métabolise, au cours des générations, ce que l’on appelle les traditions.

La notoriété de l’inconscient tourne essentiellement autour de ses pulsions qu’il faut contrarier le moins possible pour atteindre l’épanouissement individuel. Sa fonction réceptive est moins médiatisée. Cette mémoire obscure est en quelque sorte « le décor », « la petite musique » qui accompagne, entre autres, la transmission des traditions. Dans son antre se nichent les messages indicibles des aïeuls, les secrets de famille, les non-dits, une véritable éponge qui retient les émotions et les sensations. Ces facultés réceptrices de l’inconscient, ces qualités d’architecte d’un monde innommable, ces talents d’écrivain d’une histoire silencieuse, témoignent de la complexité humaine et de sa richesse. Pourtant, de l’inconscient, ce sont essentiellement les désirs latents et les risques de frustration que l’on retient car ils s’inscrivent dans les dictats actuels de l’épanouissement individuel et de l’appétence. Sa lente métabolisation des souvenirs est davantage occultée car elle parle du temps long et intègre l’individu dans ce qu’il a de plus singulier : sa filiation et son histoire.

La médiatisation des théories freudiennes : Création et alimentation de l’individualisme de nos sociétés occidentales

L’absence d’interdits s’imposa en médecine préventive. Les soucis nés du Sur-moi furent sévèrement circonscrits : « Il ne faut pas subir l’autorité des pères ».

Ce qui reste seul primordial, c’est « le Moi » qui a profité de la place laissée vacante pour prospérer et « s’hypertrophier » tout à son aise et venir grossir l’individualisme forcené de notre société.

La notion d’histoire est balayée et, avec elle, le temps, la recherche, les doutes, tout ce qui fait les qualités et le quotidien d’un bon historien, notamment de l’âme. Les théories freudiennes sont devenues les servantes de ce Moi : des guides comportementaux, des recettes du bonheur, « les 10 meilleurs conseils à suivre face à un enfant en difficulté, un enfant surdoué, les mots qu’il faut dire, ceux qu’il faut taire dans une relation amoureuse, en cas de séparation… ». Ces bréviaires qui fleurissent dans les rayons de « psychologie » des librairies voire de philosophie et sur Internet, ne sont–ils pas les fruits de l’évolution simpliste de la psychanalyse ? Cette évolution n’est-elle pas le résultat d’intérêts mercantiles ? Les solutions rapides s’adaptent parfaitement au souci de facilité de nos contemporains. La dimension festive de ces approches en item, en test de toute sorte, n’est pas à sous-estimer en souvenir (reconnaissant) de Philippe Muray.

Nous constatons que dans la presse, dans les cursus de communication et de « coaching », les questions compliquées, incertaines, relevant de l’étude de l’esprit humain, sont, le plus souvent, traitées dans un registre binaire : Favoriser / Eviter certaines attitudes, par exemple – Accompagner / Laisser faire. Des règles de conduite sont promulguées, on apprend le code de la vie, on apprend à être.

La première qualité d’une mode est d’être accessible à tous et facilement lisible. Dans sa généralisation, puis sa marchandisation, la psychanalyse a été divulguée sans nuances, dans sa forme la plus dépouillée. Si l’on prend l‘exemple du « complexe d’Œdipe » vulgarisé, il est devenu, pour certains, le moule de tous les petits garçons du monde. Ne sommes-nous pas, déjà là, dans la modélisation : maçons de l’indifférenciation de l’homme ?

En cela, les reliquats de l’ère psychanalytique, qui fut pourtant, à l’origine, si attachée à l’expression des besoins de l’individu, sont des agents de la grande globalisation en marche. Ce qui tend à prouver que l’individualisme est le marchepied du nivellement des hommes par la désespérance et la solitude notamment existentielle qu’il entraîne.

A l’aube du transhumanisme qui s’annonce, ces analyses réductrices de l’être humain, ces approches comportementalistes perverties par leur vulgarisation, ces boîtes à outils pour « une meilleure communication » sont peut-être les brouillons des logiciels qui seront intégrés demain dans l’homme augmenté du futur pour lui apprendre à « être ». Celui-ci sera programmé pour « choisir » les bonnes attitudes au quotidien : il ne croisera pas les bras dans une relation pour établir un climat de confiance, il ne posera pas de questions fermées à une personne qui a besoin d’être écoutée, il se mettra à genoux devant un enfant pour être à sa hauteur, il saura le valoriser… Notre descendant augmenté connaîtra tous « les trucs » de la bonne communication que nous aurons testés pour lui dans les bréviaires binaires du mieux-être… Il deviendra une sorte d’orgue de la barbarie.

Il n’est pas question de remettre en cause le travail d’observation des attitudes humaines. Ces études ont leurs intérêts et leurs valeurs, mais elles intéressent l’espèce, le groupe humain. Elles sont à prendre en compte comme des statistiques dans une généralité très éloignée de la relation intime et sensible que l’on établit avec l’autre au quotidien. Elles peuvent être lues comme « des conseils » mais ne seront jamais aussi charnelles que les conseils (même décalés, maladroits, erronés…) de nos parents et de nos grands-parents que la génération de la psychanalyse en fleurs a jetés aux orties. Elles n’auront jamais la richesse de l’expérience, peut-être brouillonne mais personnelle, émotive, que l’on se fait de l’autre et de soi-même dans notre relation au monde. Faut-il encore accepter d’apprendre par l’erreur et consentir à ne pas être cet homme augmenté dont la perfection annoncée doit sérieusement nous affoler ?

Laurence Maugest
15/03/2016

Correspondance Polémia – 6/04/2016

Image : Notre cerveau limité d’homo sapiens sapiens a le devoir de se demander ce que nous allons devenir face à l’intelligence artificielle !

 

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