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La Gendarmerie, victime de la réforme de l’État et de l’air du temps ?

La Gendarmerie, victime de la réforme de l’État et de l’air du temps ?

par | 13 avril 2013 | Politique

La question de l’identité de la gendarmerie se pose. Dans un contexte de crise budgétaire grave, les gouvernements successifs sanctuarisent les dépenses sociales et celles des collectivités territoriales et amputent les moyens des secteurs régaliens. Héritière d’une longue tradition, placée à la charnière des armées et de la sécurité intérieure, la gendarmerie est l’objet de bouleversements successifs : pression poussant à la démilitarisation, rupture de son ancrage territorial, rapprochement et « mutualisation » avec la police nationale. La question de l’identité de la gendarmerie est posée. C’est en tout cas le point de vue exprimé ici par Fabrice Fanet, colonel (ER) de gendarmerie. Polémia

Le général d’armée Denis Favier vient d’être nommé directeur général de la Gendarmerie nationale. Ancien chef du GIGN à la tête duquel il a mené victorieusement l’assaut à l’aéroport de Marignane contre les islamistes en 1994, il devra maintenant affronter des situations beaucoup plus complexes s’il veut réussir dans sa nouvelle mission.

En effet, la Gendarmerie est en passe de perdre son identité et donc sa raison d’être.

Après plus de trois siècles d’existence où cette vénérable institution militaire a principalement rempli des missions de combat et de police militaire, des missions d’enquête, de renseignement et de maintien de l’ordre comparables à celles qu’elle assure de nos jours, force est de constater que l’organisation du service de la Gendarmerie s’est profondément transformée, notamment depuis son rattachement au ministère de l’Intérieur, ce qui a entraîné une modification profonde de la qualité des services rendus.

Un système d’armes fragilisé et déterritorialisé

À partir des années 1990, faute d’accorder une reconnaissance financière à la disponibilité exceptionnelle que les gendarmes assuraient, il a été décidé par le pouvoir politique d’instaurer, la nuit, une départementalisation de la surveillance et de l’intervention. La brigade perdait son autonomie d’action et son territoire pour laisser place à la patrouille de surveillance et d’intervention la plus proche, patrouille composée de gendarmes appartenant souvent à d’autres brigades et connaissant donc peu le terrain et la population. Ce système brisait l’identité originale de la gendarmerie, son « système d’armes », c’est-à-dire des gendarmes habitant leur territoire au milieu de leur population, Mao aurait dit : « comme un poisson dans l’eau » !

L’efficacité de la Gendarmerie repose, en effet, sur une parfaite connaissance, par les gendarmes composant une brigade, de leur canton et de sa population, connaissance favorisée par le fait que les gendarmes et leurs familles habitent au milieu des citoyens qu’ils sont chargés de protéger.

La prévention des atteintes aux biens et aux personnes est efficace surtout grâce aux renseignements favorisés par la confiance que le gendarme tisse patiemment avec sa population dont il se sent responsable. Si la prévention a échoué, la qualité du renseignement sera aussi essentielle dans le bon déroulement de l’enquête où la police technique et scientifique, n’en déplaise aux feuilletons américains, n’est qu’un moyen au service de l’enquêteur.

Cette connaissance de son territoire et de sa population a été encore gravement fragilisée par la mise en place, il y a une dizaine d’années, des communautés de brigades, système d’organisation du service regroupant deux brigades afin d’assurer la surveillance et l’intervention sur un plus vaste territoire en employant moins de personnel.

En fait, on a étendu à la journée le dispositif instauré pour la nuit. Ainsi le lien personnel entre le gendarme et sa population a été distendu et la confiance affaiblie. Cette nouvelle organisation a permis de diminuer considérablement le nombre d’heures de travail alors que les gendarmes ne demandaient qu’une reconnaissance financière de leur engagement et de leur exceptionnelle disponibilité : en cas d’urgence, le gendarme pouvait (et peut encore mais dans une moindre mesure) être immédiatement et facilement mobilisé.

Ainsi, pour ne pas affronter de prévisibles revendications syndicales des policiers provoquées par l’instauration d’une prime accordée aux seuls gendarmes, les politiques ont décidé de dénaturer le mode de fonctionnement de la Gendarmerie en mettant en place au niveau départemental un système de mutualisation des effectifs et de centralisation de la gestion de l’alerte se rapprochant ainsi de l’organisation de la Police nationale, sans pour autant encore adopter le système des « 3 huit » des fonctionnaires de la Police.

Gendarmerie secours ?

La conséquence la plus immédiate a été de diminuer l’efficacité de la prévention et de glisser vers des interventions style « Police secours », une fois l’infraction commise. À noter que, compte tenu de la taille des circonscriptions d’actions, les délais d’intervention sont souvent trop longs.

L’augmentation de la délinquance est ainsi due, en partie, à la moindre présence sur le terrain des gendarmes, à l’affaiblissement de la connaissance des populations et donc à la diminution de l’efficacité de la prévention. Et si l’on ajoute les insuffisantes réponses de la Justice face à la petite et moyenne délinquances, la peur du gendarme n’agit plus que sur la route et face aux automobilistes solvables et dociles !

Dès lors que la Gendarmerie glissait vers un mode de fonctionnement policier, il était tentant pour un ministre de l’Intérieur ambitieux d’en prendre le contrôle sous prétexte d’harmoniser et de rationaliser son fonctionnement avec la Police.

Or, qu’a-t-on constaté depuis que la Gendarmerie est au ministère de l’Intérieur ?

Rapprochement police/gendarmerie : complications sans économies ?

La Cour des comptes n’a enregistré aucune économie substantielle dans le domaine de la gestion des matériels. La concurrence entre les chefs de la Police et la Gendarmerie a été exacerbée puisque chacun essaye de se faire valoir auprès du chef commun (ministre ou préfet). Les comparaisons entre les statuts et avantages respectifs des gendarmes et policiers engendrent une surenchère nuisible aux finances de l’État et à l’efficacité du service – sans parler des frictions à l’occasion du redéploiement des zones attribuées à la Police et à la Gendarmerie, ainsi que la volonté des syndicats de la Police de retirer à la Gendarmerie ses missions judiciaires et de cantonner les gendarmes dans un rôle proche du garde-champêtre d’antan !

Cette intention est pour le moins osée quand on sait la qualité des enquêtes menées par la Gendarmerie, que cela soit pour des infractions mineures ou contre le grand banditisme. Cette prétention est irresponsable quand on réalise que 40% de l’activité des gendarmes se déroule dans des zones périurbaines.

Par ailleurs, le placement à l’Intérieur de la Gendarmerie avec la Police n’a pas amélioré la coordination de la lutte contre la délinquance. Cette dernière s’est normalement développée dans la ligne de ce qui se faisait auparavant, gendarmes et policiers ayant déjà l’habitude de partager leurs fichiers et de travailler en commun en respectant les dispositions incluses dans le Code de procédure pénale et les demandes des magistrats et des préfets.

Mais alors, pourquoi nos politiques se sont-ils attaqués, consciemment ou inconsciemment, à l’essence de la Gendarmerie, outil si performant et fidèle ?

C’est en tant qu’institution traditionnelle que la Gendarmerie a été ciblée

Ce n’était pas tant pour faire plaisir à la Police, ni pour faire des économies. C’est parce que la Gendarmerie était une des dernières institutions françaises régaliennes à posséder une organisation traditionnelle : elle était protectrice pour ses membres et structurante à la fois pour les gendarmes et pour la population. Elle obéissait à des lois et à des principes et non à des ordres momentanés. Elle était suffisamment intégrée et forte pour se permettre d’être clémente. Bref, elle faisait obstacle à la généralisation d’une société éclatée dans laquelle l’homme nomade isolé (et nomade désolé !) est particulièrement vulnérable aux attaques du libéralisme moral, économique et social. Isolons le gendarme, comme on a isolé l’ouvrier, le policier, l’artisan et tant d’autres, et nous aurons le citoyen rêvé qui compense ses frustrations dans l’abrutissement de la consommation et la fraternisation du supermarché.

L’identité contre l’ensauvagement

Mais ce n’est pas en 25 ans que l’on détruit une institution plus que tricentenaire. Il est encore temps, non par esprit corporatiste, mais pour offrir aux citoyens le respect des valeurs qui ont construit la France et restaurer une sécurité de plus en plus menacée par l’ensauvagement de notre civilisation, il est encore possible de rétablir l’identité et l’efficacité de la Gendarmerie.

Sa nature spécifique et originale est constituée par la disponibilité des gendarmes et sa proximité avec la population, l’engagement et l’esprit de responsabilité de chaque militaire, ainsi qu’une discipline et une rigueur intelligentes contrôlées par une hiérarchie débarrassée de toute démagogie.

Sans quoi le statut militaire des gendarmes ne sera qu’un habillage illusoire permettant de sauvegarder les apparences d’une efficacité passée et de donner bonne conscience à des politiques qui auront renoncé à leur vocation pour se ménager tranquillité et prébendes, ignorant avec mépris, inconscience ou incompétence, l’avenir des Français.

 Fabrice Fanet
Colonel (ER) de Gendarmerie. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris.
Co-auteur aux éditions du Cherche-Midi de Des militaires qui ont changé la France.
10/04/2013

Les intertitres sont de la rédaction de Polémia.

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