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« La Cause du peuple / L’histoire interdite de la présidence Sarkozy » de Patrick Buisson

« La Cause du peuple / L’histoire interdite de la présidence Sarkozy » de Patrick Buisson

par | 10 novembre 2016 | Médiathèque

Par Didier Beauregard, journaliste et essayiste ♦ Buisson : «  Au nom du peuple » Mais où est donc passé le peuple français ? ♦ S’il n’y pas de grand homme pour son valet, comme le disait Napoléon, il n’y probablement pas non plus de grand homme pour son conseiller spécial. Patrick Buisson, «  le cerveau droit » de Nicolas Sarkozy, a ainsi passé sept ans au service d’un homme dont il a finalement toujours su les failles et les limites. Le pouvoir a quelque chose de grisant et de gratifiant auquel il est difficile de renoncer. Et depuis Machiavel nous savons qu’entre le prince et le conseiller du prince, le malentendu est la règle et l’harmonie l’exception.

Tel Sisyphe roulant sa pierre, Patrick Buisson a donc, le temps d’un quinquennat, essayé d’ouvrir l’esprit de l’hôte agité de l’Elysée aux perspectives de l’histoire longue, aux enjeux anthropologiques de la mémoire profonde et de l’enracinement. En vain. Autant proposer à Rocco Siffredi de jouer McBeth au Royal Shakespeare Theater !


Bienvenu au Sarko show !

C’est au spectacle de cette confrontation sans issue entre deux types humains que tout oppose et de deux visions du monde inconciliables que nous convie l’auteur dont l’art du portrait et de l’anecdote est servi par une plume puissante et acerbe.

Sarkozy tel qu’en lui-même il se révèle : narcissique, opportuniste, instable, fasciné par le paraître et l’avoir et dénué de toute vision qui puisse dépasser ses intérêts à court terme. A part cela, un tempérament bagarreur et accrocheur alimenté par une énergie inépuisable et un sens instinctif et percutant du coup politique.

A vrai dire, il n’était pas nécessaire de lire les 400 et quelques pages de Patrick Buisson pour saisir l’essence du personnage Sarko ; sa gestuelle de camelot, le roulis incessant de son corps et la gouaille satisfaite de son verbe et de son regard en disent plus long sur l’homme que toutes les pages les mieux chiadées.

L’auteur cependant complexifie le personnage. L’homme doute et recherche sans cesse l’approbation des autres. Impulsif et instable, ses colères sont sans lendemain et son autorité est à éclipses. Le dur est un faux dur, voire un vrai mou. La plume alerte devient assassine :

« Le chef né pour “cheffer” était en réalité un fragile séducteur, subjugué par ses conquêtes, un faux dur submergé par un état permanent de dépendance affective, une âme malheureuse qu’habitait non pas le dur désir de durer, mais celui d’être aimé. Ce mâle dominant vivait sous l’empire des femmes ».

L’arrivée de Carla Bruni à l’Elysée libère le côté bling-bling et boboïsant du président qui ne jure plus que par sa nouvelle muse. Cette dernière s’invite sans retenue dans les réunions les plus fermées pour témoigner de son affection à « chouchou » qui n’en peut plus de se rengorger de l’élégance et de la beauté de sa femme, prenant à témoin de sa bonne fortune l’assistance mal à l’aise. Quand la vraie vie s’amuse à copier les Guignols de l’info !

Mais, au-delà du portrait psychologique percutant mais sans surprise que nous livre l’auteur avec un évident talent d’écriture, on aimerait comprendre quelles sont les vraies forces politiques ou autres qui ont agi sur les décisions du vibrionnant président ? Au-delà du caractère des hommes et des aléas des circonstances qui font que l’hôte de l’Elysée raisonne d’abord en coups politiques et en logique de communication, les yeux rivés sur les sondages et les médias, il existe bien des logiques de puissance qui le poussent, par exemple, à rejoindre l’OTAN ou à s’engager dans une guerre insensée pour abattre le pouvoir du colonel Kadhafi ? La psychologie n’explique pas tout.

De même son laxisme sur les questions migratoires – les flux d’entrée ont été plus importants durant son quinquennat que du temps de Lionel Jospin, rappelle l’auteur – n’est pas le simple fait de son inconséquence. Au-delà du huis-clos des jeux de pouvoir de l’entourage du président, où se situent les zones d’influence qui pèsent sur la décision politique ? On peut aisément imaginer que Patrick Buisson est loin de nous avoir livré l’ensemble de ses réflexions et témoignages sur sa longue présence au cœur du pouvoir politique.

Histoire, mémoire et identité

 Le livre, toutefois, ne se limite pas aux dimensions anecdotiques sur les heurts et malheurs d’un quinquennat incohérent et, in fine, néfaste. L’auteur, en contrepoint de la superficialité sarkozienne, développe sa vision historique et politique du destin et de l’identité de la France.

Loin des poncifs de l’idéologie « moderniste » et de son carcan politiquement correct, Patrick Buisson dévoile toute la profondeur, la force et la complexité d’une pensée qui s’alimente aux sources de l’histoire longue. La mémoire n’est pas un fardeau, mais un gisement infini de ressources et de sens qui permet de comprendre le présent et d’agir sur l’avenir. La tradition, enfin, est le garant du respect de l’identité profonde d’une société menacée dans sa survie par les assauts répétés de l’individualisme consumériste et la perte de conscience identitaire. Une identité qui, pour Patrick Buisson, se rattache d’abord et avant tout à deux millénaires d’histoire chrétienne de l’Europe.

Il exprime magistralement la révolte d’un esprit enraciné face à la déliquescence d’une civilisation qui renie ses racines. L’auteur, comme tout penseur « réactionnaire » digne ce nom, est un pessimiste qui espère et se confronte à l’optimisme à front de bœuf du « progressisme » béat.

Face à la démission et à la trahison des élites, Patrick Buisson en appelle au peuple que ses dirigeants ont abandonné aux violences de l’histoire. Mais un peuple fracturé, sans repères et sans mémoire, bousculé sur son propre territoire par des nouveaux venus qui perçoivent sa faiblesse, peut-il trouver en lui-même les ressources pour sa survie ? Ne dit-on pas que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent ?

La réponse de l’auteur relève du domaine de l’espérance chrétienne : « Quelque chose doit jouer qui est de l’ordre de la réaction vitale, de l’instinct de conservation… ». L’Histoire, peut-être, n’a pas dit son dernier mot ? Après tout, le peuple américain ne vient-il pas d’infliger un cinglant camouflet à l’Establishment qui le domine depuis tant d’années ?

Didier Beauregard
10/11/2016

Patrick Buisson, La cause du peuple / L’histoire interdite de la présidence Sarkozy, éd. Perrin, septembre 2016, 464 pages.

Correspondance Polémia – 10/11/2016

Image : L’ouvrage, le héros et l’auteur

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