Accueil | Exclusivité Polémia | Cycle : Le patriotisme pour sauver la France

Cycle : Le patriotisme pour sauver la France

Cycle : Le patriotisme pour sauver la France

Ivan Blot, conférence du 19 septembre 2016

♦ Conférence n°1 – La figure de la Mère Patrie

Le patriotisme n’est pas « une idéologie » comme le socialisme, par exemple. Il ne repose pas sur une analyse intellectuelle de la société dans la prétention de la réformer par le haut. Le patriotisme a un socle affectif, et c’est pourquoi il est un moteur, une source d’énergie primordiale.


Depuis que les hommes existent, ils ont montré qu’ils étaient prêts à mourir pour leur famille, pour leur patrie ou pour leur dieu. Staline lui-même, communiste et athée, fit appel à l’amour de la mère patrie, la Sainte Russie, pour mieux lutter contre Hitler. Il n’a pas appelé, à l’heure d’un péril mortel, à combattre pour sauver le socialisme !

Autre exemple, celui du général De Gaulle lorsqu’il fonde le mouvement de résistance à l’occupation allemande, « la France libre ». Il refuse tout d’abord de lui donner comme devise « Liberté, Egalité, Fraternité », devise trop politique et intellectuelle à son goût. Il choisit « Honneur et Patrie » et cette devise restera la devise officielle pendant un an.

Aujourd’hui, devant le défi de l’islamisme révolutionnaire, se réclamer de la République, de la liberté ou de la sécurité sociale a un côté assez dérisoire. Face au fanatisme de soldats djihadistes qui ne craignent pas la mort au nom de leur Dieu, il faut en appeler au Sacré. Les Soviétiques appelèrent la guerre contre Hitler « la guerre sacrée ». Le patriotisme comporte cette composante du Sacré. L’hymne de la République française comporte dans un de ses refrains les paroles : « amour sacré de la Patrie ». Le poète n’a pas écrit : « amour sacré des droits de l’homme » ! L’hymne de la IIe République (1848-1852) montre la valeur incarnée et non abstraite de la patrie : « Allons dit le soldat aux armes ! C’est ma mère, je la défends ! »

On ne peut pas écrire : la Déclaration des droits de l’homme est ma mère, ou même la Liberté est ma mère. L’abstraction reste l’abstraction et vouloir en faire un dieu mène au massacre, comme on l’a vu notamment avec les Révolutions française et russe, ou plutôt jacobine et bolchevique ! Le grand poète romantique Friedrich von Schiller, auteur des tragédies La Pucelle d’Orléans et Guillaume Tell, a écrit que la barbarie se manifeste lorsque les principes abstraits ruinent les sentiments humains. C’est exactement ce que nous connaissons dans la France d’aujourd’hui :

Un député veut interdire les crèches dans les mairies à Noël, une Cour de justice européenne veut interdire les crucifix dans les écoles, le mot « Patrie » est banni du langage politique. Les sentiments traditionnels doivent céder la place à la froideur des seuls principes juridiques abstraits du style de l’interdiction de toute discrimination (sauf par l’argent, bien sûr). Notre société est froide, incapable de réchauffer les cœurs, même lorsqu’il s’agit de la défendre. Seule une compassion de façade est tolérée et il est bien vu de se comporter comme les pleureuses que l’on payait à Rome sur le passage d’un défunt !

Patriotisme et idéologie

Il faut donc bien distinguer le patriotisme d’une idéologie politique moderne. Le patriotisme est quelque chose de bien plus ancien que l’idéologie. Si la patrie est notre mère, et si l’on lui doit notre langue maternelle, notre culture, nos valeurs, notre raison de vivre, elle est nécessairement plus importante et plus « naturelle » que n’importe quelle idéologie. On ne doit pas au libéralisme ou au socialisme notre langue et notre culture. Au contraire, ces idéologies utilisent notre langue et notre culture pour s’exprimer. Le patriotisme, amour de la patrie, engage tout l’humain dans l’homme : raison, sentiment et instinct. L’idéologie est avant tout intellectuelle et froide. Elle pousse à sacrifier les sentiments humains. Elle prétend définir sa morale face aux traditions et vise la vertu à sa manière. Dans sa forme révolutionnaire qui autorise la violence, elle va identifier la vertu et la terreur : c’est Robespierre, Staline, ou même Hitler. Dans sa forme modérée, elle récuse la violence brute mais s’efforce d’étouffer toutes les traditions qui font obstacle à son schéma de société. L’idéologie porte en soi un ferment plus ou moins grand d’inhumanité.

Politiquement, l’idéologie divise alors que l’amour de la patrie rassemble. L’idéologie peut faire passer l’intérêt étranger avant l’intérêt national. L’idéologue se méfie du patriotisme car il considère que l’allégeance à l’idéologie doit passer avant toute autre fidélité, patriotique ou religieuse, ou familiale.

La cause finale de l’amour de la patrie relève de la tradition. C’est une valeur ancienne léguée par les siècles et qui n’a pas été inventée par un petit père du peuple. Les peuples patriotes ont plus de chance de survivre dans l’histoire que ceux qui ne le sont pas. Les idéologies passent et le patriotisme demeure. On parle de la France éternelle. Il est plus difficile de parler du communisme ou du libéralisme éternel. L’histoire montre le caractère transitoire des idéologies. Parler de libéralisme ou de communisme au Moyen Age n’a guère de sens. De ce point de vue, Marx n’avait pas tort : il y a une histoire des idéologies et celles-ci émergent, se développent et meurent sur des périodes moyennement longues.

La cause finale d’une idéologie est le produit d’une construction. On « construit », ou l’on croit construire, la société socialiste ou bien la démocratie. Mais une démocratie fondée sur une tradition ancienne, comme c’est le cas en Suisse, est bien plus solide et efficace qu’une démocratie imposée de l’extérieur ou par une révolution, quelle que soit sa couleur, orange, grise, brune ou rouge. Cette dernière est d’ailleurs souvent une démocratie purement formelle, qui masque la réalité politique de l’oligarchie.

On peut comme Heidegger utiliser la méthode aristotélicienne pour décrire le monde de l’idéologie et le monde du patriotisme avec les quatre causes représentées dans les graphiques qui suivent : la cause finale à gauche, la cause formelle au-dessus, la cause efficiente à droite et la cause matérielle en bas.

Le monde de l’idéologie

Divisions partisanes

Révolution ← idéologie → l’intellect

Durée récente, éphémère

 

 Le monde du patriotisme

Rassemblement national

Tradition ← patriotisme → l’humain

Permanence, survie

Bien sûr, cette opposition n’est pas totale dans le monde réel. Des idéologies se convertissent au patriotisme qui leur était étranger au départ, pour des raisons de survie historique. Ainsi, la France des Lumières jacobines, d’aspiration universelle à ses débuts, devient patriote, surtout à partir de 1792 devant la menace de l’étranger. L’étranger est « requalifié » idéologiquement comme le monde des tyrans, comme il est dit dans le Chant du départ : « Tyrans, descendez au cercueil ! »

Les idéologies aboutissent souvent à affaiblir la patrie. Lorsque la menace se précise, et cela arrive toujours dans l’histoire car l’homme n’est pas intrinsèquement bon, elles cèdent du terrain et font des compromis avec le patriotisme et elles acceptent un moratoire à la destruction des traditions. Sophocle l’avait dit : l’homme apprend toujours à ses dépens et dans la douleur de la tragédie. L’opposition sur le régime économique, la droite et la gauche, devient alors secondaire car la figure de l’ennemi apparaît et conduit à la réconciliation nationale. Dans le même temps, la politique, qui est la désignation intelligente de l’ennemi (Carl Schmitt et Julien Freund) reprend ses droits face à l’emprise de l’oligarchie technocratique qui remplace la grande politique par l’administration prosaïque.

Art patriotique et art idéologique

Examinons le domaine de l’art. L’art exprime l’âme d’une époque. La science ne sort pas du domaine de l’intellect, donc des moyens et non des fins. C’est une erreur de vouloir bâtir une civilisation sur les sciences et les techniques exclusivement, comme le dit très bien le personnage de Chatov dans Les Démons de Dostoïevski. Comme l’avait prévu Nietzsche pour le XXe siècle : « Un siècle de barbarie s’avance et la science se mettra à son service ». C’est exactement ce qui s’est passé avec la Seconde Guerre mondiale notamment.

La décadence est un monde où l’économie écrase la famille, où la science écrase l’art, où le droit écrase l’armée et où la morale abstraite écrase la spiritualité. Le chef d’entreprise l’emporte sur le chef de famille, le technicien est plus important que Beethoven ou Michel-Ange, le juriste conformiste est plus glorifié que le héros militaire, et Tartuffe l’emporte sur Jésus-Christ ! Or, il faut un équilibre dans chacune de ces catégories : l’art doit être aussi respecté que la technique, la famille que l’argent, etc.

Donc, loin de nous l’idée de mépriser l’art, qui exprime tout selon les époques : il y a un art décadent comme un art figé dans l’académisme, comme un art triomphant qui associe création et tradition. L’art va donc exprimer le patriotisme ou son absence, Dieu ou sa disparition, l’idéologie du moment et ses obsessions.

On retrouve le contraste entre l’art patriotique et l’art idéologique dans l’art officiel. On peut opposer les statues « charnelles », celle de la mère patrie à Volgograd (Russie) ou celle de la Marseillaise de Rude sur l’Arc de Triomphe de Paris, aux statues idéologiques maçonniques que sont la statue de la Liberté à New York ou celle de la République à Paris !

La République porte un Bonnet phrygien qui fut l’insigne principal de la République en 1793 et 1794 sous la Terreur ! La statue de la Liberté porte un flambeau qui éclaire mais qui ne réchauffe pas !

Les statues patriotiques de l’Arc de Triomphe à Paris et de la colline de Mamaï à Volgograd sont en pleine action : elles appellent les citoyens au combat héroïque. Elles mobilisent les passions pour la défense de la patrie. Elles sont profondément humaines parce que profondément tragiques.

Les statues de la Liberté et de la République sont figées, l’une avec un flambeau, l’autre avec un rameau d’olivier, symbole de paix et une déclaration des droits de l’homme. On est dans l’abstraction. La Liberté est accompagnée d’un poème d’Emma Lazarus qui critique les « pompes » des vieilles civilisations et qui promet aux masses déracinées de s’enrichir au plus vite : « De mon flambeau j’éclaire la porte d’or ». D’un côté des promesses, de l’or, des droits et la paix ; de l’autre, l’appel à l’héroïsme et au sacrifice.

Les visages reflètent les différences d’idéaux. Celui de la statue de la Liberté est glacé, presque renfrogné ! Celui de la République respire l’autosatisfaction. Celui de la statue de Volgograd exprime l’énergie guerrière et le courage héroïque. Tout ceci n’est pas anodin.

On pense à l’épreuve des trois coffrets dans Le Marchand de Venise de Shakespeare. Le marchand Antonio veut sélectionner un bon prétendant pour sa fille Portia. Il place chez lui trois coffrets, un d’or, un d’argent et un de plomb :

–sur le coffre en or est écrit : « Qui me choisit aura ce que beaucoup d’hommes désirent », c’est l’esprit de la statue de la République ;
–sur le coffre d’argent est écrit : « Qui me choisit aura ce qu’il mérite », c’est l’esprit de la statue de la Liberté ;
–sur le coffre en plomb est écrit : « Qui me choisit devra risquer et donner tout ce qu’il a », c’est l’esprit de la statue de la mère-patrie à Volgograd.

Dans la pièce de Shakespeare, celui qui choisit le coffre d’or, un prince maure, est éconduit car il désire ce que souhaite le vulgaire. Celui qui choisit le coffre d’argent est éconduit car c’est un niais qui se rengorge stupidement de ses mérites : cet homme n’aime que lui, c’est un Narcisse, comment pourrait-il faire un bon mari ? Par contre, Bassanio choisit le coffre de plomb car son amour fait qu’il est prêt à risquer et à donner tout ce qu’il a. Ce n’est pas très différent de ce qu’exige l’amour de la patrie incarnée par la statue « La Mère Patrie appelle ! » à Volgograd.

L’amour de la patrie est un amour et, à ce titre, peut faire bon voisinage avec le christianisme. L’avidité pour l’argent (on met la liberté en avant car c’est plus valorisant !) ou l’affirmation des droits (on est discret sur les devoirs) sont en concurrence avec l’idéal religieux, comme on le verra plus tard.

L’enfer est pavé de bonnes intentions

L’amour de la patrie, c’est l’amour de sa mère à qui l’on doit sa langue et sa civilisation. Ce n’est pas une idéologie. L’amour est en concurrence avec l’idéologie. L’amour de la patrie coexiste avec le christianisme, comme Jeanne d’Arc en donne l’exemple en France. Par contre, les idéologies supportent mal le christianisme car elles se prétendent, sans le dire, un succédané de religion. L’idéologie aujourd’hui tend à effacer l’amour de la patrie et aussi le christianisme. Pourtant, on a vu ce qu’ont fait les idéologies avec Robespierre (au nom de la vertu et de la liberté !), Hitler (au nom de la race et du chauvinisme) ou Pol Pot (au nom du socialisme).

L’amour de la patrie est exigeant, demande un certain effacement de l’ego, exige un altruisme total, accepte de voir la vérité, et donc l’ennemi, en face. Tout cela demande une vertu qui n’est plus aujourd’hui la principale : le courage !

Le culte de l’argent appelé culte de la liberté, le culte des droits et de la paix sont beaucoup plus aimables dans un premier temps.

Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Boulgakov, dans Le Maître et Marguerite, décrit le personnage du diable qui s’appelle Woland comme un homme qui a un œil vert pour donner l’espoir aux hommes et un œil noir qui les conduit vers la mort et la destruction. Les idéologies, surtout si elles sont révolutionnaires, donnent toujours plein d’espoir. Tout le monde sera libre, riche, heureux ! En pratique, on a la dictature, la pauvreté, la terreur. C’est pourquoi il faut se méfier des idéologies.

Les traditions sont plus modestes : elles exigent des hommes de remplir leurs devoirs, de réfréner leurs instincts, de respecter les autorités, bref, toutes sortes de choses qui peuvent être désagréables. Les traditions souvent heurtent les conclusions de la logique abstraite et toujours pratiquement appellent à la répression des instincts chaotiques. Elles ont été sélectionnées par l’histoire, non parce qu’elles faisaient plaisir mais parce que le fait de leur obéir conduisaient les hommes à survivre et à se reproduire. C’est la pratique qui a montré leur supériorité.

Il en est de même de l’amour de la patrie, le patriotisme, qui exige des efforts pouvant aller jusqu’à l’héroïsme, voire de sacrifier sa propre vie. C’est la réalité qui conduit à révérer le patriotisme car l’occupation par l’ennemi n’est pas supportable. Les déclarations sur les libertés, les droits, la perspective de s’enrichir, honnêtement ou non, tout cela est beaucoup plus séduisant.

C’est pourquoi ceux qui souffrent comprennent mieux la nécessité du patriotisme que ceux qui vivent dans l’opulence. Dans la plupart des pays, lorsqu’un pays est occupé par l’étranger, les élites pactisent et collaborent. Les résistants viennent soit de l’armée, soit du peuple, des gens modestes. En France sous Vichy, les classes bourgeoises ont majoritairement collaboré. Les Résistants furent des gens du peuple ou bien des aristocrates idéalistes. Les juges à qui l’on donne aujourd’hui toujours plus de pouvoirs sous prétexte qu’ils seraient meilleurs que les hommes politiques ne font pas bonne figure. Seul un magistrat, Paul Didier, refusa de prêter serment au maréchal Pétain !

L’amour de la patrie n’a rien à voir avec l’esprit dominant des élites judiciaires. Même le haut clergé n’a pas brillé par sa résistance à l’ennemi sous l’occupation allemande. En Pologne, le clergé résista beaucoup plus au pouvoir communiste. Par contre, la Suisse montre que le patriotisme et la démocratie peuvent s’associer harmonieusement en dépit des élites, bien souvent.

L’amour de la patrie n’est pas lié à l’importance des diplômes. Ce n’est pas une question purement intellectuelle ; il relève de l’éducation plutôt que de l’instruction. Mais l’histoire a montré qu’on peut aussi faire « l’éducation sentimentale » des citoyens. C’est pourquoi la nouvelle Russie a restauré l’enseignement patriotique et militaire à l’école, ce qu’on serait bien avisé de faire en France, ne serait-ce que pour concurrencer l’amour du martyrologe enseigné par les islamistes. Notre pays a délaissé l’amour de la patrie et commence à en subir les conséquences les plus tragiques.

Notre société centrée sur l’amour exclusif des caprices de l’ego récolte les conséquences destructrices de ce choix : effondrement de la natalité, invasion migratoire dans l’indifférence des citoyens, classe politique narcissique jusqu’à la caricature avec, par exemple, Bruno Lemaire ou Emmanuel Macron.

La montée de la criminalité, l’augmentation des impôts à des niveaux confiscatoires, la stagnation économique entraînant un chômage massif chez les jeunes, la baisse du niveau dans l’éducation nationale, tout cela relève de ce laisser-aller à des instincts chaotiques où le cerveau reptilien prend le dessus dans les âmes des hommes.

Un art sans amour et sans racines

Notre art reflète cet état de chose déplorable. La figure humaine est bannie de l’art contemporain qui est devenu l’art officiel (donc obligatoire) dans les ministères et les préfectures. L’artiste veut rompre avec les traditions et construire des « œuvres » à partir de ses fantasmes arbitraires. L’art est sans doute l’un des domaines où l’utopie révolutionnaire communiste a le mieux réussi. La devise de beaucoup d’artistes contemporains est la même que celle des anarchistes du XIXe siècle : « Ni dieu ni maître » ! Dans ce paysage dévasté, il n’y a plus de place pour l’évocation du patriotisme. L’art contemporain rompt avec 1500 ans d’art français chrétien et il rompt aussi avec la tradition patriotique. On accuse les islamistes fanatiques de détruire les œuvres d’art figuratives mais on fait la même chose : on empêche ces œuvres d’art de naître ; on pratique l’avortement artistique !

Au XIXe siècle, on créait des opéras autour de Guillaume Tell, de Jeanne d’Arc, de Hans Sachs, bref, de personnages patriotiques. Le peuple se retrouvait dans ces représentations à tel point qu’à Bruxelles le public de l’opéra, enthousiasmé par La Muette de Portici, d’Aubert, sortit manifester dans la rue et ce fut la Révolution de 1830. On sait le rôle de certains compositeurs comme Verdi en Italie et Wagner en Allemagne dans les mouvements révolutionnaires de l’époque à la fois nationalistes et libéraux.

L’exemple inouï du Puy du Fou

Actuellement, nous avons en France un bel exemple de spectacle patriotique avec le Puy du Fou de Philippe de Villiers. Cette année, avec plus de deux millions de spectateurs, ce spectacle a connu un succès considérable et ce succès est croissant et attire l’attention dans le monde entier. Ce spectacle a été monté en autofinancement dans le désir de faire connaître l’histoire tragique de la Vendée et, plus généralement, l’Histoire de France. La conscience historique est très liée au patriotisme et le meilleur moyen de remplacer l’amour de la patrie par l’indifférence est sans doute d’effacer la mémoire nationale. C’est comme pour un individu : si celui-ci perd la mémoire, il perd en même temps la conscience de son identité. Le succès du spectacle du Puy du Fou montre que beaucoup de Français sont passionnés par leur histoire collective et qu’il suffit de peu de choses pour raviver cette passion.

L’histoire de la Vendée montre bien le lien qui existe entre la patrie et le sacré. Les Vendéens en révolte contre la révolution totalitaire jacobine voulaient sauver leur religion catholique. Le fait que Philippe de Villiers ait réussi à retrouver l’anneau de Jeanne d’Arc, racheté aux Anglais et placé dans une future chapelle, est emblématique de cette dimension religieuse du patriotisme. Serait-ce un signe du destin, de la Providence ? Dans beaucoup de pays dominés par la colonisation étrangère, l’Irlande sous le joug anglais et la Pologne partagée entre la Prusse, l’Autriche et la Russie, c’est le clergé qui a défendu l’identité nationale et notamment la langue nationale de la population. Vouloir séparer totalement l’histoire de France du catholicisme montre un mépris évident des traditions, pour des raisons purement idéologiques, c’est-à-dire superficielles.

Que le clergé se montre parfois indigne de porter cette mystique n’est pas une objection. C’est un évêque qui est le pire ennemi de Jeanne d’Arc mais cela n’empêche pas celle-ci de conserver sa foi. Il ne faut pas confondre la spiritualité avec le cléricalisme. Ce dernier est humain et il est affligé de tous les péchés de l’espèce. Le haut clergé fait partie socialement de l’oligarchie et il peut donc être tout à fait aveugle aux souffrances et aux intérêts du peuple.

En Russie, l’Etat est laïc mais il reconnaît un rôle social particulier à l’Eglise orthodoxe dû à son rôle éducatif et moral pendant mille ans d’histoire russe. Le laïcisme antireligieux rappelle en Russie le Goulag et les persécutions communistes. Il est donc chargé d’une connotation très négative d’intolérance et de violence car il s’agit d’une mémoire proche. En France, les souvenirs de la Terreur de 1793 et du génocide vendéen sont estompés, de même que les persécutions du « petit père Combe » des années 1900.

Le Puy du Fou trouve son origine dans une inspiration poétique de Philippe de Villiers. Celui-ci, très jeune, a senti cette inspiration le poussant à créer ce spectacle de la mémoire vendéenne. Se promenant sur les sites des charniers où les armées républicaines ont tué d’innombrables enfants innocents, il a eu l’impression que de petites mains sortaient de terre et se tournaient vers lui, implorant le souvenir et une inhumation décente. Philippe de Villiers est un poète au sens le plus noble et historique du terme, comme Homère pour les anciens Grecs. Les scènes du Puy du Fou comme Le Secret de la lance, sur Jeanne d’Arc, Le Dernier Panache, sur Charrette, ou La Cinéscénie, sur les Vendéens, sont des spectacles historiques et poétiques. L’histoire dira si cette poésie peut redonner vie à l’amour de la France mais son succès augure bien de l’avenir.

L’Histoire de France est un roman national. Un roman national, ce n’est pas une analyse sociologique ou un recueil de statistiques. La France s’incarne dans des hommes, souvent héroïques par l’amour qu’ils portent à leur famille, leur lignée, leur patrie et leur Dieu. Cette dimension sentimentale, donc profondément humaine, touche nécessairement le public. Elle est plus forte que l’intelligence uniquement calculatrice qui inspire si souvent de façon exclusive les hommes politiques contemporains.

Le modèle économique du Puy du Fou laisse songeur : autofinancement donc indépendance complète, création de très nombreux emplois, formation de qualité offerte aux Puyfollais, tout cela relève de l’invraisemblable pour un rationaliste à l’esprit étroit.

Ainsi, le spectacle du Puy du Fou fait apparaître un monde avec ses quatre pôles selon Heidegger : l’histoire, le sacré, le roman des hommes et la puissance économique. Au sein de ce monde, les spectateurs respirent un air différent de celui de « l’immonde moderne » dont parlait feu le philosophe Jean-François Mattéi. Ce monde nouveau, qui puise son énergie dans des racines anciennes, peut étendre son influence au pays tout entier. Telle est la force de la poésie créatrice d’histoire comme celle de L’Iliade le fut pour les anciens Grecs par la magie du verbe homérique.

L’art souvent précède l’avenir historique et la théorie qui va le justifier. L’art fait fleurir un monde nouveau car il s’adresse à l’homme tout entier et non au seul instinct ou à la seule raison. L’amour de la patrie est une donnée de l’humanité libre qui peut sécréter une énergie considérable. Il y a un art inspiré par l’amour comme il y a un art inspiré par la mort. Ce dernier trône aujourd’hui dans les palais officiels mais il ne porte en lui aucune force de renaissance. L’art patriotique a un destin lié aux forces de l’amour. Il y a en lui un parfum d’éternité !

Le retour du patriotisme

Le retour du patriotisme est une chose probable. Il faut le souhaiter sinon notre peuple disparaîtra. Dostoïevski fait dire à Chatov, dans Les Démons, qu’un peuple a vocation à s’étendre et à accroître son influence. Tout peuple a cette vocation, c’est pourquoi les conflits existent. Ce ne sont pas des conflits entre les forces du bien et les forces du mal ; c’est l’idéologie qui fait croire à cette vision simpliste en même temps que meurtrière : voyez toutes les guerres récentes qui sont issues de cette vision manichéenne qui s’est emparée des Etats-Unis !

Les conflits entre les nations sont le produit des forces de la vie. On peut et on doit souhaiter les réguler afin de maintenir la paix. Mais c’est une dangereuse utopie de croire qu’ils vont disparaître.

Chatov le fait remarquer (*) :

« Aucun peuple au monde ne s’est encore forgé sur une base de science ou de raison (le droit) (…) la raison et la science dans la vie des peuples, toujours, maintenant et depuis le début des siècles, n’ont assumé qu’une fonction secondaire, une fonction de service, et il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps. Les peuples sont créés et animés par une force toute autre, une force qui les domine et les subjugue mais dont l’origine nous est inconnue et inexplicable. (…) C’est la force de l’affirmation continuelle, infatigable, de sa propre existence et de la négation de la mort. L’esprit de la vie, comme le dit l’Ecriture, (…) un principe esthétique (…) un principe moral (…) la recherche de Dieu. (…) il n’y a encore jamais eu de peuple sans religion, c’est-à-dire sans idée du bien et du mal. (…) Quand les peuples dépérissent, la distinction entre le bien et le mal commence à s’effacer. Jamais la raison n’a été en état de définir le mal et le bien, ni même de séparer le mal du bien (…) la science, elle, n’a pu autoriser que la force. »

Une nation ne peut survivre sans poésie nationale, sans un roman national qui émeut et mobilise les énergies. Ce roman national est bien plus important que la Constitution. L’Histoire de France, c’est notre identité, la Constitution n’est que l’expression d’une idéologie, toujours provisoire. Ce n’est pas le texte de la Constitution ou de la Déclaration des droits de l’homme qui a créé notre conscience nationale puisqu’elles sont beaucoup plus tardives alors que notre conscience nationale remonte au moins à Jeanne d’Arc, si ce n’est à Clovis.

La conscience nationale existe-t-elle encore ?

Un sondage ODOXA de novembre 2015 montre que 93% des Français sont attachés au drapeau tricolore (97% à droite et 88%à gauche). 61% des Français souhaitent voir des drapeaux sur les façades des maisons privées, comme en Suisse. Le fabricant de drapeaux Doublet a doublé ses ventes depuis les attentats.

Un sondage du 19 mars 2015 (Win Gallup International) tempère ce constat : au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, 83% sont prêts à se battre pour leur pays. Ce chiffre tombe à 10% aux Pays-Bas, 11% au Japon et à 18% en Allemagne. Il est de 27% au Royaume-Uni et de 29% en France, mais de 44% aux USA. Ce taux est de 60% en Russie (20% disent non) et de 70% en Chine et en Finlande.

Une majorité de Français souhaite le rétablissement du service militaire. Le balancier de l’histoire, autrefois favorable à la rupture révolutionnaire, semble être reparti dans le sens opposé. La Russie communiste est devenue traditionaliste et patriotique. L’Europe de l’Est a pris un tournant analogue : on le voit en Hongrie ou en Pologne de façon très claire. En Europe occidentale, les oligarchies au pouvoir ont perdu le sens de la patrie au profit du calcul individuel et du matérialisme. Une réaction prend de l’ampleur : on l’a vu avec le Brexit et on le voit avec la montée des mouvements qualifiés de populistes, en France, aux Pays-Bas, en Italie, au Danemark et même en Allemagne !

Un fossé s’élargit entre les élites cosmopolites rationalistes – mais qui sous ce vernis idéologique sont prisonnières des instincts les plus vils – et un peuple qui supporte de moins en moins la tutelle d’une oligarchie sans morale.

Il est bien connu que dans des circonstances tragiques les idéologies froides reculent dans l’opinion et le patriotisme connaît une renaissance. C’est ce qui risque d’arriver dans un futur proche. D’un mal (le terrorisme islamique, par exemple) peut naître un bien (le renouveau des valeurs traditionnelles) : Héraclite avait déjà découvert cela il y a 2600 ans !

Ivan Blot
17/09/2016

Note :

(*) Fiodor Dostoïevski, Les Démons, tome 2, Coll. Babel, p.77.

Voir : Cycle : Le patriotisme pour sauver la france – Conférence n°1 – Ivan Blot

Correspondance Polémia – 20/09/2016

Image : Monument aux morts de Strasbourg
Pour faire honneur aux morts, une Pietà laïque a été élevée. Ce monument représente la Mère Patrie tenant sur ses genoux deux enfants mourants qui représentent ses deux fils.

 

Cet article vous a plu ?

Je fais un don

Soutenez Polémia, faites un don ! Chaque don vous ouvre le droit à une déduction fiscale de 66% du montant de votre don, profitez-en ! Pour les dons par chèque ou par virement, cliquez ici.

Voir aussi