L’anglo-saxonisation de la France

dimanche 2 février 2003
La France aime à affirmer son indépendance vis-à-vis des puissances anglo-saxonnes : elle l’a encore montré avec vigueur lors de la guerre d’Irak. Et elle se bat dans les enceintes internationales pour défendre son « exception culturelle ». Et pourtant elle s’anglo-saxonnise à grande vitesse.

L’hygiènisme triomphe dans les campagnes sanitaires. Le rigorisme protestant s’impose sur les routes. La « discrimination positive » se développe dans les administrations, les entreprises et les médias.

L’hygiénisme

La campagne menée contre le tabac depuis dix-huit mois est sans précédent en France : elle s’est faite sur un modèle anglo-saxon (ou protestant) : hausses fiscales massives, culpabilisation des fumeurs et contre-publicités agressives.

Puissamment soutenue dans les médias où le tabac, contrairement au cannabis, est jugé politiquement incorrect, la campagne anti-tabac a balayé toutes les résistances malgré le mécontentement des buralistes, le développement de la contrebande et la banalisation croissante du « H ».

La répression routière

La mise en œuvre de moyens modernes (le contrôle automatisé de la vitesse par radars) et sa surmédiatisation, de même qu’une répression beaucoup plus sévère des chauffards ont changé la donne en matière de lutte contre les infractions routières, rebaptisées « délinquance routière ».

Là aussi l’action du gouvernement a été puissamment relayée par les médias, bien que son rigorisme d’esprit protestant aurait pu heurter l’esprit fondeur des Français : il y a simplement dix ans, sanctionner le premier kilomètre d’excès de vitesse aurait été impensable. Or ce ne sont pas les « machines » qui ont pris cette décision, ce sont les ministres. Et ils s’en sont politiquement et médiatiquement bien portés. Avec d’ailleurs des résultats très positifs s’agissant du nombre des tués en forte diminution.

La discrimination positive

En défendant publiquement la discrimination positive, en novembre 2003, lors de l’émission « 100 minutes pour convaincre », Nicolas Sarkozy a choqué.
Et pourtant, la discrimination positive est bel et bien en route.

Symboliquement, la nomination d’Aïssa Dermouche comme préfet « issu de l’immigration » est un signe particulièrement fort destiné à servir d’exemple.

Les grandes entreprises s’apprêtent d’ailleurs à s’aligner sur cette attitude : c’est ainsi que l’Institut Montaigne lancé par le fondateur d’AXA, Claude Bébéar, a publié un rapport rédigé par Yazid Zabeg (www.institutmontaigne.org) appelant les entreprises à signer une « charte de diversité » en faveur des « minorités visibles ».
Ce vocable - issu directement du monde anglo-saxon et prenant en compte les distinctions d’origine raciale - est d’ailleurs en train d’envahir le vocabulaire politique et médiatique français.

Sous le titre « la télévision prend des couleurs », le Monde télévision du 26 janvier décrit les politiques ethniques de LCI, TF1, France 3 et M6 et rappelle que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) multiplie, dans ses conventions avec les chaînes, « les dispositions visant à la représentation à l’antenne de la diversité des origines et des communautés ».

Nous sommes donc là manifestement au début d’un processus qui vise à terme à remplacer la traditionnelle vision française assimilationniste et républicaine par une vision multicommunautaire à l’anglo-saxonne.

Un homme politique français a parfaitement intégré cette évolution dans ses conceptions : Nicolas Sarkozy. Son opposition à Jacques Chirac ne trahit pas seulement une simple « fringale du pouvoir », elle révèle aussi l’affrontement deux visions différentes du futur français.

Que font les « wasp » français ?

Reste que le modèle américain, ce n’est pas seulement la lutte contre le tabac, la répression des infractions routières et la discrimination positive pour « les minorités visibles ».

C’est aussi une politique de tolérance zéro pour tous les crimes et délits qui aboutit à la mise en détention de 2 millions de personnes… dont 700 000 noirs. Les partisans français du modèle américain sont-ils prêts à des choix comparables ? On peut en douter. Serait-ce souhaitable ? Ce n’est pas certain.

De même, le modèle américain, c’est l’acceptation pleine et entière des différences communautaire et la liberté d’en parler :
1. avec des statistiques par origines raciales (noirs, asiatiques, indiens, blancs) ou ethno-culturelles (hispaniques), avec la création récente d’une catégorie nouvelles BNH (Blancs non hispaniques) ; les gouvernements français sont-ils prêts à charger l’Institut national d’études démographiques (INED) d’études comparables ? Les tribunaux sont-ils prêts à tolérer sans poursuivre et encore moins condamner des travaux de ce type ?
2. avec la liberté de parole et d’écrits sur tous les sujets garantie par l’amendement n°1 à la Constitution américaine qui protège les libertés d’expression et de communication, fortement « encadrées » en France par les lois Pleven (1972) et Gayssot (1990) ;
3. avec la liberté de préférence qui juge normale l’existence de quartiers voire d’immeubles ethniques, à l’opposé des prétentions à la « mixité sociale » - c’est-à-dire ethnique - des politiques françaises ; la liberté de préférence rend d’ailleurs possible l’existence de règlements de co-propriété permettant aux habitants de sélectionner leurs voisins… y compris sur critères ethniques.
4. avec la reconnaissance du rôle directeur d’une communauté particulière, longtemps les « wasp » (White Anglo-Saxon Protestant) ; communauté élargie aujourd’hui aux « Blancs non hispaniques » ; communauté qui fixe encore les règles dominantes de la société américaine (elle restera majoritaire jusqu’en 2020) et qui ne se mélange guère aux autres ; c’est l’autre particularité du modèle américain : donner au monde l’image d’une société multiraciale et multiculturelle, mais refuser pour elle-même le métissage et cultiver au contraire les différences au point de multiplier les « publicités ethniques ».

On le voit, ceux qui introduisent en France avec gourmandise le modèle américain sont loin d’en avoir tiré toutes les conséquences !


Julien Finet
27/01/2004
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