« La Chine, une bombe à retardement » de Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier

dimanche 11 novembre 2012

André Posokhov a lu pour Polémia La Chine, une bombe à retardement de Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier : un livre qui souligne les incertitudes majeures du géant chinois au moment où celui-ci renouvelle ses dirigeants dans le cadre fermé du parti communiste.
Polémia.

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Le constat apparaît aujourd’hui évident. L’émergence économique de la Chine constitue une réussite éclatante. Ce pays est devenu la 2e puissance économique mondiale.

Depuis 1977, année des « quatre modernisations », la Chine a connu une croissance d’environ 10% chaque année, multipliant ainsi son PIB par 19 en 35 ans. Durant cette période de croissance la ressource en main-d’œuvre est apparue illimitée, la population étant au départ largement rurale. Cela a permis une stratégie de revenus salariaux faibles.

Mercantilisme chinois, sinobéatitude de l’Occident

Les Chinois ont couplé cet avantage compétitif avec une politique monétaire agressive en maintenant les taux d’intérêt réels à un niveau négatif alors que le taux de croissance atteignait en moyenne 10% par an ; ils ont également pratiqué un dumping monétaire systématique grâce à une sous-évaluation chronique du yuan d’environ 38%.

Depuis son entrée dans l’OMC en 2001, la Chine est devenue en une décennie la première puissance exportatrice de la planète. Cette politique mercantiliste a permis à la Banque centrale d’accumuler suffisamment de dollars pour devenir le premier détenteur de réserves de change au monde.

Face à cette politique égoïste et agressive, les Occidentaux ont fait preuve d’une complaisance étonnante. Saisi de « sinobéatitude », l’Occident a tout accepté sans réelles contreparties.

De ces caractéristiques de l’économie chinoise et de cette politique ultra-agressive de développement il résulte une bulle généralisée.

La bulle chinoise est proche de l’éclatement

Les autorités ont dû, du fait de la crise mondiale, trouver des relais de croissance au commerce extérieur, non dans la demande interne mais dans un surinvestissement massif en lançant un gigantesque plan de relance en 2009 et en incitant les banques à financer tous les projets en cours. En trois ans la dette totale a rejoint celle des grands pays industrialisés, avec 222% du PIB contre 220% pour la zone euro. La dette publique atteint 69% du PIB. La planche à billets a fonctionné à plein régime alors que les taux d’intérêt ont été maintenus à un taux très bas. Cet engrenage infernal du crédit concerne particulièrement les collectivités publiques au travers de programmes d’infrastructures démesurés, dont l’utilité est contestable et qui expose les banques à des taux de défaut à venir élevés.

Devant la captation du crédit bancaire par la sphère publique, la sphère privée s’est tournée vers les réseaux de financement parallèle : le « financement de l’ombre ». Non régulées, insuffisamment capitalisées, aux structures opaques, sans système d’information financière digne de ce nom, ces 7000 entreprises de crédit représentent 45% du financement des entreprises privées en 2011. Le risque encouru est celui d’un effondrement du crédit et de faillites en chaîne.

On constate une véritable « fuite en avant » des investissements en infrastructures afin de maintenir l’activité et la croissance. L’exemple du ferroviaire à grande vitesse est particulièrement cité. Aujourd’hui, bon nombre de projets sont à l’arrêt.

Le symptôme le plus grave de la surchauffe de l’économie chinoise est l’explosion de l’investissement immobilier public et privé à un niveau spéculatif inégalé : 15% du PIB en 2011 contre 12,1% en Espagne ! En fait la Chine se situe dans la position des Etats-Unis en 2006 avant la crise des « subprimes ».

Pour les autorités chinoises que les auteurs jugent dépassées par les événements, le défi est jugé comme très difficile à relever. Dans la crise qui s’annonce le « financement de l’ombre » et le financement incontrôlé des organismes publics par les banques constituent le vecteur de propagation de la bulle le plus redoutable, qui amènera les banques à essuyer de lourdes pertes et à constituer des provisions impressionnantes.

En définitive, les auteurs jugent qu’il convient de se montrer extrêmement prudent dans le moyen terme à l’égard de l’économie chinoise qui se révèle d’une grande fragilité en raison, notamment, de la précarité de son système de financement.

La société chinoise perd ses repères

Le littoral a profité de l’expansion économique et concentre les 2/3 de la richesse créée alors qu’il ne représente que 14% de la superficie du pays. Il est apparu une coupure en deux du territoire qui a aggravé considérablement les inégalités entre les régions. Cette inégalité a été renforcée par le départ massif des campagnards chinois vers les villes. Ce phénomène arrive à son terme et le réservoir de migrants est en train de s’épuiser. Les entreprises se voient contraintes d’augmenter substantiellement les salaires. Un des atouts maîtres de la Chine, le bas coût de sa main-d’œuvre, est ainsi en cours de disparition.

Le rythme de croissance de la population connaît un net ralentissement et la population chinoise va connaître un vieillissement accéléré plus rapide que dans les pays occidentaux à cause, principalement, de la politique de l’enfant unique mais aussi du fait de la cherté de la vie et du coût des logements. Autre déséquilibre démographique propre à la Chine, le déficit de femmes est inquiétant et « constitue une véritable bombe sociétale et économique ». Cela est dû à un taux de masculinité à la naissance le plus élevé au monde, lié à la volonté de faire en sorte, dans le cadre de la politique de l’enfant unique, que cet enfant soit un garçon.

Les Chinois, en dehors des plus riches, ont le sentiment que leur niveau de vie relatif est inférieur à ce qu’il était il y a 10 ans. A cela s’ajoute une aggravation des inégalités pour deux raisons : le partage de la valeur ajoutée est l’un des plus défavorables du monde et le montant des revenus cachés (corruption, évasion fiscale, etc.), qui représenterait 20% du PIB, est colossal. Avec une 75e place au classement de Transparency International la Chine est très mal placée.

Cette inégalité se retrouve dans l’accès à l’école et à l’instruction, notamment entre les jeunes ruraux et les élèves d’origine rurale d’une part, et, d’autre part, les citadins de souche, notamment du fait du coût exorbitant de la scolarité. La Chine reste très en retard dans le domaine de l’enseignement par rapport à ses voisins asiatiques.

La menace sur les ressources

L’autosuffisance agricole et alimentaire chinoise est mise en péril notamment du fait de la forte dégradation des sols. La croissance de la population chinoise et les modifications des habitudes alimentaires devraient conduire la Chine à dépendre de plus en plus de l’extérieur pour se nourrir. A cela s’ajoute la forte dégradation de la qualité des produits alimentaires chinois livrés à la consommation qui constitue un fléau national.

L’économie chinoise se trouve en forte surconsommation de matières premières qui pousse les prix vers le haut et provoque une baisse de la profitabilité des entreprises. C’est surtout dans le domaine de l’énergie que la consommation de la Chine apparaît « insoutenable ». Elle figure en tête de la croissance de la consommation d’énergie mondiale et a recours avant tout aux énergies fossiles.

Il résulte de ces constats une très grave menace environnementale, notamment la pollution atmosphérique, dont le coût est gigantesque.

La croissance de la Chine et la démocratie

Le corpus des principes démocratiques et des libertés individuelles est soit absent soit très restreint en Chine. En réalité la Chine n’est toujours pas un Etat de droit. Les auteurs de l’ouvrage relient l’absence d’esprit d’innovation à cette situation. Or pour poursuivre sa course en tête et lutter contre le décrochage économique prévisible, la Chine devrait se tourner vers une innovation de rupture qui exige la « liberté académique ».

Le système est complètement gangrené par la corruption, le clientélisme et le favoritisme. Selon les auteurs, la situation actuelle de la Chine n’est pas sans rappeler celle du Japon des années 1980 et de son « capitalisme de connivence ». La lutte contre la corruption devrait être une priorité qui remettrait en question l’existence du parti communiste alors que le maintien de celui-ci au pouvoir, quoi qu’il en coûte, demeure un impératif absolu des dirigeants actuels. En tout cas elle devrait passer par une modification profonde du processus de recrutement des élites chinoises qui repose largement sur le favoritisme et le népotisme.

Face à l’expression de mécontentements, « la censure médiatique généralisée » est plus que jamais aux commandes, tout comme l’hyperactivité de la police politique.

Les risques à court et moyen termes

Au plan économique le risque est celui d’un décrochage inévitable. A l’image des pays où une bulle de crédit a débouché sur une bulle d’investissement, la probabilité d’un fort décrochage économique dans les deux ans à venir semble aujourd’hui très élevée.

Du point de vue politique, le réveil civique est bien à l’œuvre et menace le pouvoir qui, pour sa part, vit dans la crainte d’une contagion des révolutions arabes et reste crispé sur le « tout répressif ».

Enfin, les risques d’un dérapage géopolitique sont soulignés. On assiste à une montée du nationalisme qui se traduit par les visées de la Chine dans la mer de Chine orientale et du sud et dans l’Océan indien. Dans ce contexte peu favorable, tout ralentissement de l’économie chinoise aura probablement de graves conséquences géopolitiques dans la région.

André Posokhov
9/11/2012

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Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier, La Chine, une bombe à retardement./ Bulle économique, déséquilibres sociaux, menace environnementale : la fin d'un système ? Eyrolles, collection Essais, mai 2012, 162 pages.

Correspondance Polémia – 11/11/2012

Image : 1re de couverture.

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