Les journalistes en perte d'image (2/4)

lundi 15 octobre 2012

Polémia
Cinquième Journée d’étude de la réinformation
Face à la tyrannie médiatique : vers un grand bond offensif ?
« Nouvelles donnes, nouvelles cibles, nouveaux outils »
Samedi 13 octobre 2012
Intervention de Michel Geoffroy
(Deuxième partie)

Polémia publie le texte intégral de l’intervention de Michel Geoffroy, à la cinquième Journée d’étude de la réinformation, organisée par la Fondation Polémia. Etant donné sa longueur, le texte est présenté en quatre parties. En voici la deuxième, les liens des trois autres sont indiqués en fin de la présente publication, comme l’est le Pdf regroupant l’ensemble.

Polémia

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3/
En outre, si des journalistes risquent effectivement leur vie à l’étranger, ce n’est pas plus souvent que d’autres professions, en réalité. Par contre, effectivement, leur captivité, ou leur décès, est beaucoup plus… médiatisée (cf. la libération des journalistes de France 3 Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, devenue un événement d’Etat ; les 4 Français salariés d’Areva et Saton toujours détenus au Niger par AQMI depuis deux ans sont moins médiatisés) !

3.1.
Le nombre de journalistes tués dans le monde varie d’ailleurs sensiblement selon les sources : 66 tués en 2011 selon Reporters sans frontières (RSF), 103 selon l’Institut international de la presse (IPI). En 2010, RSF recensait 57 journalistes tués et l’ONG Presse 105… A noter qu’un tiers des décès concerne l’Amérique latine et que, d’après RSF, les journalistes ont surtout été victimes des groupes maffieux. En dix ans, d’après l’IPI, le nombre de journalistes tués aurait doublé (55 journalistes tués en 2001 ; source AFP du 5/1/2012). Le Comité pour la protection des journalistes recense par ailleurs 179 journalistes emprisonnés au 1er décembre 2011.

Ces statistiques sont, certes, tristes si elles sont vraies mais elles reflètent surtout la progression de l’insécurité et de la violence dans certaines régions du monde. La piraterie, les prises d’otages, les violences armées, les attentats sont devenus ou redevenus monnaie courante aujourd’hui dans certaines parties du monde (ex : au Mexique en 2011 il y a eu 27.199 assassinats, soit une progression des homicides de 306% en 5 ans ; mais le taux d’homicides est en 5e rang derrière celui du Honduras, du Salvador, du Guatemala et de la Colombie… (Le Monde du 24 août 2012). Les journalistes sont exposés mais pas plus que d’autres professions exerçant à l’étranger, malheureusement.

Les salariés français envoyés en mission à l’étranger par leur entreprise représentent environ 50.000 personnes chaque année. En 2008, 59 Français ont été la proie des ravisseurs dans le monde entier. En 2009, plus de 3.000 personnes ont été enlevées dans le monde et ce nombre a augmenté de 70% en 8 ans (sources : Assurance Lloyds et ministère des Affaires étrangères).

3.2. Le nombre de journalistes détenus est aussi heureusement sans comparaison avec celui des prisonniers dans le monde (ex. : plus de 2 millions de détenus aux Etats-Unis qui ne sont pourtant pas un pays totalitaire) ni avec celui des journalistes eux-mêmes (ex. : 37.000 cartes de presse en France).

3.3.
Enfin, ces journalistes ont-ils été tués ou emprisonnés parce qu’ils défendaient la liberté d’expression ou bien parce qu’ils étaient perçus comme un symbole occidental honni, ou bien encore parce qu’ils se trouvaient dans une zone de violences ou de combats, parmi d’autres victimes civiles ? Cela relativise beaucoup la portée du discours et des campagnes compassionnels sur les journalistes victimes de la liberté d’expression !

En réalité ce discours vise à faire du journaliste une catégorie à part du reste de la population. Il témoigne ainsi de la réalité du microcosme médiatique qui est aussi plus large que les seuls journalistes (voir, par exemple, la mort de l’animateur Jean-Luc Delarue, présentée comme un événement national : première page du Parisien, de Paris Match et pleine page dans Le Monde du 26 août 2012 !…)

La classe médiatique, comme le relève Régis Debray dans son essai L’Emprise (2000), présente d’ailleurs beaucoup de caractéristiques de l’ordre du clergé sous l’Ancien Régime, en particulier le privilège de juridiction (celui de n’être jugé que par ses pairs, qui figurait dans la charte des droits du journaliste jusqu’en 2011), le droit de ne pas citer ses sources, qui ressemble un peu au secret de la confession (par contre, le journaliste revendique le droit de ne pas se voir opposer le secret dans l’accès aux sources…), le droit à avoir une conscience (clause de conscience, seule profession à en bénéficier) ainsi qu’un certain nombre de privilèges fiscaux et corporatifs. Les faiblesses de la procédure du droit de réponse établiraient aussi une véritable « autorité de la chose médiatisée », succédané à l’infaillibilité pontificale…

4/
Enfin, l’indépendance des journalistes vis-à-vis du pouvoir, qui est revendiquée comme une valeur cardinale de la profession, est toute relative.

L’image positive du journaliste contre-pouvoir, gardien des libertés, est politiquement, économiquement et sociologiquement dépassée de nos jours.

L’idée que les journalistes courraient le risque d’être soumis à la censure du pouvoir politique en place est tenace dans notre pays car elle continue d’être véhiculée par la profession. Elle repose chez nous sur le mythe du (gentil) journaliste de gauche censuré par le méchant pouvoir ou patron de presse de droite (cf. l’image du groupe Hersant dans les années 1970/80). Elle postule aussi l’existence d’un pouvoir de censure qui serait extérieur au monde du journalisme et qui s’imposerait à lui.

Cette crainte de la censure directe et brutale n’est certainement pas superflue dans certains pays africains ou asiatiques. Mais elle est très réductrice de la réalité française aujourd’hui, qui est beaucoup plus complexe. Elle ne tient pas compte, en effet, de plusieurs phénomènes majeurs :

  • - la censure n’est pas seulement politique : elle est surtout économique et idéologique ;
  • - l’autocensure émane de la profession elle-même ;
  • - les médias sont vis-à-vis du pouvoir dans une relation de complicité et non pas de confrontation : ils véhiculent en outre l’idéologie du pouvoir.

4.1.
D’abord, la censure vise aujourd’hui plutôt non pas les idées « de gauche », qui sont une constituante de l’idéologie dominante véhiculée par le Système médiatique, mais bien au contraire les idées dissidentes et politiquement incorrectes, que l’on pourrait qualifier « de droite » puisque le politiquement correct est avant tout une idéologie de gauche.
Hors les cas, rares mais médiatisés, de poursuites contre des journaux ou des journalistes au titre de la protection de la vie privée, du droit à l’image et de la répression de la diffamation – qui sont normales –, les cas de censure ou de mise à l’écart avérés visent ainsi avant tout les journalistes coupables d’avoir proféré des propos politiquement incorrects : ex. Zemmour suite à ses propos sur la délinquance immigrée, Siné contraint de quitter Charlie Hebdo suite à ses propos sur le mariage du fils de Sarkozy, Ménard pour son livre sur M. Le Pen, Marc Mennessier du Figaro et Frank Hériot de Valeurs actuelles pour avoir émis des doutes sur le caractère accidentel de l’explosion d’AZF en 2001 et qui ont fait pour cela l’objet de poursuites judiciaires, Jean Quatremer, correspondant de Libération, black-listé pour avoir écrit que le problème de DSK était sa relation avec les femmes, etc.
Ou bien il s’agit de journalistes coupables d’avoir critiqué le comportement cynique des nouveaux patrons de presse de gauche (ex. : Andy Routier, du Nouvel Observateur, et sa femme) ou d’avoir critiqué le Système lui-même (ex. : pour son livre de décryptage critique du style rédactionnel du journal Le Monde, Le Monde tel qu’il est, paru en 1976, le journaliste Michel Legris avait été black-listé durablement).
Voir aussi les récentes réactions contre les titres d’un certain nombre d’hebdomadaires jugés excessivement critiques vis-à-vis de F. Hollande.

On ne connaît pas, au contraire, dans notre pays, au XXIe siècle, de cas de censure ou de sanction de journaliste pour avoir défendu l’homosexualité, les bienfaits de l’immigration, l’idéologie des droits de l’homme, l’ouverture des frontières, l’égalitarisme ou pour avoir manifesté son hostilité au catholicisme !

4.2.
Le véritable danger qui menace aujourd’hui les médias n’est pas tant la censure politique que la censure économique et l’autocensure politiquement correcte de la profession elle-même et le conformisme qu’elle installe.

4.2.1.
La censure économique :

A l’exception de quelques stars, les journalistes, et a fortiori les pigistes, sont des salariés du secteur privé en situation précaire, d’autant que les grands médias sont des entreprises capitalistiques soumises à la loi du profit (et aux « dégraissages » périodiques). La menace du chômage est là aussi un facteur de conformisme. Le fait que la très grande majorité des journalistes déclarent une sensibilité de gauche, c'est-à-dire conforme au politiquement correct, en est aussi dans une certaine mesure la traduction.

Selon Harris Interactive (enquête du 9 au 18 mai 2012), près de six journalistes sur dix (59%) estiment d’ailleurs qu’Internet et les réseaux sociaux offrent plus de liberté d’expression aux journalistes que les médias traditionnels (contre 4% « moins » et 37% « autant »).

L’idée qu’une entreprise de presse ne serait pas une entreprise comme une autre ne résiste pas à l’analyse, en outre : les grands médias, de gauche comme de droite, ont appliqué la même politique que toutes les grandes entreprises, à savoir réduction des coûts salariaux, licenciements, économies sur la qualité du produit vendu, rémunérations élevées des dirigeants, comme le montre bien le livre Ils ont acheté la presse de Benjamin Dormann.

On ne doit pas oublier à cet égard l’importance des enjeux économiques de la presse. Selon l’association de la presse d’Information politique et générale (IPG), la presse représente 5% du CA du secteur tertiaire en France (9,7 Mds € en 2010 dont 3,7 de publicité) ; elle représente 65.000 emplois directs et 200.000 emplois indirects. La télévision représente pour sa part un CA de 8,8 Mds € et le cinéma de 1,7 Mds (La Correspondance de la presse du 21 septembre 2012). Or, la presse est en situation difficile : son CA stagne depuis 10 ans (-8,5% depuis 2000) et c’est le seul média qui ait perdu des parts de marché publicitaires (en particulier au profit des sites dits technologiques).

Les grands médias sont ainsi de plus en plus dépendants des subventions publiques, des recettes publicitaires et du pouvoir économique , c’est-à-dire des grandes banques et des grandes entreprises qui sont entrées à leur capital et qui sont les véritables employeurs des journalistes. Ce qui compte pour leur survie économique ce n’est pas de satisfaire leur auditoire (l’audience) ou leurs lecteurs ; c’est, avant tout, de ne pas déplaire au pouvoir politique en place, dispensateur de subventions et de fiscalité préférentielle, et de ne pas déplaire aux annonceurs et aux actionnaires qui apportent les autres ressources essentielles. Et ne pas déplaire non plus au Syndicat du livre CGT !

4.2.2.
L’autocensure idéologique :

Les médias se sont donc normalisés et uniformisés en servant de chambre d’écho aux préoccupations du Système oligarchique : ils sont devenus les militants d’un projet, les dévots d’une croyance, en véhiculant prioritairement les commandements de l’idéologie de ce Système (mercantilisme, cosmopolitisme, libre-échange mondialiste, droit-de-l’hommisme, féminisme, mépris des peuples et des identités, etc.).

C’est ce qui explique que globalement les grands médias vont dans le sens de l’idéologie dominante et ont tendance à censurer les opinions dissidentes : car l’information n’est diffusée que si elle corrobore cette idéologie.

Comme l’écrivait le 25 mai 2011 le rédacteur en chef du Point Hervé Gattegno à propos de l’affaire DSK , « Le rôle des journalistes n’est pas de tout dire mais de dire ce qui est utile à l’information du public ». Il faut traduire : de dire ce que le Système oligarchique juge utile de porter à la connaissance du public.

En fait le Système médiatique est un Système militant : il ne nous présente pas des « informations » mais seulement la lecture politiquement correcte, c’est-à-dire idéologiquement orientée, d’une certaine réalité qu’il a pour fonction de nous faire accepter.

C’est ce que faisait remarquer V. Volkoff à propos de la Pravda, comparée à la presse française. La Pravda, en s’affichant comme un journal d’opinion communiste, ne trompait pas ses lecteurs : chacun savait qu’il reflétait non pas la « vérité » mais la ligne du parti. Avec un peu d’expérience on pouvait même « lire entre les lignes » et approcher une part de la réalité. Mais la presse française prétend hypocritement ne pas avoir de ligne : elle rend de ce fait le décodage de son opinion beaucoup plus difficile au début.

4.2.3.
Si certains journalistes – et principalement les journalistes et les animateurs de télévision – manifestent une attitude arrogante vis-à-vis de la classe politique en général, il ne faut pas considérer pour autant que cela témoigne d’une liberté d’esprit particulière vis-à-vis du pouvoir :

  • - d’abord, cette attitude est d’autant plus prononcée que leur interlocuteur est de droite (il en va de même des « amuseurs » médiatiques, comme l’a montré dans son livre F. L’Yvonnet Homo comicus ou l’intégrisme de la rigolade), ce qui est déjà suspect et renvoie à ce qui a été constaté précédemment sur la censure des idées de droite politiquement incorrectes ;
  • - ensuite, cette attitude ne traduit pas tant une méfiance salutaire du journaliste vis-à-vis du politique que le renversement des pouvoirs qui s’est accompli dans les post-démocraties occidentales : désormais, en effet, c’est l’onction médiatique qui fonde la légitimité politique. En fait, les journalistes télévisuels adoptent un style arrogant non pas parce qu’ils s’opposeraient au pouvoir, mais au contraire parce qu’ils procèdent désormais du pouvoir et qu’ils fondent le pouvoir ; les journalistes adoptent un comportement autoritaire vis-à-vis de ceux qui craignent plus le verdict des médias que celui de l’électeur ;
  • - enfin, les journalistes prétendument impertinents font preuve en général d’une curieuse myopie lorsqu’il s’agit de rendre compte de la réalité du pouvoir en France.
    Par exemple, il suffit de penser à l’omerta ayant accompagné les agissements sexuels de DSK jusqu’à ce que la justice américaine s’en mêle. Ou bien encore à la façon pudique dont la presse rend compte de la multiplicité des liens établis entre le monde de la presse, celui de la finance et celui des cercles d’influence : c’est un cumul des mandats dont on ne parle jamais en France !

Il est d’ailleurs intéressant de voir le nombre non négligeable de politiciens mariés avec des journalistes de premier plan (DSK, Arnaud Montebourg, Jean-Louis Borloo, Bernard Kouchner, François Hollande, etc.) comme une illustration des relations particulières qu’entretiennent le pouvoir et les médias.

4.2.4.
Les journalistes de nos jours ne sont donc pas un contre-pouvoir : le Système médiatique est au contraire dans une relation de complaisance et de connivence vis-à-vis du pouvoir.

Qu’ils le veuillent ou non, les journalistes sont devenus un rouage du pouvoir économique ; ce sont aussi des employés de banque puisque les institutions financières détiennent une bonne part du capital des principaux médias.

Les journalistes exercent en outre un pouvoir sur les esprits : ils contribuent à diffuser la novlangue et à présenter au plus grand nombre une lecture politiquement correcte de la réalité. Ce sont au sens propre les zélés propagateurs de l’idéologie du pouvoir. En fait, les journalistes ne sont pas tant les « victimes » de la censure qu’ils en sont, au contraire, devenus l’instrument. Ils sont, certes, victimes de la censure imposée par les lois mémorielles ou destinées à réprimer les prétendues phobies ou le prétendu racisme, mais ils sont aussi devenus à leur tour des instruments de cette censure, même s’ils aiment se parer parfois des plumes de l’impertinence ou du persiflage, comme les amuseurs.

Il y a donc aujourd’hui une césure profonde entre la déontologie professionnelle des journalistes, telle qu’elle résulte notamment des différentes chartes, et la pratique réelle du Système médiatique pris dans son ensemble.
Il y a aussi une profonde césure entre la réalité et la façon dont elle est retranscrite par le Système médiatique occidental.
Il doit y avoir des journalistes qui en souffrent, mais cela ne change pas pour le moment la réalité du Système. En tout état de cause, ces décalages sont de plus en plus perceptibles par l’opinion. C’est pourquoi l’image du journalisme se dégrade.

A lire :

Les journalistes en perte d’image (1/4)

A suivre :

Les journalistes en perte d’image (3/4)
Les journalistes en perte d’image (4/4)

Texte intégral en Pdf : cliquer ICI

Voir aussi :

Observatoire des médias : soyez informé sur ceux qui vous informent

Polémia – 15/10/2012

Image : le journaliste d’investigation a disparu

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