« Chronique du choc des civilisations » de Aymeric Chauprade (3/3)

mardi 22 novembre 2011

Troisième et dernière partie de la note de lecture de Michel Leblay, consacrée aux « Deux puissances mondiales face aux Etats-Unis », la Chine et la Russie. Par surcroît, l’auteur cite dans son étude l’Inde, le Japon et le Brésil, pour terminer avec quelques considérations sur la puissance des poussées migratoires vers certains continents dont les populations accusent de graves déficits démographiques. Enfin, il conclut par la victoire du « multipolaire » sur l’« unipolaire.

Polémia

Deux puissances mondiales face aux Etats-Unis

La Chine

L’auteur qualifie la géopolitique chinoise à travers cinq éléments distinctifs : l’identité, le mouvement (la colonisation), l’orientation (terrestre plus que maritime), les besoins (recherche de l’autosuffisance), la perception de l’étranger.

La Chine est, dans son identité, « forte d’une unité ethnique et civilisationnelle ». Ethnique, puisque dans sa constitution, le pays des Hans est le rassemblement de « multiples groupes ethnolinguistiques » usant chacun de son propre dialecte oral. Civilisationnel, parce que ses constructions impériales successives se fondent toutes sur une langue idéographique commune, « domaine des mandarins et base de l’Etat ».

« Un rapport original entre ethnie et civilisation » lui a permis de conserver son identité quels que furent les envahisseurs (Huns, Mongols, Mandchous). Le fait que la langue écrite, support de l’Etat impérial, demeura le pouvoir d’une minorité préserva la spécificité identitaire des provinces, dont les populations se mélangèrent peu, et donc « l’unité ethnique du peuple chinois ».

Dans sa construction géographique, le pays des Hans a engagé depuis le deuxième millénaire avant J.-C., une expansion coloniale qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui au Tibet et au Xinjiang, marche musulmane vers l’Asie Centrale. « Telle la colonisation romaine », les Hans procèdent par l’implantation de paysans soldats qui se substituent aux autochtones « par captation de leurs reproductrices ». Ils sont ainsi devenus majoritaires au Tibet et ils représenteraient plus de 40 % de la population du Xinjiang (contre 6 % en 1949). Les deux régions ont un caractère stratégique pour Pékin. Le Tibet, dont la relation avec la Chine est très ancienne a été intégré à la République populaire. Dominant géographiquement l’Inde, il est le château d’eau de l’Empire du Milieu, deux de ses plus grands fleuves y prenant leur source : le fleuve Jaune et le Yang Tsé Kiang. Au Xinjiang, terre de rencontre avec l’islam, où les Hans qui y furent envoyés n’ont cessé de rencontrer des difficultés, les relations avec la Chine s’inscrivent « dans le temps long de l’histoire ». En 1955, la création d’une « région autonome ouïgoure du Xinjiang » traçait « les frontières potentielles d’un projet séparatiste ». Dans les années quatre vingt et quatre vingt dix, la région subit les effets de la guerre d’Afghanistan avec l’influence du fondamentalisme au profit d’un activisme ouïgour. Le soutien de la Turquie, animée par son panturquisme, cessa en 2003 avec la reconnaissance par Ankara de la souveraineté de la Chine sur la province. Pour autant, le séparatisme ouïgour se manifesta encore par des émeutes en juillet 2009.

« Civilisation de paysans accouplée à la force de conquérants nomades », l’Empire du Milieu a toujours privilégié la terre au détriment de la mer. Les mandarins du XVIe siècle, « tout occupés » à l’administration interne proscrivirent la construction de navires à plusieurs mâts au moment où l’Europe « ouvrait les grandes routes océaniques ». Les nouvelles ambitions maritimes affichées depuis les années soixante dix ne contredisent pas radicalement le principe originel. Il s’agit, tout d’abord, d’interdire à Taïwan, en voie d’intégration économique, toute velléité d’indépendance qui mettrait en cause l’unité continentale, la Chine méridionale étant, de plus en plus, liée dans son développement à l’ile. Ensuite, la progression vers l’Océan Indien s’explique par la nécessité de garantir les approvisionnements. Mais après avoir affirmé sa puissance le long d’une chaîne d’iles courant du Japon à la Malaisie, rencontrant une diaspora en expansion dans les pays de l’ASEAN, la Chine pourrait être amenée à contester la suprématie américaine des Kouriles jusqu’aux Mariannes et aux Carolines.

Marquée dans son histoire par des catastrophes naturelles et des famines qui firent de l’enjeu alimentaire et de la gestion de l’eau « la raison d’être essentielle d’une bureaucratie forte et de collectivisations agraires récurrentes », la Chine est confrontée, présentement, à un besoin croissant d’énergie et de matières premières pour assurer son développement intensif. Face à la position des Etats-Unis au Moyen Orient, elle diversifie ses approvisionnements pétroliers (Russie, Iran, Arabie Saoudite, Venezuela, Golfe de Guinée). Elle coopère aussi avec le Brésil dans le domaine du nucléaire et avec le Chili pour l’achat de cuivre. Cependant, sa terre d’élection est l’Afrique dont elle est devenue le troisième partenaire commercial. Respectant la souveraineté des Etats africains qu’elle ne soumet qu’à une seule condition, le refus de reconnaître Taïwan comme Etat souverain, elle tend à y exercer une influence culturelle avec la création d’instituts Confucius pour l’apprentissage de la langue chinoise.

Le rapport avec l’étranger est appréhendé sous la forme d’une organisation en cercles concentriques. A partir du milieu, « le cœur Han », s’étendent dans un premier cercle les marches coloniales où les pionniers submergent les ethnies moins nombreuses, puis viennent, dans un second cercle « les vassaux », « soumis et loyaux » (Coréens, Japonais, Indochinois) et au-delà de cet espace « imprégné par la civilisation chinoise », apparaissent « les barbares » : l’Europe, les islams arabe, turc et perse, l’Amérique.

Si avec les vassaux, « les relations institutionnelles s’imposent mais le mélange n’est pas possible », en revanche avec les barbares le contact est à éviter. Les ambassades européennes du XVIIe et du XVIIIe siècles furent interprétées comme des gestes de vassalité. Dans la mentalité chinoise, le rapport de force commande les traités, par définition inégaux, sachant que s’ils protègent de la puissance de l’autre, ils ne doivent jamais limiter sa propre puissance. « Les reconquêtes ne seront tentées qu’en situation de supériorité évidente ».

Dans le contexte présent, l’instauration d’un nouveau rapport de vassalité inspire des craintes de « Tokyo jusqu’à Moscou en passant par Séoul et Hanoï ». A ce jour, ce rapport ne repose que sur la seule dimension économique où le Japon est seul capable de concurrencer la Chine. Celle-ci reste marquée par les revers que lui fit subir son voisin d’outre-mer et les bouleversements internes qu’ils provoquèrent. De ce fait, elle refuse « un retour politique et militaire du Japon » et s’oppose à ce que lui soit attribué un siège permanent au Conseil de sécurité.

Concernant les barbares, s’ils vinrent, pour l’essentiel, d’Asie centrale jusqu’au XIXe siècle, justifiant l’édification de la Muraille de Chine, à partir de cette époque, ce furent les Occidentaux qui représentèrent le nouveau danger. Guerre de l’opium, dépeçage du pays entre Russes, Anglais, Français, Allemands ont constitué un traumatisme profond. Au XXIe siècle les barbares sont américains. Ceux-ci, soucieux d’assurer leur hégémonie mondiale, ont accru, depuis le 11 septembre 2001, leur stratégie d’encerclement de l’Empire du Milieu d’ouest en est et de contrôle des ressources qui lui sont nécessaires.

L’observation historique montre que cet Empire s’avère fragile vis-à-vis des idéologies venues des vassaux comme des barbares : elles sont susceptibles d’affecter son unité. A ce jour, il est, en termes de puissance matérielle, en position de désavantage par rapport à son compétiteur américain malgré ce que les chinois pensent être son « l’infériorité civilisationnelle ». La Chine doit faire front. Pour devenir puissant, « il faut donc s’ouvrir à la modernité technique et économique de l’Occident mais refuser son métissage ». Diplomatiquement, pour faire contrepoids à « l’unipolarité voulue par Washington », il convient de se rapprocher de vassaux potentiels (Russie, Inde) ou d’autres barbares (France, Iran, Vénezuela).

Dans cette optique, un partenariat avec la Russie constitue le principal axe d’équilibre même si Moscou « peut craindre une sinisation de sa périphérie orientale ». Les accords conclus ces dernières années ont permis d’éteindre les différends frontaliers.

La Russie

A la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie s’est retrouvée circonscrite à ses frontières de la fin du XVIIe siècle. Suivant les préceptes de Mackinder et Spykman (*) selon lesquels les puissances maritimes mondiales doivent interdire au « cœur du monde » (l’Eurasie et ses trois composantes prépondérantes, germanique, russe et chinoise) de « s’emparer des rivages », les Etats-Unis poursuivent leur politique de refoulement de la Russie comme celle de l’endiguement de la Chine avec la volonté de les maintenir divisées.

Accédant à la présidence de la Russie en mai 2000, Vladimir Poutine a eu comme ambition de restaurer la puissance de celle-ci en se fondant sur « l’utilisation de l’énergie comme levier de puissance ». En effet, elle disposait, en 2010, de 23,7% des réserves de gaz prouvées et de 5,6% des réserves de pétrole. Leur exploitation est dévolue respectivement à Gazprom et Rosneft.

Pour contrer la puissance Russe, obstacle à l’ambition « unipolaire » des Etats-Unis, exprimée par Zbigniew Brzezinski comme par les néoconservateurs, tel Paul Wolfowitz, l’Amérique usa de la déstabilisation politique dans les pays de « l’étranger proche » et aussi de la suprématie technologique au moyen du bouclier antimissile.

Après avoir, au cours des années quatre vingt dix, soutenu les révoltes dans le Caucase, afin de contrôler les voies d’évacuation des hydrocarbures de la Caspienne (comme il a déjà été mentionné), les Etats-Unis ont, dans la première décennie du nouveau millénaire, encouragé, par le biais d’ONG locales dont ils assuraient le financement, la contestation des sociétés civiles de l’Ukraine à l’Asie centrale. Ces mouvements, non violents, dits des « révolutions colorées » ont touché la Géorgie en 2003, l’Ukraine en 2004 et le Kirghizstan en 2005. La même année, il a échoué en Ouzbékistan. A terme, était en jeu le contrôle de l’Eurasie et de ses ressources.

L’Ukraine, qui accueille à Sébastopol la flotte russe de la mer Noire, est le pays le plus important et historiquement le plus proche de la Russie (berceau de la Moscovie). Du point de vue géopolitique, elle offre le contrôle de « l’isthme baltique qui relie la mer Baltique à la mer Noire ». Dans sa situation intérieure, elle est partagée en trois ensembles, l’Est minier et industriel, russophone et orthodoxe, le Centre uniate (rite orthodoxe et rattaché à Rome), l’Ouest catholique, « plutôt nationaliste et antirusse ». Après la victoire à l’élection présidentielle de Viktor Iouchtchenko, « pro-occidental » en 2004, les menaces de sécession d’une fédération du Sud-Est comprenant la Crimée et représentant les deux tiers du PIB allaient « contribuer à modérer les ardeurs occidentales ». En février 2010, l’élection de Viktor Ianoukovitch, revenant au « non-alignement » mettait, pour le moment, un terme « aux espoirs américains ».

Le pouvoir installé en Géorgie par « la révolution des roses », favorable à l’Amérique, avait pour objectif, entre autres, de réduire les séparatismes d’Adjarie, d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, soutenus par Moscou. La guerre russo-géorgienne qui suivit l’attaque de la capitale d’Ossétie du Sud, ordonnée, en juillet 2008, par le président Saakachvili, allait mettre à mal cette stratégie. En reconnaissant, à la suite de leur intervention, l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhasie, les Russes retournèrent à leur avantage la remise en cause unilatérale par les autorités Kosovars, avec l’appui des occidentaux, de frontières internationales reconnues par les Nations-Unis. Ce revers, touchant une voie stratégique d’acheminement des hydrocarbures, a montré à l’Amérique que les Russes ne céderaient maintenant rien « dans le grand jeu eurasiatique ».

Exposée à la pression des Etats-Unis dans ses anciennes terres d’Eurasie, riches en ressources énergétiques et voies d’acheminement de celles-ci, la Russie pourrait disposer d’un nouvel espace de puissance dans l’Arctique qui lui serait aussi disputé. En effet, aux environs de 2030, à la fin de l’été, l’Océan Glacial pourrait être « totalement libre de glace ». Le trafic maritime s’en trouverait bouleversé puisqu’il serait possible de passer directement d’Europe en Asie, raccourcissant ainsi de 6 400 Km le trajet menant de Hambourg à Shangai. Les réserves en hydrocarbures de la zone qui pourraient représenter de 20% à 25% de celles de la planète seraient beaucoup plus facilement exploitables. La compétition a déjà commencé impliquant les Canadiens mais aussi les Danois et les Norvégiens. Les Etats-Unis, pour leur part, « défendent le principe de liberté des mers et s’inquiètent des extensions de souveraineté ». La Russie est dans l’attente d’une décision de l’ONU, prévue pour 2013, qui pourrait lui ouvrir un espace de souveraineté et d’exploration de l’ordre de 1,2 millions de km2.

Dans ce contexte, « l’équipe formée par Vladimir Poutine et son successeur Dimitri Medvedev » vise à faire de « la Russie un acteur majeur de la multipolarité ». En ce sens, elle développe une diplomatie orientée vers la défense du droit international et des souverainetés étatiques. Elle s’est rapprochée de la Chine en créant avec elle le groupe de Shangai. Elle maintient de bonnes relations avec l’Inde et renforce celles avec l’Allemagne. Dans le Caucase, elle oppose à l’axe turco-américain, un axe Moscou-Erevan-Téhéran. En effet, elle a des intérêts communs avec l’Iran qui tiennent à l’encerclement stratégique des deux pays par les Etats-Unis, à leur convergence dans le débat sur le statut juridique de la Caspienne, qui les oppose aux nouveaux Etats riverains, et, enfin, à leur exposition commune aux menaces du fondamentalisme sunnite.

D’autres puissances régionales

Hormis celles déjà citées comme l’Iran ou le Pakistan, il faut compter, entre autres, l’Inde, le Japon, le Brésil.

L’Inde, puissance nucléaire, marquée par un réveil du nationalisme hindou, est en conflit avec le Pakistan. Amenée à dépasser la Chine, avant 2030, comme pays le plus peuplé du monde, elle sera en concurrence avec cette dernière pour l’accès aux ressources fondamentales (pétrole, gaz, eau nourriture).

Il faut s’interroger sur l’avenir du Japon, en régression démographique, affecté durablement par la catastrophe de Fukushima et dont l’Etat est fortement endetté. Son déclin est-il irrémédiable ou aura-t-il, comme en d’autres temps, la capacité à se relever ? Son destin est-il dans la poursuite de l’alliance avec les Etats-Unis ou dans un rapprochement avec la Chine ? Dans ce dernier cas, il s’agirait du choix de la civilisation, dans le premier, celui de la nation.

Le Brésil, l’un des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) est « un des grands pôles émergents de la planète ». Il est la puissance la plus importante d’une Amérique latine qui s’est affranchie de la doctrine Monroe avec un basculement dans le « rouge » sous diverses formes de nombre de pays la constituant. Paradoxalement, cette Amérique latine est aussi le théâtre d’une compétition entre l’Eglise catholique pour laquelle elle représente un bastion traditionnel et le pentecôtisme, « théologie individualiste », en progression rapide. Il en résulte une « américanisation des esprits ».

L’Amérique latine suscite, pour ses ressources et ses possibilités de coopération stratégique, l’intérêt de la Chine, de la Russie et de l’Iran. La première devrait, en 2015, se substituer à l’Union Européenne comme premier partenaire du continent. Le Brésil, pour sa part, à la forte solidarité latino-américaine, pratiquant une diplomatie du dialogue fondée sur le refus de l’ingérence, devient « une grande puissance maritime et se donne les moyens de la suprématie dans l’Atlantique Sud ». Il vise, notamment, à assurer la sécurité de ses « immenses ressources en hydrocarbure de son espace maritime » et à atteindre l’Afrique.

Cette Afrique, disposant « de gigantesques ressources naturelles » est « l’enjeu d’une guerre économique entre les pays riches et les puissances émergentes ». « L’Afrique utile » est, ainsi, une priorité tant pour les Etats-Unis que pour la Chine. Les premiers ont mis en place, en 2008, un commandement unifié pour l’Afrique, l’AFRICOM. Le rapport des seconds avec le continent ont été précédemment évoqués.

Les poussées migratoires

Les Etats-Unis, par le fait migratoire, sont face au défi d’une hispanisation où le catholicisme représente un élément essentiel. L’Eglise catholique est la seule parmi les Eglises à échapper à « l’ethnicisation du religieux ». Elle pourrait constituer un facteur d’unité nationale en cas de crise grave de la société « multicuturelle » américaine. Cependant, l’intégration dans l’identité nationale est une forme de « protestantisation » ce qui n’est pas sans répercussion pour Rome.

Mais c’est bien l’Union européenne qui, aujourd’hui, est la première région mondiale d’immigration amenant l’auteur à intituler l’un de ses chapitres : La population européenne en question. En perspective, il apparaît qu’à la fin du XXIe siècle, les Européens de souche seront minoritaires sur leur continent. Représentant le quart de la population mondiale en 1900, ces Européens n’en constituent plus que le dixième. L’Europe est ainsi la seule région où la population aura diminué pendant le premier tiers du siècle. De plus, les prévisions montrent que, d’ici 25 ans, l’Allemagne aura perdu 10 millions d’habitants et la Russie 15 millions. Globalement, si l’Europe de l’élargissement (après la chute de l’Union soviétique) se dépeuple rapidement, l’accroissement naturel de la partie occidentale n’est que de 400 000 personnes par an (dont une proportion est issue d’une immigration) qu’il faut comparer au solde migratoire de l’ordre de 1,6 millions de personnes par an. La population européenne serait en passe « d’être remplacée sur un temps historique relativement court ».

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Après que se fut dissipé le mythe d’une fin de l’histoire ouvrant aux Etats-Unis la perspective d’une domination universelle, le millénaire débutant voit émergé de nouveaux pôles de puissance « sur l’échiquier du monde, ancrés dans de vieilles civilisations irréductibles au modèle américain ». Confrontée à une situation où leur vision « unipolaire » est battue en brèche par la constitution d’un monde « multipolaire », les Etats-Unis reviennent à la politique de l’endiguement qui leur réussit face à l’Union Soviétique. Pour contrer la Chine, considérée comme la rivale des prochaines décennies, ils mènent une stratégie globale visant à encercler celle-ci par un jeu d’alliances, à affaiblir ses capacités de dissuasion nucléaire par un système antimissile, à soutenir des mouvements séparatistes et à contrôler sa dépendance énergétique.

Cette stratégie est mise en péril par le redressement de la Russie conduit par Vladimir Poutine. L’ancien empire des Romanov réduit à ses frontières d’il y a deux siècles, dirigé par un homme d’Etat, a joué un rôle essentiel dans la récusation de l’aspiration hégémonique des Etats-Unis. L’alliance de la Russie avec ces derniers, permettait la formation d’un « bloc euro-russo-atlantique » compromettant fortement l’avenir géopolitique de la Chine. L’ensemble aurait eu le contrôle des « richesses énergétiques du Moyen-Orient » et de celles de la Russie « seule véritable source alternative à l’islam pétrolier ».

Réunis par des intérêts bien compris, les Russes et les Chinois « ont la capacité d’encourager de nouveaux axes stratégiques anti-américains » et d’offrir une protection à tous ceux qui, s’opposant aux Etats-Unis et à Israël, « constituent des cibles privilégiées de Washington ». Ils représentent la composante majeure de ces BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en opposition avec « la toute puissance américaine, qui repose sur le crédit illimité qu’autorise le dollar, monnaie de référence ». Justement « ce statut privilégié » qui tient essentiellement au « pétrodollar » après l’abandon, le 15 août 1971, de la convertibilité or du dollar, est, entre autres, mis en cause par une « multipolarité énergétique » qui pourrait conduire à une « multipolarité monétaire ».

Michel Leblay
13/11/2011

Note :

(*) Halford Mackinder (amiral britannique 1861-1947) « définit l’épicentre des phénomènes géopolitiques à partir du concept de centre géographique ». « Le pivot de la politique mondiale » ou cœur du monde (heartland) est l’Eurasie que la puissance maritime ne parvient pas atteindre. Pour Spykman (journaliste américain 1893-1943), partant des mêmes bases que Mackinder, « la zone pivot de la géopolitique est au contraire le rimland, région intermédiaire entre le heartland et les mers riveraines » - Voir Aymeric Chauprade – Géopolitique – Constantes et changements dans l’histoire.

Voir les parties 1 et 2 :

« La Chronique du choc des civilisations » de Aymeric Chauprade (1/3)
« La Chronique du choc des civilisations » de Aymeric Chauprade (2/3)

et
Encore un mauvais coup contre la liberté de recherche et la liberté d'expression

Texte intégral en PDF : cliquer ici

Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations, Editions Chronique, Collection Chronique Thema, août 2011, 255 pages

Correspondance Polémia - 22/11/2011

Image : muraille de Chine

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