L'Education nationale coule à pic - Luc Chatel préfère la pêche aux serpents de mer

jeudi 3 mars 2011

Sémillant ministre de l’Education nationale (après avoir été chef de produit marketing et DRH chez L’Oréal, « parce qu’il le vaut bien »), Luc Chatel vient de remettre sur le devant de la scène deux vieux serpents de mer du monde éducatif : l’enseignement d’une langue vivante à l’école maternelle (l’anglais of course) et les rythmes scolaires. Qu’on nous permette un bref rappel.

En 1964 dans l’Académie de Bordeaux, Alice Delaunay, inspectrice générale des écoles maternelles, introduit l'apprentissage des langues étrangères pour les enfants de l'école maternelle (autre temps, autres mœurs, c’est l’allemand qui fut choisi pour cette expérimentation) ; en 1979, Pierre Magnin, professeur de médecine et recteur, rédige un rapport pour le Conseil économique et social sur « l’organisation des rythmes scolaires ».

Depuis les années 60-70, plusieurs ministres de l’Éducation (entre 1960 et 2010, on en dénombre 27 !) ont repris à leur compte l’un ou l’autre (ou l’un et l’autre) de ces thèmes, sans parvenir à les inscrire durablement, sinon définitivement, dans l’organisation du système éducatif français. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil de la rue de Grenelle et l’initiative « chatelienne » n’est que la énième resucée de foucades ministérielles rarement suivies d’effets, ou seulement pour de brèves périodes.

De fait, ces deux annonces et les contenus qu’elles véhiculent ne sont pas à rejeter, ces thèmes étant à l’évidence dignes d’intérêt. Mais comme jusque là leur mise en application est restée la plupart du temps lettre morte ou n’a eu qu’une durée de vie éphémère, on ne peut qu’estimer qu’il s’agit une fois de plus d’un écran de fumée, destiné à masquer le véritable et gravissime problème de notre système d’enseignement, à savoir son affaiblissement continu.

Longtemps niée la dégradation de l’Education Nationale est une réalité objective

Ce jugement, qui peut paraître sévère, est étayé sur l’analyse d’enquêtes menées récemment, tant en France qu’à l’étranger, et qui vont toutes dans le même sens : la qualité de notre enseignement ne cesse de se dégrader. Selon plusieurs études nationales réalisées ces dernières années, on constate :

  1. au niveau de l’enseignement primaire, des résultats de plus en plus médiocres en lecture, orthographe, mathématiques (25 % d’acquis fragiles, 15 % de difficultés sévères ou très sévères)
  2. à la fin de la scolarité obligatoire (en principe 16 ans, en réalité 18), un bilan catastrophique : 150 000 élèves sortent chaque année du système éducatif sans qualification ni diplôme) ;
  3.  à la fin des études secondaires, un baccalauréat en grande partie dévalué (plus de 83% de réussite, soit plus de 63% d’une classe d’âge, résultat obtenu à la suite d’instructions « officielles » conseillant d’abaisser les seuils de notes normalement requis) ;
  4. après plus d’un siècle d’école gratuite, laïque et obligatoire, après un demi-siècle de « démocratisation » de l’enseignement, une situation d’illettrisme pour 9% de la population de 18 à 65 ans (10 à 12% des 16-25 ans), scolarisée en France.

En mai 2010, un rapport de la Cour des Comptes destiné à évaluer la réussite scolaire des élèves, concluait que, compte tenu des moyens mis en œuvre, le résultat était « médiocre » et surtout très inférieur à ceux de nos voisins européens ou de pays occidentaux comparables à la France. Ainsi, un élève sur cinq éprouve des difficultés sérieuses en lecture à l’issue de sa scolarité et les résultats sont encore plus mauvais en mathématiques ; en conséquence, un jeune sur six quitte le système scolaire sans aucun diplôme.

Nous sommes la risée de bien des pays

L’enquête internationale PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), réalisée tous les trois ans depuis 2000 par l’OCDE sur un échantillon de 470.000 jeunes scolarisés dans 65 pays, mesure les compétences des jeunes de 15 ans dans leur langue maternelle (compréhension de l’écrit), en mathématiques et en sciences.

L’édition de décembre 2010 montre que la performance de la France est franchement mauvaise. En premier lieu parce que les résultats correspondent tout juste à la moyenne des pays de l'OCDE, ensuite parce que la courbe, depuis la première enquête de 2000, s’infléchit vers le bas, enfin parce notre système éducatif apparaît de plus en plus inégalitaire.

Alors que la moyenne des pays de l'OCDE se situe autour de 500 points, la France obtient 496 en compréhension de l'écrit, 497 en mathématiques et 498 en sciences. En compréhension de la lecture, les élèves français perdent 9 points et 6 places, passant de la 12e à la 18e place en dix ans. En mathématiques, la France chute de la 13e à la 16e place, et perd 14 points depuis 2003 (dans le même temps, l'Allemagne gagne 10 places, l'Italie 17 et le Portugal 21). En sciences, la France demeure à la 21e place.

L’ascenseur scolaire descend dans les caves

L’enquête fait également ressortir que l’école française ne joue plus son rôle d'ascenseur social, en soulignant que « l'impact du milieu socio-économique sur la performance est plus grand que dans la moyenne des pays de l'OCDE ». Plus grave encore, depuis 2000 le nombre d'élèves de niveau 0 (sur une échelle de 5) a presque doublé, le nombre de très bons élèves (niveau 5) a légèrement augmenté, mais le nombre d'élèves moyens ne cesse de baisser.

Signalons que les pays qui obtiennent les meilleurs résultats sont les pays asiatiques : la Chine, avec Shanghai et Hong-Kong, Singapour, la Corée et le Japon, suivis par le Canada et la Nouvelle-Zélande ; en Europe, la Finlande qui était en tête dans les classements précédents régresse au 3e rang, tandis que les Pays-Bas occupent la 10e place.

Une chose est sûre : l’enquête PISA 2010 (*) révèle que l’état de notre système d’enseignement est non seulement « moyen », mais aussi qu’il se détériore, enquête après enquête, et semble inéluctablement engagé dans la spirale du déclin.

A ce bilan globalement négatif, il faut ajouter que la situation de notre enseignement supérieur (les grandes écoles commerciales mises à part) n’est pas meilleure, puisque, selon le dernier classement de Shanghai, c'est-à-dire le palmarès des cent principales universités mondiales, seuls trois établissements français figurent parmi les 100 premières. Deux d'entre elles rétrogradent : Paris-XI passe de la 43e à la 45e place, l’École normale supérieure de la 70e à la 71e place, tandis que l'université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI) passe du 40e au 39e rang.

Aux lecteurs qui considèreraient ces constats comme exagérément pessimistes, indiquons simplement que, ces dernières semaines, des jugements encore plus durs ont été portés dans différents secteurs de l’opinion. Par exemple, l’écrivain et universitaire Pierre Jourde, dans son blog du Nouvel Observateur parlait du « désastre de l'école » (nos lecteurs ont pu y avoir accès pendant plusieurs jours par le lien établi dans notre rubrique « A lire ailleurs »; Le Point du 27 janvier publiait un dossier sur «Ceux qui massacrent l’école». Enfin, lors de la Convention nationale sur l’école républicaine qu’a tenue le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la République, il a été fait état de « la déroute » de l’Éducation nationale.

Deux livres actuellement en libraire pour élargir la réflexion : C'est la culture qu'on assassine de Pierre Jourde chez Balland et Le pacte immoral. Comment ils sacrifient l’éducation de nos enfants de Sophie Coignard chez Albin Michel.

Gérard Serval
22/02/2011
Metamag.fr

(*) Voir (articles Polémia) : PISA 2010 et « Bas les masques - De la désinformation sur l'école » de Claude Meunier-Berthelot

Correspondance Polémia – 3/03/2011

Image : école en danger

Archives Polemia