A Bruxelles, un accord à double ou triple fond

lundi 8 novembre 2010

Quel Sommet européen ; ...les 27 chefs d'Etat ou de gouvernement unanimes ; un accord trouvé sur proposition franco-allemande ; n'est-ce pas un miracle et ne faut-il pas le mettre à l'actif de M. Sarkozy et de sa diplomatie ?

L'ampleur du succès ferait presque oublier son objet : réviser le traité de Lisbonne. Vous avez bien lu, ce traité si admirable, ce traité encore tout neuf et qu'on a eu tant de mal à accoucher, ce traité a besoin, toutes affaires cessantes de repasser sur le billard ; le patient n'en est pourtant pas à la première opération ; le traité de Lisbonne corrigeait le traité constitutionnel qui corrigeait l'infortuné traité de Nice, lequel devait ravauder le traité d'Amsterdam qui lui-même comblait les lacunes du traité de Maastricht. Chaque fois, les chirurgiens avaient quitté triomphants la salle d'opérations : tout avait parfaitement marché ; mais, chaque fois, il avait fallu constater que la prothèse avait un défaut car, inexplicablement mais obstinément, le patient continuait de boiter comme avant. Avec Lisbonne, pourtant, on croyait bien avoir réussi mais, une fois de plus, le traité doit être déclaré hors d'usage avant d'avoir servi et tout est à refaire
Etrangement, M.Sarkozy est resté muet sur le sujet ; et, plus étrange encore, les journalistes n'en ont pas non plus soufflé mot. Personne ne s'est soucié d'expliquer ou seulement de demander comment on en était arrivé là. L'histoire, pourtant, vaut d'être contée.

1) Au centre, l'Allemagne : c'est elle, en effet, qui a exigé la révision du traité. C'est qu'à la différence de ceux du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation, ses juristes sont de vrais juristes. Ils ont lu dans le traité que les Etats membres s'interdisaient de se porter secours en cas de crise financière ; ils constatent que les Etats membres ont créé un Fonds considérable précisément dans le but de se porter secours ; ils ont la simplicité de signaler la contradiction et le mauvais goût d'insister pour qu'on y mette fin. Ils veulent bien excuser les gouvernements d'avoir agi dans l'urgence en pleine crise à condition, toutefois, qu'ils ne persévèrent pas dans l'erreur, ce qui serait évidemment le cas s'ils pérennisaient le Fonds européen.
Comme il se trouve que le Fonds ne peut être pérennisé qu'avec le concours de l'Allemagne, il faut en passer par ses conditions. Voilà pourquoi 26 Etats membres ont brusquement découvert une évidence qui leur avait échappé jusque là : il faut réviser le traité de Lisbonne ; cqfd.
Voilà pour la forme ; venons en maintenant au fond car, comme toujours, les arguments de droit cachent les affaires de gros sous.

2) L'Allemagne est toujours au centre. Elle a bien compris que la crédibilité du Fonds repose en dernière analyse, sur un unique postulat : l'Allemagne paiera ; le contribuable allemand soldera les dettes des Etats prodigues. Comme on peut l'imaginer, cette vérité, quand il l'a découverte n'a pas plu à l'électeur allemand qui a aussitôt sommé son gouvernement d'y mettre bon ordre. Puisqu'il faut de toutes façons, réviser le traité de Lisbonne, Berlin a eu l'idée d'en profiter pour y insérer quelques clauses utiles. Il s'agirait de faire en sorte que la probabilité pour l'Allemagne d'avoir à payer pour les autres soit réduite au minimum et que si cette probabilité devait malgré tout échoir, le coût pour l'Allemagne en soit aussi faible que possible, ce qui implique deux choses :
a) durcir la discipline financière de la zone euro à coup de sanctions aussi lourdes et aussi automatiques que possible, et de retraits de leurs droits de vote aux Etats en faute ;
b) faire comprendre aux créanciers que les dettes des pays en déficit ne seront pas nécessairement remboursées à l'échéance dans leur intégralité. Tels sont les deux enjeux réels de la révision du traité et donc les deux problèmes à résoudre dont aucun n'est simple.

3) Pour durcir la discipline de la zone euro, il faut que les Etats membres, et en particulier ceux qui ont une propension irrésistible à la dépense, acceptent de donner des verges pour se faire battre. Il y a tout lieu de s'attendre, les Etats étant les Etats, à ce que la chose n'aille pas toute seule et que si elle aboutit, on cherche à en diminuer autant que possible la visibilité : qu'on révise le traité s'il n'y a pas moyen de faire autrement mais alors en cachette et sans bruit, sans déballage médiatique, sans procédure référendaire en tous cas, et même s'il se peut sans débat public et par conséquent sans ratification parlementaire. C'est le petit problème auquel M. Van Rompuy est chargé de chercher une solution : on peut lui faire confiance, il a fait ses preuves comme anesthésiste en endormant les querelles belges .On compte aussi, à vrai dire, sur la crédulité bien connue du citoyen européen : pourvu que le mot Europe y soit écrit en assez gros caractères, il n'a jamais rechigné à tomber dans le panneau sans demander à voir s'il y avait quelque chose derrière.

4) Le second problème est plus difficile. Un créancier trouve naturel de retrouver à l'échéance le montant exact de sa créance. Remettre en cause le montant ou l'échéance ne peut que l'inquiéter et il ne faut pas trop compter endormir sa vigilance en baptisant cette remise en cause au nom rassurant de "restructuration". Le réflexe immédiat d'un créancier inquiet est d'augmenter ses taux d'intérêt, si bien que le risque est grand de précipiter la crise sous couleur de l'éviter. (Christian Darlot Comité Valmy)

5) Au-delà des arguties juridiques et des démêlés financiers, l'enjeu est politique : il s'agit de savoir si l'Allemagne parviendra à façonner à sa guise la zone euro en n'y gardant que des Etats décidés à se comporter comme elle et en jetant par dessus bord ceux qui sont décidément incapables de se défaire de leurs mauvaises habitudes.
Voilà qui ramène à de plus justes proportions le Sommet de Bruxelles : son succès, si c'en est un, n'a rien résolu mais seulement ouvert une énorme boîte de Pandore ; à Bruxelles, la foire aux mensonges bat toujours son plein.

Gabriel Robin
Ambassadeur de France
02/11/2010
http://www.magistro.fr

Correspondance Polémia – 08/11/2010

Image : « Monsieur Van Rompuy a été choisi à dessein ; pas par les citoyens des différents peuples de la très diverse Europe, évidemment, mais par une oligarchie mondiale qui n’est pas le cercle des Présidents et des Premiers ministres des pays de l’Union » (Christian Darlot, Comité Valmy)

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