La légende du ghetto

mardi 12 octobre 2010

Après l’Assemblée nationale, le Sénat a adopté la loi Loppsi 2, consacrée à divers amendements sécuritaires. Une loi durcie, disent les médias, « après les événements de Grenoble ». La formule étant (à dessein ?) un peu floue, revenons sur cette fameuse affaire de Grenoble, sa réalité et son sens profond.

En juillet, fuyant la scène d’un braquage commis dans un casino, le malfaiteur récidiviste Karim Boudouda ouvre le feu à balles réelles, avec une arme de guerre, sur des policiers. En état de légitime défense, ceux-ci l’abattent alors qu’il se réfugie dans son fief, un quartier de Grenoble nommé la Villeneuve. La mort de Boudouda déclenche des émeutes – non des habitants du cru, terrifiés et terrés à domicile, mais de groupes armés, qui multiplient les saccages et tirent (encore) sur les policiers venus rétablir l’ordre.

Or l’histoire même de la Villeneuve, devenue le fief de dangereuses bandes de narcotrafiquants, n’est pas anodine, puisqu’elle résume à elle seule l’histoire de la « culture de l’excuse », dans sa dimension urbanistique et architecturale.

Disons clairement ce sur quoi la presse bobo a délicatement glissé : le quartier de la Villeneuve est un projet gauchiste, développé à Grenoble après Mai 68 par des urbanistes de sensibilité maoïste ayant séduit la très progressiste municipalité grenobloise d’alors. «Une expérience urbaine pensée par des architectes militants», dit le Parisien; en fait, une utopie imaginée par les bébés-Mao de Le Corbusier.

Le quartier a été édifié, ajoute le Monde, « avec la volonté de favoriser la communauté de vie et la mixité sociale ». Il connaît alors (nous sommes vers 1972) un « véritable engouement… ingénieurs, universitaires et professeurs se pressant » pour s’y installer et partager le beau rêve.

Seulement voilà : au fil des années, le prétendu « quartier modèle », un immense puzzle de béton, a mal tourné : chômage énorme, précarité, gangs de trafiquants enracinés… À la Villeneuve et dans ses environs, les règlements de comptes entre bandits ont provoqué 20 homicides de 2008 à 2010. Épouvantés, les bobos ont alors filé en douce vers des espaces urbains plus cléments – sans piper mot bien sûr sur le rêve devenu cauchemar et du paradis devenu « ghetto ». Le ghetto expliquant bien sûr – culture de l’excuse dixit – que de malheureuses victimes de l’exclusion comme Boudouda, modernes émules de Jean Valjean, aient pris la « kalach » pour s’assurer de quoi ne pas mourir de faim.

Mais au fait, la Villeneuve est-elle vraiment un ghetto délaissé ? « Socialement, pas du tout, dit le maire (socialiste) de Grenoble. C’est un quartier récent, bien équipé en structures publiques, crèches, écoles, collèges et centres sociaux. Les programmes de réhabilitation sont constants. » Même son de cloche au Parisien : « Rien n’y manque… Commerces, équipements sociaux et sportifs… marché quotidien ». Pour le Monde, encore, ce quartier est « l’un des mieux dotés de la ville en matière d’aides à l’insertion […], centres sociaux […], guichets d’aide aux démarches administratives, etc. »

La Villeneuve (15 000 habitants environ) s’étend sur 167 hectares, dont 66 d’espaces verts. On y trouve 2 piscines, 4 gymnases, 1 patinoire, 8 « équipements culturels », 3 collèges, 6 écoles primaires, 5 établissements de formation professionnelle supérieure. On est loin de Calcutta.

Maintenant, posons la question qui fâche : quelle ville rurale comparable, dans la Creuse ou dans le Cantal, bénéficie d’un tel luxe d’équipements et de guichets (seulement même de la moitié) ? Aucune. Cependant, on ne constate dans ces villes rurales pauvres qu’une délinquance faible – et une criminalité moindre encore.

Jusqu’à quand, alors, nous serinera-t-on la complainte misérabiliste des damnés de la terre croupissant dans des ghettos ? Car elle est clairement fausse. Même les médias les plus politiquement corrects doivent désormais le reconnaître...

Xavier Raufer, criminologue
Valeurs actuelles
30/10/2010

Correspondance Polémia – 12/10/2010

Image : Grenoble-Villeneuve

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