Fillon inaugure la mosquée d'Argenteuil : j'ai mal à ma laïcité

samedi 3 juillet 2010

La nouvelle est annoncée partout comme un évènement banal, voire heureux : le Premier ministre du pays qui se prétend le plus laïc du monde a inauguré ce lundi 28 juin la mosquée d’Argenteuil. Il a en outre fait l’éloge de l’Islam de France, « un Islam de paix et de dialogue » une religion du « juste milieu » où l’on vit sa foi dans le respect « des principes de la République ». J’ai beau fouiller dans ma mémoire et dans l’Histoire depuis le début de la Troisième République, je ne vois pas un seul exemple d’un représentant de l’Etat inaugurant une Eglise et faisant l’éloge du christianisme français. Normal : depuis 1905 et la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, une présence officielle dans un lieu de culte (entendez « culte chrétien ») est impensable.

Depuis quelques années, à chaque période de ramadan, les hommes politiques de droite comme de gauche se bousculent pour répondre aux invitations qui leur sont faites de participer le soir au repas de rupture du jeûne. Au dernier ramadan, s’y sont notamment fait remarquer Gérard Collomb, maire socialiste de Lyon, et … Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur de droite. J’ai beau chercher, je ne me souviens pas avoir vu un seul homme politique participer es qualités à un déjeuner pascal, ou un repas de Noël, avec des fidèles chrétiens. Normal : nous sommes un pays laïque.

Chaque année le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) tient un dîner solennel devenu un rite politique. De nombreuses personnalités politiques, de droite comme de gauche y sont invitées, et il est d’usage que le chef du gouvernement laïc Français y fasse un discours. Cette année (3 février 2010) l’Etat laïc français a comblé l’assistance, puisque outre le discours de François Fillon, elle eut droit à une brève visite du président de la République laïque Française. Peut-être ma mémoire me trahit-elle, mais je ne vois aucun équivalent dans la moindre réunion chrétienne. En 1997 s’est tenue en France la Journée mondiale de la jeunesse, fête annuelle de la jeunesse catholique du monde, qui a lieu chaque fois dans un pays différent. Ce fut un succès sans précédent : 1 200 000 jeunes rassemblés, et la présence du pape Jean Paul II. Si ce dernier fut reçu par le président Chirac sur le terrain diplomatique (le Vatican est un Etat) on ne vit nulle autorité politique se manifester en tant que telle dans les festivités, encore moins y prononcer un discours. Normal : la France n’est-elle pas un pays laïc ?

Il est temps que les politiques tombent enfin le masque. La laïcité française, c’est du vent. Un vent anti chrétien. Et ce depuis le début, c’est-à-dire depuis 1789. Le christianisme (et en France essentiellement le catholicisme) était la croyance de l’aristocratie. La bourgeoisie qui fit la Révolution ne se contenta donc pas de proclamer le triomphe de la Raison sur l’obscurantisme religieux (c’est-à-dire catholique), elle persécuta les prêtres en tant que soutiens de la classe dominante. Au siècle suivant, c’est le prolétariat qui combattit le catholicisme devenu entretemps la religion de la bourgeoisie exploiteuse. De même que la petite noblesse libérale avait rallié la Révolution, une fraction de la petite bourgeoisie rejoignit le prolétariat sur ce terrain. Sa représentation politique fut le parti Radical-socialiste, pilier de la troisième république, qui vota en 1905 la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Jamais on ne vit plus anticlérical que le parti Radical, avec une violence verbale et une intolérance difficilement imaginables de nos jours. Les francs-maçons y étaient nombreux, et le Grand Orient inspira nombre de leurs positions, à commencer par la laïcité.

Et pourtant… Voilà que le 16 juillet 1926, la Grande Mosquée de Paris, première mosquée ouverte en France est inaugurée. Par qui ? Je vous le donne en mille : Gaston Doumergue, président de la République Radical-socialiste et membre du Grand Orient de France. Ce bouffeur de curés, qui se serait étranglé d’indignation si on lui avait demandé d’inaugurer une église, ne voyait aucun inconvénient à ce que la République laïque fût représentée par sa personne à l’ouverture du premier lieu de culte musulman, où il prononça un discours sans complexe.

La gauche montrait pour la première fois sa vraie conception de la laïcité : l’ennemi, ce n’est pas la religion, mais la religion du monde dominant, arrogant, exploiteur : le catholicisme. L’Islam, religion des colonisés (à l’époque), des pays pauvres (à l’époque), des immigrés (aujourd’hui) ne mérite pas le même traitement.

Dans les années 80-90, la droite devant l’importance de l’immigration musulmane, prit conscience de l’enjeu politique qu’elle représentait, et de son retard sur la gauche. Un immigré, cela devient français un jour, cela fait des enfants français, et tout ce monde vote… tout en restant musulman. Pouvait-elle camper sur sa laïcité, ou pire, sur sa supposée proximité avec le christianisme ? Non, répondit-elle. Alors la surenchère commença. Gauche et droite se disputent les faveurs électorales musulmanes, tout en jurant la main sur le cœur qu’ils sont laïcs. Et pendant que l’Eglise de France se meurt, que les églises ne sont plus entretenues faute de moyens, que le clergé disparaît (moyenne d’âge : 70 ans), l’Islam de France conquérant, nourri par une immigration continue, soutenu par la classe politique, construit des mosquées et introduit progressivement ses rites dans la vie quotidienne française. Qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, ce n’est pas le problème ici. Mais qu’on ne me parle plus de laïcité.

J. Scipilliti
Agora Vox
29/06/2010 

Correspondance Polémia – 03/07/2010

Image : La mosquée Al-Ihsan, près de la gare du Val d'Argenteuil

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