Vidéosurveillance et technologies de contrôle

mercredi 7 avril 2010

Polémia du 19 janvier 2010

Audition du dirigeant d’une entreprise spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de systèmes de vidéoprotection

1. De quoi parlons-nous ?

Un système de vidéosurveillance, ou « vidéoprotection » selon la terminologie officielle, repose sur 3 éléments : une caméra (qui enregistre une image) reliée à un moniteur (qui restitue cette image) par l’intermédiaire d’un câble (par lequel transitent les informations filmées). Plus généralement, on peut parler de « technologies de contrôle » en y englobant les techniques de contrôle d’accès, illustrées récemment par la diffusion des passeports biométriques. Dans tous les cas de figure, il s’agit de capter et analyser une image à des fins sécuritaires.

Ces systèmes apparaissent en France il y a 35 ans, avec des caméras à tubes, lourdes (35 à 40 kg), encombrantes, dédiées à la sécurisation de sites extrêmement sensibles (ministères, grandes banques...). Ce marché s’est rapidement démocratisé, par la conjonction d’une demande politique et sociale d’une part, caractérisée par ailleurs sur la période par une explosion du personnel des forces de sécurité (essentiellement privées – vigiles - ou municipales), et sur les progrès techniques et technologiques d’autre part.

Le marché français peut être aujourd’hui estimé à quelques 400 M€ (sortie fabricants). Il est dominé par les grands acteurs asiatiques, et en particulier japonais (Samsung, Sony, Panasonic, JVC...), soit les grandes multinationales de l’électronique (Bosch étant le 2e opérateur sur le marché français). Chez les acteurs étrangers toujours, les Américains sont puissants sur leur marché domestique mais s’exportent plutôt mal au regard de leurs capacités et de leur force de frappe, notamment commerciale. Les Israéliens disposent également d’atouts indéniables, mais ont tendance à se spécialiser sur des niches technologiques ou marchés (casinos par exemple). En périphérie opèrent une quarantaine de PME hexagonales, qui fabriquent et revendent de la vidéosurveillance, contribuant à donner à ce marché une image très hétérogène, atomisée. Il s’agit de « métiers sous surveillance », les entreprises en question étant suivies de près par le renseignement intérieur (DCRI) en fonction de leurs marchés, notamment à l’exportation.

Il convient de souligner en introduction de cette présentation qu’il n’y a pas de technologie « bonne » ou « mauvaise ». Celle-ci initie des outils, dont seuls les usages peuvent éventuellement être qualifiés de « bons » ou « mauvais ». Mais l’importance prise aujourd’hui par ces technologies oblige à les comprendre - à en comprendre le fonctionnement - pour mieux les maîtriser – les maîtriser davantage que nos adversaires notamment. Car l’usage de ces technologies n’est pas neutre : il reflète des enjeux de pouvoir et d’influence dont il convient d’être les acteurs, les sujets – et non les simples objets.

L’extrême gauche a développé un discours sur ce phénomène. Mais avec une vision qui lui est propre, de nature biblique, basée sur la condamnation a priori de la technologie, qui serait par essence aliénante et liberticide. Cette approche technophobe n’est pas la nôtre, car nous nous situons par rapport aux usages : ainsi, il est indéniable que la vidéosurveillance peut être un outil de liberté si elle permet de se déplacer sans se faire agresser, dépouiller ou violer. En revanche, nous ne saurions éluder le fait que cette technologie est au coeur d’un dispositif général de contrôle, de normalisation (au sens d’Alain Damazio dans « La Zone du Dehors »), qui est en train de se mettre en place dans les sociétés occidentales.

2. Les facteurs explicatifs de la montée en puissance des systèmes de vidéosurveillance.

Ils sont essentiellement d’ordre sociologique, et répondent à l’essoufflement des méthodes traditionnelles de contrôle social dans des pays développés mais de population hétérogène.

En effet, continuer à fonder l’essentiel du contrôle social sur le « potin méchant » n’est plus réalisable dans les sociétés hétérogènes, constituées d’une juxtaposition de communautés qui n’ont plus les mêmes normes culturelles : lorsqu’il n’y a plus de culture commune minimum, il n’y a plus d’accord social, donc de possibilité d’autorégulation, sur ce qui se fait ou ne se fait pas (la façon dont on traite une femme, on éduque les enfants, on se salue, on engage ou clôt une conversation, on se positionne dans l’espace public, on s’y exprime, on envisage la propriété privée ou collective, etc.).

Or le contrôle social s’imposant d’autant plus qu’explosent les faits de délinquance et de criminalité, est apparu un contrôle social de substitution, assuré par l’Etat, en lieu et place d’une société civile ne remplissant plus son office. Le phénomène est ancien : la sécurité est la fonction régalienne par essence ; à l’époque contemporaine, depuis l’industrialisation, elle est apparue d’autant plus nécessaire pour réguler la société et protéger l’appareil productif et les échanges économiques...

Cependant, il est apparu assez rapidement, dans des sociétés cette fois post-industrielles et confrontées à la pluralité ethnique et culturelle imposée par le phénomène de l’immigration extra-européenne, que les moyens traditionnels de contrôle par l’Etat (police, justice) étaient eux-mêmes délégitimés, car trop sensibles à la critique sociale, donc inopérants. Les outils de contrôle comme la vidéosurveillance ont donc été conçus comme des solutions froides, non invasives, qui fournissent des éléments factuels, une information objective, non contestable. A l’image de la technique : neutre.

C’est ce qui explique l’essor important de ces outils :

  • - Il s’agit d’instruments sécuritaires qui ne peuvent être remis en question dans leur objectivité (ils ne peuvent en soi être suspects de « racisme », d’islamophobie, d’anti-jeunisme…) ; c’est neutre, c’est froid, en un mot : ça marche !
  • - Le modèle économique, indispensable à la diffusion d’une technologie, est adapté : la vidéo coûte infiniment moins cher que son équivalent humain en temps et capacité de surveillance.
  • - C’est enfin une technologie de contrôle social de substitution qui s’est imposée par l’impossibilité d’agir, notamment dans certains lieux et à certaines heures, des forces de sécurité - voire tout simplement par leur démission.

3. A quoi sert la vidéosurveillance ?

Fondamentalement, il s’agit de prendre des images (c’est le rôle de la caméra) et de les transmettre à un enregistreur vidéo numérique (la machine). C’est cette unité centrale qui, parce qu’elle permet d’enregistrer et/ou visualiser les images captées, constitue le coeur du système, et non la caméra en tant que telle, qui n’en constitue qu’un capteur, ou au mieux un « tuyau ».

La captation de l’image reste cependant essentielle. Il existe aujourd’hui de nombreux produits, de tailles variables et à des prix accessibles, recouvrant une multiplicité d’applications : caméras infrarouges, thermiques, à très haute sensibilité, etc. Des « caméras anti-vandales », installées par exemple dans les halls d’immeubles de bailleurs sociaux, ne peuvent être détruites. D’autres, miniaturisées, peuvent être « embarquées » sur des individus en opération – de guerre ou de maintien de l’ordre par exemple – et ainsi restituer la réalité des événements en cours (au moins telle que perçue à partir de ces individus).

Parmi les applications à l’œuvre, des programmes permettent de détecter dans un espace donné des objets manquants ou au contraire inattendus, de compter le nombre de personnes en transit à travers l’image, de reconnaître des plaques d’immatriculation ou de calculer la vitesse de déplacement de véhicules en mouvement (les radars sont un exemple d’application de la vidéosurveillance), de suivre une personne en mouvement (caméras mobiles – mais actionnées par des opérateurs humains).

Sachant que l’ergonomie comme la baisse continue des prix (un système peut s’installer à partir de 2.000 €) accélèrent la démocratisation – l’exfiltration de la seule sphère entrepreneuriale ou étatique – des usages liés.

Et ce n’est qu’un début : on dénombre quelques 600.000 caméras installées sur le marché français, contre 4 millions au Royaume-Uni. La France est aujourd’hui sous-équipée, parce qu’elle s’y est mise plus tard que les pays anglo-saxons, lesquels disposent de fait d’un parc certes important mais vieillissant : les besoins, en création ou renouvellement, sont tels qu’ils ne peuvent que soutenir la croissance de l’offre, et donc du marché.

4. Les évolutions à envisager, les méthodes à déployer pour s’y préparer.

Le renouvellement du parc va s’accompagner de la fourniture d’images plus claires, donc plus faciles à traiter, à analyser. Aujourd’hui, la plupart des caméras offrent une qualité d’image (calculée en nombre de pixels) très inférieure à celle des appareils photographiques intégrés aux téléphones portables en circulation.

L’augmentation de la qualité de prise de vue (30 à 40 millions de pixels dans les 5 ans) va s’accompagner d’une amélioration parallèle, par le traitement des détails de l’image, de l’analyse comportementale : la capture des gestes trop violents, déplacements trop rapides, attitudes suspectes vont en effet permettre de modéliser les émotions humaines et donc faire de la vidéosurveillance un véritable outil d’aide à la décision (et non plus un simple enregistrement d’actes délictuels répréhensibles a posteriori). En étant capable de détecter et analyser des choses invisibles à l’œil nu (parce que trop rapides, trop petites dans un espace plus large, pas suffisamment spectaculaires à l’échelle d’une foule en mouvement…), il sera possible de reconnaître un individu et analyser son comportement.

Ce repérage par individu ouvre la voie à l’exploitation de ses critères identitaires (sexe, âge, etc.) à des fins publicitaires : les supports d’affichage pourront adapter le message, le produit ou le service promu, à la personne qui les regarde. La technologie est déjà au point : Google et YouTube font des analyses de contenus (téléchargés, visionnés par les internautes) pour individualiser les pages affichées par les dits internautes par des propositions ciblées.

L’individu reste au cœur de ces technologies, y compris comme utilisateur, avec la possibilité de gérer plusieurs espaces à distance (ainsi des particuliers avec leurs résidences secondaires), ou de mutualiser du « temps de cerveau disponible ». Ainsi des équipes d’intervention animées à distance par une seule personne, spécialiste de la question (déminage, renseignement, accident industriel, problèmes techniques divers) – ce qui conduit à la déqualification des intervenants (tendance que l’on retrouve dans bon nombre de secteurs économiques) au profit d’une compétence centralisée (et protégée du terrain). Là encore, la technologie est d’ores et déjà accessible, puisque des actions aussi complexes que des opérations chirurgicales peuvent se pratiquer à distance, en multipliant les intervenants et avis externes.

Outre la santé, l’un des marchés les plus porteurs est bien évidemment la sécurité - au sens large mais également dans son acception régalienne, par exemple pour encadrer l’exercice des contrôles d’identité en zones sensibles, et être en mesure, non seulement de contrôler a posteriori, mais également de « guider » en temps réel le respect de la loi et des règlements applicables.

Une chose est sûre : aucun retour en arrière n’est envisageable en matière technologique. La tendance est à la « fertilisation croisée » des technologies, les technologies dialoguant entre elles, et ce dialogue étant facteur d’innovation : en l’espèce, la vidéosurveillance sera couplée à d’autres technologies de contrôle pour accroître son efficacité en mixant et croisant toujours davantage de données (images, sons, température, données biométriques…).

Ainsi vont se multiplier dans les années à venir, dans les lieux publics, des bornes d’information où il sera possible de prendre son pouls, mesurer la dilatation de ses pupilles. Sur le modèle des défibrillateurs automatiques déjà utilisés à usage des secouristes. Cette nouvelle offre de services à destination d’une population vieillissante permettra ainsi, sous prétexte de vérifier que la personne est en bonne santé, de s’assurer qu’elle n’est pas prête à poignarder son voisin ! D’ici 15 à 20 ans, le refus de se soumettre à ces tests médicaux pourra déclencher une intervention d’équipes d’intervention.

En guise de conclusion…

La systématisation et démocratisation de ces méthodes « soft » de contrôle social donne une prime aux hauts quotients intellectuels (QI) introvertis, au détriment des bas QI impulsifs.

Il ne s’agit pas de dérouler un discours axiologique, sur les valeurs, mais de développer une fine connaissance de ces techniques pour :

  • - Les combattre quand elles sont contraires à ce que nous souhaitons faire, en l’espèce en s’attaquant au modèle économique qui sous-tend ces installations ;
  • - Les utiliser si elles nous permettent d’atteindre nos objectifs – individuels ou collectifs : c’est la seule issue, toute « faustienne », propre à notre civilisation.

La vidéosurveillance, comme toute technologie, ne dit pas le bien ou le mal. Elle n’est pas productrice de valeurs. Elle met des outils à disposition de gens qui ont les moyens de les utiliser.

La norme sociale sera toujours davantage imposée par un modèle économique, à savoir sa rentabilité (le rapport coûts/avantages accepté pour la réalisation d’une offre). Comment survivre avec des comportements éventuellement dissidents au regard de cette norme, de ces normes ? Le refus de la fatalité imposerait de s’attaquer au modèle économique lui-même. Celui-ci reste fragile.

Polémia

25/02/2010

Image : videosurveillance

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