La fabrication de l'opinion par les images : le cas du cinéma . Comment s'en délivrer ? (Première partie)

lundi 2 novembre 2009


Deuxième Journée d’études sur la réinformation, organisée

le 24 octobre 2009

par la Fondation Polémia.

 

 

Communication de Michel Geoffroy



 A) Considérations préliminaires

-1ère considération :

On ne doit pas oublier que le cinéma est par construction un mode trompeur de communication : il vise à faire prendre des acteurs et des images pour une réalité (cf la publicité du film district 9 de Neil BlomKamp: le film de science fiction le plus réaliste…, donc une fiction réaliste. Bel oxymore… !. )

Le cinéma contemporain prétend représenter la réalité mais en usant de subterfuges de plus en plus sophistiqués ; c’est le paradoxe du cinéma contemporain, ex : dans Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg (1998), les images ont été tournées avec les couleurs et la fréquence de défilement de 1944 pour mieux ressembler à des « actualités » ; dans le film Gladiator de Ridley Scott (2000), les scènes de bataille ont été remasterisées pour paraître plus violentes etc…

Le genre a en outre débordé le pur divertissement pour empiéter sur « l’information », en particulier compte tenu des synergies croissantes entre télévision et cinéma, entre fiction et réalité, ex :

        – téléfilms à prétention historique qui mélangent des images réelles et reconstituées (un genre qui se développe)

        – diffusion de films pour influencer l’opinion à des fins politiciennes, par exemple le lancement du film Home de Yann Athus-Bertrand, au moment des élections européennes de 2009

        – intégration d’images de films dans les reportages « d’actualité » (qui sont donc en réalité des uchronies)

        – mise en scène de certaines situations pour illustrer « l’actualité » (ex : reportages « bidonnés », fausses interviews )

        – et bien entendu, désinformation par l’image (ex : la libération de Bagdad)

La frontière entre la « réalité » et le spectacle est donc devenue de plus en plus ténue. A la différence du théâtre, le cinéma réussit souvent à nous faire perdre conscience qu’il n’est qu’un spectacle (comme la première projection du film L’entrée du train en gare de La Ciotat)

-2ème considération :

Comme produit culturel le cinéma est depuis l’origine un enjeu de combat idéologique :

a– l’image possède une très grande puissance d’évocation, plus grande que l’écrit ; le film impose pendant au moins 1h30 un flot continu d’images et de sons à un public captif et placé dans le noir

b– le cinéma permet de toucher un large public en peu de temps et avec peu de moyens (un projecteur un écran ) et pour un coût d’entrée faible (place de cinéma moins chère que la place de théâtre ou de concert). C’était encore plus vrai au temps où il n’existait pas de télévision

c– le cinéma a pour cible principale la jeunesse

Le cinéma a donc rapidement été mobilisé au service des idéologies : le cinéma national-socialiste, le cinéma soviétique, le cinéma américain en sont de magnifiques exemples.

Le cinéma américain a ainsi été un vecteur de la promotion des « valeurs » et des intérêts stratégiques des Etats Unis et il a été utilisé comme tel :

         – les accords Blum/Byrnes : l’aide américaine à la Libération est liée à l’ouverture du cinéma français au cinéma américain ; l’accord prévoit un quota de 4 semaines par trimestre réservées aux films français, les autres semaines étant réputées « libres » , c’est à dire libres pour le cinéma américain

Résultat, en 1989 le film américain représentait 50% du marché français, le cinéma national représentant de 25 à 30%. Comme l’écrit David Puttnam dans son livre The Undeclared War –la guerre non déclarée étant bien sûr celle des écrans– « les européens ont perdu ainsi la bataille du divertissement populaire ». On notera que le même phénomène s’est produit en Russie après l’effondrement du communisme : le cinéma américain a représenté 83% du marché russe dans les années 90 (le cinéma russe représentant 5%, le reste étant constitué de films européens)

On rappelera également la condamnation par l’OMC –sur plainte américaine–  des pratiques chinoises en matière culturelles en août 2009 : « [c’est] une victoire majeure dans la longue bataille pour ouvrir le marché chinois », a déclaré la Motion Picture Association of America . 

Bien sûr, avec ses réseaux de distribution et ses produits dérivés, le cinéma est aussi une (grande) entreprise et un enjeu économique –les recettes du film Titanic de James Cameron en 1998, soit un an après sa sortie, s’élèvent à 1,8 Mrds de $. C’est donc une entreprise commerciale qui a besoin de séduire et de fidéliser la clientèle :

a– d’où une course au spectaculaire pour attirer le client, ce qui explique le développement des scènes de violence ou de sexe à l’écran, la course aux « effets spéciaux » et bien sûr la promotion du vedettariat .

b– d’où également la production de films de plus en plus internationaux, c’est-à-dire aptes à séduire une clientèle internationale et faciles à traduire dans toutes les cultures : les grandes productions visent une clientèle cosmopolite qu’il vaut mieux éviter d’effaroucher . C’est le « cinéma-monde ». Ainsi, Les films projetés dans les avions se caractérisent par certaines séquences tronquées pour éviter de choquer tel ou tel public.

Mais il ne faudrait pas avoir la naïveté de penser que l’insistance des Etats-Unis à exporter leur cinéma découle du seul intérêt marchand. S’ouvrir au cinéma américain, cela a signifié s’ouvrir aux « valeurs » véhiculées par ces films et s’ouvrir aux intérêts américains. D’où les soutiens constants apportés par l’Etat fédéral à Hollywood.

Pendant la seconde guerre mondiale le film de guerre américain (qui a aussi influencé par la suite  la bande dessinée destinée à la jeunesse) sert l’effort de guerre, ex : Lifeboat d’A. Hitchkock (1944) ou bien encore les cinéastes accompagnant sur le terrain les forces américaines comme J. Huston.

Après 1945 le cinéma américain joue ainsi un rôle de mobilisation idéologique face au communisme, pour la promotion des « valeurs » de liberté, c’est-à-dire de la vue du monde occidentale et donc des intérêts stratégiques correspondants. Accessoirement la valorisation de l’armée américaine –ex. Le Jour le plus long de Daryl Zannuck (1962)– sert aussi à marginaliser le rôle de l’armée russe dans la défaire de l’Axe. Voir :

– les feuilletons TV américains (ex. : « Papa a raison », diffusés à heure de grande écoute dans les années 60) qui ont conduit à populariser et valoriser « l’american way of life » partout en Europe. Ce cinéma idéologique est alors publicitaire ; il contribue à donner une image positive du modèle américain avec en général de très bons accords entre les « minorités », un bon train de vie des personnages, des intérieurs coquets, de belles voitures, des moyens matériels puissants mis à la disposition de la police et du pouvoir (hélicoptère symbole du pouvoir) etc…

– l’oeuvre de Walt Disney qui a servi la promotion de la vue américaine du monde (en réécrivant les œuvres du panthéon européen en ce sens) : Walt Disney raconte ainsi qu’il reçut en 1957 une lettre du président Eisenhower le félicitant d’avoir créé chez les enfants « une conception propre et optimiste de l’humanité » (le Figaro Magazine du 28/3/1987)

Aujourd’hui les films américains se sont mis au service de la promotion de la nouvelle idéologie dominante : le mondialisme et l’antiracisme ainsi que la lutte contre les « états voyous ». En voici quelques exemples :

1– les films catastrophe ou de fiction au service du mondialisme, ex : Independance day de Roland Emmerich (1996) où ce sont les américains qui mettront hors d’état de nuire les méchants extra-terrestres qui menaçaient le genre humain ; Deep Impact de Mimi Leder (1998)  ou Armageddon de Michael Bay (1998) où l’humanité doit s’unir, sous direction américaine, pour détruire la méchante comète qui menace la terre ; Le jour d’après de Roland Emmerich (2004) où le refroidissement catastrophique (et non le réchauffement climatique) de l’hémisphère Nord pousse le Nord et le Sud à se réconcilier –le président des Etats Unis se réfugie au Mexique où il est bien accueilli– (à noter que Le jour d’après de Nicholas Meyer (1983) traitait ….des suites d’une guerre nucléaire aux Etats Unis et l’on voit la progression de l’écologisme militant, nouvelle forme de pacifisme, c’est-à-dire une idéologie désarmante)

2– les films valorisant l’action de la CIA ou des services de sécurité américains au travers notamment du sympathique Jack Ryan, incarné au cinéma par l’acteur Harrisson Ford (Indiana Jones et Yann Solo, deux figures également emblématiques d’Hollywood), ex : Danger immédiat de Philip Noyce (1994) ou Jeux de guerre du même réalisateur (1992) ou encore A la poursuite d’octobre rouge. Il s’agit pour ce dernier film de valoriser la lutte contre les « états voyous » . On quitte alors l’ambiance critique des Trois jours du condor de Sydney Pollack (1975) ou d’Ennemi d’Etat de Tony Scott (1998) née de l’affaire du Watergate…


* * *

B) On traitera de la question de la désinformation par le cinéma,

C’est à distinguer du film militant ou « engagé » (ex : l’œuvre de Costa Gavras) qui en général affiche la couleur. Nul n’est obligé d’aller voir un film militant.

Il s’agit donc d’évoquer le cinéma subliminal, celui qui diffuse des idées –c’est à dire une vue du monde– derrière les images et donc à l’insu du spectateur qui vient voir un spectacle et qui ressort avec une empreinte idéologique

Ce contenu subliminal a plusieurs origines  :

1– Il peut résulter d’une volonté consciente. Le cinéma se met alors au service de la promotion d’une certaine lecture du monde ;
quelques exemples :
 
  a) Indigènes de Rachid Bouchareb (2006), destiné à suggérer que ce sont les Africains qui ont libéré la France et qui se sont sacrifiés pour elle (désinformation vis à vis de l’armée d’Afrique constituée en majorité d’européens)
   
  b) Welcome : film de Ph.Lioret (2009), destiné à valoriser l’assistance aux immigrés en situation irrégulière
   
 c) les films d’animation peuvent aussi être mis au service de l’idéologie, comme par exemple Pocahontas une légende indienne de Eric Golberg et Mike Gabriel des Studios Disney (1995), qui prône le réconciliation ethnique et le mariage mixte –ici entre la princesse indienne et le colon britannique– le méchant étant le chef des colons blancs

2– il peut être aussi inconscient et refléter tout simplement les penchants particuliers du monde du spectacle ou l’esprit tourmenté de certains cinéastes (ex : l’attitude positive vis à vis de l’homosexualité)

3– il peut enfin s’analyser en terme de superstructure (au sens marxiste) : le cinéma exprime alors l’image que la société donne d’elle même (cf le cinéma français qui met plutôt en scène un mal vivre, des personnalités désaxées, des familles en crise etc..parce que c’est ce que ressent une grande partie de la population)

Image : Affiche du film « il faut sauver le soldat ryan »


Voir :
 Deuxième partie
: http://www.polemia.com/article.php?id=2495
 

Téléchargement de l’ensemble du texte en pdf :

http://www.polemia.com/pdf/reinfo.cinema.pdf



 

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