Elections en Iran : Et si Ahmadinejad avait vraiment gagné ?

mercredi 17 juin 2009

Dès le lendemain de l’annonce des résultats des élections iraniennes, Nicolas Sarkozy s’est exprimé pour dénoncer la violence de la répression lancée contre les manisfestants opposés au président réélu Mahmoud Ahmadinejad. Cette violence, selon le président, était à la mesure des irrégularités qui auraient entaché ces élections. Comment, ironisait-il, un pouvoir régulièrement élu pouvait-il réprimer avec autant de force une opposition réclamant une annulation pure et simple ? L'Union européenne comme un seul homme est prête à faire pression sur Téhéran. 

De son côté, Joe Biden, vice-président des Etats-Unis, avait déjà fait part de son sentiment sur ces résultats. Dès dimanche soir dans les minutes qui ont suivi leur annonce, il émettait sur la chaîne de télévision NBC un premier jugement : « Vu la façon dont ils répriment la liberté d'expression, la façon dont ils répriment la foule, la manière dont les gens sont traités, il y a de vrais doutes sur la légitimité de la réélection du président sortant » et poursuivant : « Nous devons accepter cela pour le moment. Mais il y a beacoup de questions concernant la manière dont cette élection a été menée. Nous allons voir. Nous n'avons pas assez de faits pour établir un jugement définitif. Il faut que nous analysions les résultats et nous pourrons alors émettre un meilleur jugement ». L’Exécutif américain nous a habitués à ses formules péremptoires et à l’emporte-pièce à l’occasion d’événements qui n’ont pas l’heur de lui plaire ou plus dramatiquement pour justifier telle ou telle intervention outre-mer. Mais quelle que soit la réalité de cette fraude, ces déclarations destinées à formater l’opinion mondiale paraissent bien hâtives.

Les Etats-Unis ont encore à leur crédit des journalistes politiques qui n’hésitent pas à formuler des analyses à contre-courant du politiquement correct. C’est le cas de Robert Parry (1) qui commente un article du Washington Post du 15 juin sous la signature de Ken Ballen et Patrick Doherty qui « démolissent aussi un des principaux arguments avancés par de nombreux observateurs qui affirment qu’il y a eu fraude » (2). On trouvera ci-après cette analyse qui présente le mérite de la réflexion et du calme. Un proche avenir dira ce qu’il en est précisément, puisque le n°1 du régime iranien, Ali Khamenei, s'est dit favorable à un nouveau décompte partiel des voix.

Polémia


Elections en Iran : Et si Ahmadinejad avait vraiment gagné ?

L’idée que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a volé sa réélection par la fraude aux dépens de la « révolution verte » de Mir-Hossein Mousavi – soutenu par les milieux intellectuels et les classes moyennes – est petit à petit en train de s’installer comme un fait acquis.

Et pourtant la forte participation, estimée à environ 85%, était présentée comme la garantie d’une victoire écrasante d’Ahmadinejad, considéré comme l’allié des Iraniens plus traditionnels des classes ouvrières et paysannes.

C’est ce qu’affirment Ken Ballen and Patrick Doherty dans un article du Washington Post qui citent les conclusions d’un sondage qu’ils ont mené à travers tout le pays au mois de mai et qui prévoyait pratiquement la même avance en voix - de l’ordre de 2 pour 1 en faveur d’Ahmadinejad - que celle annoncée à la sortie des urnes.

Ballen et Doherty démolissent aussi un des principaux arguments avancés par de nombreux observateurs qui affirment qu’il y a eu fraude. Cet argument est que Mousavi, un Azeri, avait très certainement gagné dans les circonscriptions à majorité Azeri mais où Ahmadinejad est sorti vainqueur. Cependant, Ballen et Doherty rappellent que « notre sondage montre… que les deux tiers des Azeri préfèrent Ahmadinejad à Mousavi ».

Leur sondage contredit aussi une idée largement partagée par les grands média selon laquelle la jeunesse branchée sur Internet soutient Mousavi. Ils ont trouvé que seul 1 Iranien sur 3 a accès à l’Internet et que « les intentions de vote en faveur d’Ahmadinejad parmi les 18-24 ans étaient plus fortes que dans toute autre tranche d’âge de la population ».

Néanmoins, la précipitation des médias américains à parler de « fraude » est en train de créer une réalité politique à laquelle sont confrontées à la fois Washington et Téhéran. Un des jugements à l’emporte-pièce des médias est qu’Ahmadinejad a « volé » ces élections et que cela prouverait que les faucons israéliens et les néoconservateurs américains avaient raison lorsqu’ils affirmaient qu’il était impossible de traiter avec l’Iran d’une manière rationnelle, que le Président Barack Obama était le « grand perdant » et que le recours à la force est la seule option possible s’agissant de l’Iran.

Il est curieux de constater comment les médias américains s’intéressent soudainement à la régularité d’une élection alors que ces derniers ont ignoré, tourné en ridicule ou même couvert le vol de l’élection présidentielle de 2000 par George W. Bush ainsi que celle de 2004.

En 2000, la Floride – état contrôlé par le frère de Bush, Jeb, et ses partisans – fut le théatre d’irrégularités à grande échelle. Ensuite, lorsqu’un recomptage des voix a été initié, les hommes de campagne de Bush ont envoyé à Miami des hooligans en costume cravate pour y organiser des émeutes destinées à déstabiliser le recomptage. Finalement, Bush a obtenu que cinq juges Républicains de la Cour Suprême des Etats-Unis ordonnent l’interruption du recomptage et déclarent Bush vainqueur.

La presse US fut extraordinairement silencieuse sur ce vol d’élection bien documenté. Même lorsqu’il était devenu évident qu’Al Gore avait remporté la majorité des suffrages et aurait remporté la Floride si tous les bulletins avaient été comptés, les principaux médias US, dont le New York Times et CNN, ont déformé les faits pour protéger la « légitimité » de Bush.

De même, de graves irrégularités ont entaché l’élection de 2004, particulièrement dans l’état du Ohio, et n’ont jamais fait l’objet d’un examen sérieux par les mass média, qui ont préféré dénigrer les sites internet (dont le notre, Consortiumnews.com) et les groupes de citoyens en les qualifiant de « théoriciens du complot » lorsqu’ils ont voulu attirer l’attention sur d’étranges résultats en faveur de Bush données par les machines à voter.

Cependant, lorsqu’une élection se déroule dans un pays étranger et qu’un candidat « impopulaire » semble se faire élire, là les règles changent. Tous ceux qui n’admettent pas immédiatement qu’il y a eu fraude sont des naïfs ; chaque « théorie du complot » est complaisamment citée tandis que les preuves du contraire sont minimisées ou ignorées, par exemple le vote des Azéris révélé par Ballen et Doherty.

L’autre ironie de cette histoire est que les leaders religieux iraniens ont ordonné une enquête sur les accusations de fraude dans un pays pas spécialement réputé pour ses institutions démocratiques. Mais c’est déjà plus que les américains n’ont obtenu en 2000 et 2004.

Robert Parry
16/06/2009

Article original
http://www.consortiumnews.com/2009/061509c.html
Traduction VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info
http://www.legrandsoir.info/Elections-en-Iran-Et-si-Ahmadinejad-avait-gagne.html

Correspondance Polémia
17/06/2009

Notes de la rédaction :
(1) Créateur et animateur du Consortium News depuis 1995, Robert Parry se consacre à un journalisme d’investigation. Il est assez représentatif de la gauche américaine et il a travaillé longtemps pour l'Associated Press et l’agence Bloomberg. Il est l’auteur de plusieurs livres.

(2) The Iranian People Speak
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/06/14/AR2009061401757.html

 

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