« On croyait avoir tout entendu sur la désormais célèbre agression du bus »

dimanche 19 avril 2009

On se souvient de la vidéo d’une agression sauvage survenue dans un bus en plein Paris et de sa diffusion sur internet. On a crié au scandale, non pas en raison du tabassage lui-même, mais, plus lâchement, à cause de la diffusion sur le net d’une video qui serait due à une fuite qui aurait pour auteur un policier et , surtout, de la mise en ligne d’un tel événement par un site qui avait rompu avec l’omerta largement respectée par les médias. Tout le monde s’y est mis, les politiques comme les médias : manipulation criaient les uns,  instrumentalisation vociféraient les autres.
Quelques jours plus tard, c’est au tour de la victime, un étudiant de première année à Science Po, de parler. Après avoir dit ne pas vouloir s’exprimer sur son agression, il a livré au Figaro ses impressions. En voici quelques phrases : « Personnellement, je n’ai rien entendu de la sorte. Ces propos, [les injures raciales] s’ils ont été dits, interviennent dans un contexte où mes agresseurs étaient drogués ou ivres. Par ailleurs, ils n’étaient pas tous issus de l’immigration. La vidéo de mon agression apparaît comme très stéréotypée car, ce soir-là, je suis habillé de façon bourgeoise et je suis face à quatre jeunes qui faisaient beaucoup de bruit. En aucun cas, je ne veux passer pour l’incarnation d’une certaine image sociale qui aurait été prise à partie par des étrangers. Je ne l’ai pas ressenti comme cela. L’un des assaillants en survêtement, rasé, avait d’ailleurs une couleur de peau très pâle… » On appréciera le formatage de l’esprit de l’élève de Sciences Po !
Ce que n’ont pas manqué de faire Cyrano et Radu Stoenescu, en deux articles particulièrement saignants, suite à l'interview de la victime et à celle du professeur Olivier Duhamel, qui a expliqué, sur France Culture, qu’il était fier de son élève qui a donné une « belle leçon de déontologie journalistique à l’ère de la démocratie numérique ».
Nous produisons ci-après seul, uniquement pour des raisons de mise en page, celui de Radu Stoenescu, philosophe. Mais nos lecteurs pourront se rendre au site de Riposte Laïque pour y lire celui de Cyrano. (1)
Polémia


Profanation de sépulture dans un bus de nuit

On l’a retrouvé, le jeune bourgeois qui a été agressé dans le Noctilien, il est étudiant en première année à Science Po Paris, il a donné une interview « exclusive » au Figaro (2), et il a promis de se taire pour toujours. Profitons donc de cette dernière chance pour analyser cet échantillon unique de la moisissure verdâtre secrétée par son cerveau, qu’on appelle toujours, comme tant d’autres choses dont on a trafiqué l’étiquette pour les commercialiser en gros, d’un vieux nom qui ne correspond plus à aucune réalité : la pensée. L’interview dans son ensemble poursuit un seul et unique objectif : cacher la réalité qui a eu l’outrecuidance de se dévoiler à travers les caméras de la RATP, telle une cyber-putain se déshabillant d’une manière éhontée devant sa webcam, effarouchant les nouvelles grenouilles de bénitier de l’antiracisme. Le réalisme, comme l’a montré René Girard dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, a émergé historiquement avec le christianisme, à cause de la hantise de créer des boucs émissaires, de la peur de succomber à la contagion mimétique et de prendre les apparents stigmates de la victime sacrificielle pour les signes fallacieux de son caractère diabolique. Aujourd’hui, on assiste au dépérissement du réalisme, et au basculement dans le confuso-onirisme à cause de cette même hantise portée au paroxysme. (3)

Si la réalité montrée par cette vidéo doit rester cachée, pensent les nouveaux censeurs, c’est parce qu’elle serait susceptible d’accroître l’animosité des Blancs contre les non-Blancs, c’est-à-dire parce qu’elle pourrait « nourrir le racisme ». Elle pourrait être utilisée pour « stigmatiser une communauté ». Dans notre post-monde, les rôles sont à jamais figés, et les individus réels ne sont plus perçus qu’en tant que représentants de communautés momifiées, dont l’Histoire s’est achevée et s’est constituée en tant que catalogue de crimes, connus et commentés à l’envi par tous. « On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : de sorte que l’on n’en finit pas de se moquer » écrivait Nietzsche à propos du dernier homme. Nous vivons un Jugement dernier sans fin, sans rédemption et sans possibilité de réparation. Ce ne sont pas des enfants qui doivent payer bibliquement pour les fautes de leurs parents, mais des ombres qui traînent des spectres devant des tribunaux imaginaires et s’accusent mutuellement de raviver les « démons du passé ».

C’est dans cette configuration mentale que l’interview de la victime du Noctilien nous est donnée comme exprimant la parole véritable sur le lynchage qu’elle a subi, pour faire rentrer la réalité dans le cadre pré-établi par les morts-vivants. « Que s’est-il passé vraiment dans le Noctilien cette nuit ? » demande le journaliste-hypnotiseur, qui ne pose pas de réelles questions, mais suggère des réponses. L’accent est mis sur le « vraiment », qui laisse entendre qu’il existerait une vérité de cette agression différente de celle visible par tout internaute. On s’attend à des révélations, à une remise en cause radicale du sens des images par le discours. Mais rien. Dès la cinquième ligne l’étudiant déclare « D’un point de vue spatial ou temporel, j’ai beaucoup de mal à évaluer ce que j’ai vécu. En voyant la vidéo, cela m’a permis d’ancrer mon agression dans le réel. »

La victime avoue ainsi d’emblée qu’elle n’a pas de vérité autre à livrer sur ce qu’elle a subi, qu’elle connaît finalement son agression aussi mal que ceux qui ont vu, comme elle, les images tournées par les caméras de surveillance. Il la connaît même plus mal encore, car il n’a pas entendu ce que la caméra a enregistré, à savoir les insultes racistes de ses agresseurs. Cet aveu inaugural rend la suite de l’entretien à la fois extravagante et inutile. Car si c’est seulement grâce à ces images que ce jeune homme a pu « ancrer son agression dans le réel », alors la vérité de cette agression ne tient qu’à ces images, et elle est accessible à tous autant qu’à lui.

Ne se rendant pas compte qu’avec cette entrée en matière, il rend le reste de ses propos complètement caducs, l’étudiant parle ensuite de cette vidéo documentaire dont il est le héros, comme d’un film de fiction qui aurait été conçu avec d’arrières pensées malveillantes. C’est pourquoi il déclare « La vidéo de mon agression apparaît comme très stéréotypée car, ce soir-là, je suis habillé de façon bourgeoise et je suis face à quatre jeunes qui faisaient beaucoup de bruit. » C’est le réalisateur et le costumier qui sont coupables. On bascule ici dans l’onirisme : ce décérébré parle d’un événement de sa vie comme d’un spot publicitaire, dans lequel on lui aurait donné un mauvais rôle : il incarne « une certaine image sociale qui aurait été prise à partie par des étrangers. » Il veut sortir de cette « réductrice caricature ».

Jadis, on disait « pince-moi, je rêve », mais cette expression n’a plus aucun sens, car même tabassé par quatre personnes, on ne revient pas à la réalité. On ne saurait être plus mort : il n’y a plus de réalité, plus de documents, mais une pensée qui orwellise seule ses souvenirs, et les réinterprète contre l’évidence même qui lui crève les yeux. Elle ne veut plus décrire la réalité, quand celle-ci rentre en contradiction avec ses présupposés, et remplace cette réalité par un fantasme qu’elle veut imposer à tous ceux qui ont vu, comme elle, les mêmes images. Il faut qu’il y ait une autre réalité que celle montrée par les images, c’est son impératif moral : « Il y a eu un grave amalgame entre la réalité de cette scène et sa représentation » dit l’étudiant sermonneur. Vous n’avez pas vu ce que vous avez vu, ce que vous avez vu n’était pas réel.

La nouvelle censure est pire que celle de Big Brother, car celui-ci redoutait au moins que ses sujets se souviennent d’autre chose que ce qu’il disait selon les impératifs du jour, c’est pourquoi il prenait la peine de réécrire le passé. Mais à nous, on ne nous explique pas quelle était cette réalité plus réelle que celle montrée par la vidéo de surveillance. Réécrire l’histoire, c’était faire encore trop honneur aux hommes, et se laisser encore hanter par la possibilité d’énonciation de la vérité. Désormais, un tel scrupule est ridicule. On nous intime juste l’ordre d’oublier.

Si le mort-vivant dont la sépulture a été profanée se prétend en droit de nous donner cet ordre, c’est parce qu’il se croit le propriétaire exclusif de sa représentation. Cette ombre avachie considère comme une atteinte à sa dignité qu’on fasse la lumière sur ce qui lui arrive, tout animé du désir de devenir un vampire sans reflet : « Le fait d’apparaître brutalement au centre d’une polémique de cette ampleur n’est jamais très agréable. Cela me blesse beaucoup alors que j’avais réussi à dépasser le fait en lui-même » déclare-t-elle. Pour un spectre, avoir encore une image incontrôlable dans l’âme des autres, c’est encore plus blessant que les coups réels, car cela rouvre la cicatrice de l’antique plaie qui jadis faisait de lui un homme, et dont la fin de l’Histoire l’a presque guéri. Lui dire que le sens de son existence lui échappe, tirer du fait sordide dont il a été le zéro des enseignements, polémiquer autour de son quotidien, tout cela lui rappelle la contradiction, la distance, la béance, la castration, la distinction entre l’être et le paraître, vieilles maladies dont il se croyait guéri. Gageons qu’il s’en tirera, puisqu’un psychiatre lui a dit qu’il a « l’air de bien vivre cette histoire ».

Radu Stoenescu
Philosophe
17/04/09,
Riposte Laïque n°84 bis
http://www.ripostelaique.com/Profanation-de-sepulture-dans-un.html

PS. J’espère seulement qu’à la prochaine bavure policière, la victime aura la civilité de déclarer, comme notre pacifique étudiant : « La vidéo de mon agression apparaît comme très stéréotypée car, ce soir-là, je suis habillé comme une caillera et je suis face à quatre flics en uniformes qui jouent avec leurs matraques. En aucun cas, je ne veux passer pour l’incarnation d’une certaine image sociale qui aurait été prise à partie par des forces de police. Je ne l’ai pas ressenti comme cela. L’un des officiers, barbu, avait d’ailleurs une couleur de peau assez foncée… Il y a eu un grave amalgame entre la réalité de cette scène et sa représentation. Cette vidéo a circulé sur des sites extrémistes et a été exploitée par des politiques. Or, je ne veux pas être instrumentalisé. Le sujet est propice aux idées radicales et je n’ai aucune envie de nourrir cela. Il me fallait sortir de cette réductrice caricature. »

Correspondance Polémia

Note :
(1)http://www.ripostelaique.com/Le-professeur-Olivier-Duhamel-aime.html

(2) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/04/10/01016-20090410ARTFIG00681-la-victime-agressee-dans-le-bus-temoigne-.php

(3) Voir mon article La gauche française a peur du péché
http://www.ripostelaique.com/La-gauche-francaise-a-peur-du.html
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