Enquête auprès de militaires américains de haut rang en Irak : des milliards de dollars ont disparu/Un coup encore plus énorme que celui de Madoff

jeudi 26 février 2009

Apprenant par la presse la visite soudaine de Nicolas Sarkozy à Bagdad le 10 février dernier, les Français ont été surpris de ce déplacement apparemment impromptu. Patrick Cockburn qui couvre, sur le terrain, pour le quotidien anglais "The Independent", les développements quotidiens en Irak, donne peut-être une réponse à leur interrogation dans son article du 16 février dernier : vouloir promouvoir le savoir-faire et la disponibilité des entreprises françaises qui seraient prêtes à remplacer les firmes américaines qui n’ont pas su accomplir leurs tâches ? Si c’était le cas, la démarche de Nicolas Sarkozy ne serait que louable. A noter cependant que cette visite a été suivie, dès le 17, de celle du chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier qui a signé à Bagdad plusieurs protocoles d'accord, relançant une coopération bilatérale qui fut très importante avant l'embargo imposé par l'ONU à l'Irak en 1990.
Polémia




Les autorités américaines viennent d’entamer une enquête sur ce qui pourrait se révéler la plus grande escroquerie de l'histoire des Etats-Unis, à savoir le rôle présumé d’officiers de haut rang dans le détournement de 125 milliards de dollars (88 milliards de livres sterling) destinés à l’effort de reconstruction américain de l'Irak après la chute de Saddam Hussein. On ignore le montant exact du détournement mais un rapport de l'Inspecteur général spécial américain pour la reconstruction de l’Irak (Special Inspector General for Iraq Reconstruction, SIGIR) laisse entendre qu’il pourrait dépasser les 50 milliards de dollars, c’est-à-dire un vol encore plus important que le célèbre système Ponzi de Bernard Madoff.

« Je crois que le véritable pillage de l'Irak après l'invasion a eu pour auteurs  des responsables américains et des entrepreneurs, et non des gens venus des bidonvilles de Bagdad », a déclaré un homme d'affaires américain en activité en  Irak depuis 2003.

Un jour, les enquêteurs travaillant pour le compte de SIGIR ont découvert que 57,8 millions de dollars avaient été envoyés sous forme de « palette sur palette de billets de cent dollars » à un administrateur américain du centre-sud de l'Irak, Robert J. Stein Jr, qui s’était lui-même fait photographier debout devant l’amas d’argent. Il fait partie du petit nombre des responsables américains qui, en Irak, allaient être reconnus coupables d’escroquerie et de blanchiment d'argent.

Malgré les énormes sommes dépensées pour la reconstruction par les Etats-Unis depuis 2003, on n’a pas vu une grue sur la ligne des toits de Bagdad, à l'exception de celles qui travaillent à la construction d'une nouvelle ambassade des Etats-Unis, et d'autres en train de rouiller à côté d'une mosquée géante à demi-achevée que Saddam avait entrepris d’édifier avant d’être renversé. L’un des quelques signes apparents des travaux d’infrastructure menés par le gouvernement à Bagdad est le soin apporté sans relâche à la plantation de palmiers et de fleurs dans les plates-bandes centrales des artères principales. Ceux-ci sont ensuite arrachés et replantés quelques mois plus tard.

Les dirigeants irakiens sont convaincus que le vol ou le gaspillage des énormes sommes d’argent fournies par les Etats-Unis et par le gouvernement irakien n’ont pu se réaliser que si les hauts responsables américains étaient eux-mêmes impliqués dans la corruption. En 2004-2005, l'entier budget militaire irakien d’une dotation de 1,3 milliard de dollars a été détourné du ministère de la Défense irakien en échange d’hélicoptères soviétiques vieux de 28 ans, trop vétustes pour voler, et de véhicules blindés dont le blindage ne résistait pas aux balles de fusil. Les responsables irakiens furent accusés de ce vol mais à l’époque c’étaient les responsables militaires américains qui contrôlaient largement le ministère de la Défense, et ils ont dû alors ou bien être d’une extrême négligence ou bien participer à la fraude.

Selon le « New York Times », des enquêteurs fédéraux américains viennent d’ouvrir une enquête sur les activités d’officiers américains de haut rang impliqués dans le programme de reconstruction de l'Irak. Le journal cite des entretiens avec de hauts fonctionnaires du gouvernement et des pièces judiciaires. Ces rapports judiciaires révèlent qu’en janvier les enquêteurs ont demandé par citation la production des dossiers de banque du colonel Anthony B. Bell, aujourd'hui retraité de l'armée américaine mais qui était auparavant responsable des contrats relatifs à l'effort de reconstruction en 2003 et 2004. Le journal cite aussi deux fonctionnaires fédéraux ayant déclaré que les enquêteurs se penchaient également sur les activités du lieutenant-colonel Ronald W. Hirtle de l'US Air Force, l’officier chargé de conclure les contrats à Bagdad en 2004. On ne sait pas très bien quelles sont exactement les preuves à charge contre les deux hommes qui, tous deux, ont déclaré n’avoir rien à cacher.

La fin de l'administration Bush, celle qui a engagé la guerre, va peut-être donner une nouvelle impulsion aux enquêtes sur les escroqueries où des dizaines de milliards de dollars ont été dépensés pour la reconstruction alors que bien peu de choses ont été construites et peuvent être utilisées. Dans les premiers temps de l'occupation, des Républicains ayant des relations se sont vu attribuer des emplois en Irak, sans tenir compte de leur expérience. Un garçon de 24 ans, issu d’une famille de Républicains, s’est vu confier la responsabilité de la bourse de Bagdad qui a dû fermer parce qu’il avait, paraît-il, oublié de renouveler le bail de son immeuble.

Dans l'enquête élargie menée par les agences fédérales sont en cours de réexamen les preuves retenues contre un homme d’affaires américain de peu d’envergure, du nom de Dale C. Stoffel, assassiné en 2004 après avoir quitté la base américaine de Taiji au nord de Bagdad. Avant d’être tué, M. Stoffel,  marchand d'armes et entrepreneur, avait bénéficié d’une immunité limitée contre d’éventuelles poursuites après avoir fourni des informations sur l’existence d’un réseau de corruption - reliant des entreprises à des responsables américains pour l'attribution des contrats – opérant à l’intérieur de la Zone verte sous contrôle américain à Bagdad. Il avait déclaré que des pots-de-vin de dizaines de milliers de dollars étaient régulièrement livrés dans des boîtes à pizza et envoyés à des officiers américains responsables de l’attribution des marchés.

Jusqu'à présent, les officiers américains qui ont été poursuivis avec succès ou démasqués ont surtout été impliqués dans de la corruption à petite échelle. Souvent, le montant des sommes versées en espèces n’avait jamais été enregistré. Par exemple, un soldat américain chargé de relancer la boxe irakienne avait dilapidé tout son argent au jeu, mais il ne pouvait pas être poursuivi puisque, même si l’argent avait bel et bien disparu, personne n'avait noté s’il s’agissait de 20.000 ou de 60.000 dollars.

Les ministres irakiens conviennent de l’énorme corruption de leur gouvernement.  Ali Allawi, ancien ministre des Finances, a déclaré que l'Irak était « en train de devenir comme le Nigeria dans le passé, où tous les revenus provenant du pétrole étaient volés ». Mais chez les hauts responsables irakiens on soupçonne fortement aussi les Américains d’avoir été complices ou d’avoir utilisé des délégués irakiens comme prête-noms dans des affaires de corruption. Plusieurs responsables irakiens ont bénéficié d'emplois importants sur recommandation de l'administration américaine à Bagdad alors qu’ils étaient inexpérimentés. Par exemple, le responsable des passations de marchés pour les armes, au centre du scandale du ministère de la Défense, était un Polono-Irakien,  qui a vécu 27 ans hors d'Irak et dirigé une pizzeria dans la périphérie de Bonn dans les années 1990.

Dans bien des cas, les entrepreneurs n'ont jamais commencé ni terminé les installations qu’ils étaient censés construire. Comme la sécurité en Irak s'était détériorée depuis l'été 2003, il était difficile de vérifier si un contrat avait été achevé. Mais le manque d’approvisionnement en électricité, en eau et l’absence d’évacuation des eaux usées pendant l’occupation américaine ont été décisifs pour s'aliéner les Irakiens du régime post-Saddam.

Par Patrick Cockburn
16/02//09
« The Independent »
Source : « The Independent » et « Belfast Telegraph »
http://www.belfasttelegraph.co.uk/news/world-news/us-soldiers-investigated-over-fraud-bigger-than-madof-14189692.html
Traduction de l’anglais : RS pour Polémia.com
Correspondance Polémia
26/02/09
 

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