Israël exige des autres Etats qu’ils boycottent l’Iran et… achète du pétrole iranien

vendredi 9 mai 2008

Israël est censé observer un boycott des plus fermes contre l’Iran, mais achète du pétrole iranien. Si vous vous êtes déjà demandé ce qu’était la définition du mot hypocrisie, vous trouverez la réponse ici.

Le mois dernier, la ministre des Affaires étrangères suisse a fait une visite en Iran et, ensemble avec le président Ahmadinejad, ils ont participé à la signature d’un contrat de plusieurs milliards d’euros pour la fourniture par l’Iran à la Suisse de grandes quantités de gaz naturel pendant les 25 prochaines années.

Le Département d’Etat américain a immédiatement condamné l’accord et a dit qu’il enquêterait pour voir s’il était en violation avec le « Iran Sanctions Act » (…) Israël s’est également plaint, décrivant la visite de la ministre suisse à Téhéran comme un « acte inamical à l’égard d’Israël ». Différentes institutions juives se sont également jointes aux protestations, dont le World Jewish Congress.

Cette vertueuse indignation était tout à fait prévisible, mais néanmoins quelque peu bizarre. Le 30 mars 2008, le journal suisse « Sonntag », en représailles, a révélé qu’Israël, censé observer un boycott des plus fermes sur tout ce qui est iranien, achète depuis des années du pétrole iranien.

L’article est en allemand mais le journaliste israélien Shraga Elam m’a fourni une traduction que je vais citer :

« Israël importe du pétrole iranien en grande quantité, même si les contacts avec l’Iran et l’achat de ses produits sont officiellement boycottés par Israël. Israël contourne le boycott car la livraison du pétrole se fait via l’Europe. Un bulletin israélien fiable sur l’énergie, EnergiaNews, a rapporté cela la semaine dernière (18 mars)…

« EnergiaNews a obtenu l’information sur le commerce avec l’Iran de sources ayant des liens avec la direction d’Israeli Oil Rafineries Ltd… Selon EnergiaNews, le pétrole iranien est apprécié en Israël parce que sa qualité est meilleure que d’autres pétroles bruts.

« L’article du responsable de publication d’EnergiaNews, Moshe Shalev, déclare que le pétrole iranien est livré dans différents ports européens, principalement à Rotterdam. Il est acheté par des Israéliens et les papiers nécessaires pour le chargement et les assurances sont fournis. Puis il est transporté à Haïfa en Israël. L’importateur est EAPC Eilat –Ashkelon Pipeline Co, qui tient secrètes les sources de son pétrole. »

EAPC a été crée en 1968, société israélo-iranienne, destinée au transport du pétrole d’Iran vers l’Europe. Après la chute du Shah, l’Iran a cessé de jouer un rôle actif dans ses affaires, et les relations entre les deux partenaires ne sont pas bonnes.

Toujours selon l’article suisse :

« On ne sait pas trop si les exportateurs iraniens ont connaissance des achats de leur pétrole par les Israéliens. En revanche, les acheteurs israéliens et les institutions gouvernementales sont tout à fait au courant de la provenance du pétrole de haute qualité, bien que cela soit en flagrante contradiction avec le boycott. L’article d’EnergiaNews a même traversé les chicanes de la censure israélienne, qui a seulement demandé quelques aménagements du texte. Le fait que l’article ait été accepté par la censure accroît la crédibilité de l’information. Par le passé, de tels articles étaient interdits. »

« Quand le “Sonntag” a posé des questions à un expert en énergie d’un des journaux israéliens les plus lus, celui-ci a confirmé l’article d’EnergiaNews. Israël importe du pétrole iranien depuis de nombreuses années. L’expert a fait cependant remarquer que les achats avaient lieu sur le marché libre et non pas directement de l’Iran. »

Le « Sonntag » cite un porte-parole de Oil Refineries Ltd niant que sa société importait et transformait le pétrole iranien. Cependant, « Sonntag » publie un article paru dans le journal « Haaretz » d’octobre dernier selon lequel une société d’énergie israélienne du nom de Paz allait raffiner du pétrole iranien pour approvisionner l’Autorité palestinienne à partir de début 2008.

Cela suscite une question : si l’Iran est, comme l’affirme Bibi Netanyahu, une menace existentielle pour Israël, pourquoi son gouvernement autorise-t-il un tel commerce ? Est-ce qu’Israël fera en sorte que les Etats-Unis attaquent le programme nucléaire de l’Iran, provoquant un conflit potentiellement régional, alors qu’il ne peut pas se passer du pétrole brut de très bonne qualité de l’Iran ? On est en droit de penser que si les Israéliens tremblent de peur à l’idée d’une bombe iranienne lancée par le supra-antisémite Ahmadinejad (ce qualificatif n’est pas juste : qu’il soit antisioniste oui, antisémite non. NDT), ils ne voudraient pas commercer avec un tel ennemi.

Quand un boycott n’est-il pas un boycott ? Apparemment quand c’est dans votre propre intérêt économique de le contourner. Mais on devrait demander : Si Israël ne respecte pas son boycott autoproclamé de l’Iran, pourquoi le reste du monde devrait-il respecter le boycott du Hamas et de Gaza ? Si Israël ne respecte pas son boycott, alors pourquoi les membres du Congrès votent-ils avec l’AIPAC (puissant lobby pro-sioniste à Washington) quand il propose des mesures que même Israël enfreint ?

Il est intéressant de noter que, lors d’une discussion sur le site en hébreu de Kadima (parti du premier ministre israélien Ehud Olmert. NDT), Israël ne qualifie pas officiellement l’Iran de « nation ennemie» et que, par conséquent, dans un sens strictement légal, un tel commerce est autorisé. Ironie de l’histoire : l’Iran a aussi mis en place un boycott contre Israël, et, sur ce point, viole ses propres mesures. De plus, le même commentateur note que, la semaine dernière, Israël a dit que les tentatives de négociations avec la Syrie, lors d’un processus diplomatique, ont été un échec en raison du fait que la Syrie refuse de renoncer à ses liens avec l’Iran. Qui parle d’hypocrisie ?

Richard Silverstein
04/04/08
The Guardian.co.uk
Traduction Mireille Delamarre
http://commentisfree.guardian.co.uk/richard_silverstein/2008/04/israels_tehran_connection.html
Correspondance Polémia
19/04/08

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