« Margaret Thatcher face aux mineurs / 1972-1985 : treize années qui ont changé l'Angleterre »
Par Pierre-François Gouiffès

vendredi 2 mai 2008

« La Grande-Bretagne est pour nous un modèle », a déclaré Nicolas Sarkozy lors de sa visite officielle à Londres en mars 2008. Il visait par là les réformes libérales et la modernisation de l'Etat et de l'économie qui y ont été accomplies. Or, celles-ci n'ont été possibles que parce que le gouvernement conservateur a livré et gagné une bataille décisive contre les grands syndicats au début des années 1980. C'est le mérite de Pierre-François Gouiffès d'en rappeler les épisodes essentiels dans un ouvrage consacré à « Margaret Thatcher, face aux mineurs ».

Sur le fond, ce livre rappelle trois vérités qui n'ont pas franchi la Manche :

1-Margaret Thatcher et les ministres conservateurs qui la soutenaient avaient, bien sûr, de solides convictions idéologiques libérales, mais ils avaient aussi clairement défini le pouvoir syndical comme leur ennemi ; voilà pour la théorie !
2-Pour l'action, le pragmatisme britannique conduisit la Dame de fer à se préparer au conflit inéluctable qui s’annonçait avec le syndicat des mineurs ; et donc à doter son gouvernement des armes nécessaires pour y faire face : elle fit constituer des stocks de charbon et de fuel ; elle diffusa une nouvelle doctrine d'engagement policier en matière de maintien de l’ordre ; elle fit adopter des dispositions législatives répressives des abus de pouvoir syndicaux.
3-Reste que Margaret Thatcher n'a pleinement gagné la bataille qu'en raison du jusqu'auboutisme du patron des mineurs, Arthur Scargill, qui n'a pas su se retirer de la table de jeu au bon moment ; si ce chef syndical avait été plus modéré, la bataille n’aurait pas été gagnée par le gouvernement conservateur. Ce qui est souvent ignoré.

Sur la forme, le livre de Pierre-François Gouiffès a deux mérites. Il est écrit par un haut fonctionnaire qui a l'expérience du pouvoir dans les cabinets ministériels. A ce titre l'auteur a vécu, mi comme acteur mi comme observateur, deux crises : celle de la réforme du ministère des Finances autour des années 2000 et celle du Contrat première embauche (CPE) sous le gouvernement Villepin. Il comprend donc de l'intérieur les ressorts des hommes qui affrontent des crises et peut ainsi décrire les situations avec finesse. Reste la qualité de l'écriture. Chacun se souvient de l'expression du général de Gaulle cherchant un directeur de cabinet (qui fut Georges Pompidou) : « Trouvez-moi un normalien sachant écrire. » Ancien de l’ESSEC et énarque, Pierre-François Gouiffès n'est pas normalien mais c'est un inspecteur des Finances sachant… (ra)conter. Ce qui rend la lecture du livre non seulement utile mais aussi plaisante !
Polémia

Est-ce l’approche du trentième anniversaire de l’accession de Margaret Thatcher au pouvoir ou le simple hasard mais, depuis quelques mois, plusieurs ouvrages portant sur le célèbre premier ministre britannique ont paru en France. Parmi ceux-ci, le livre de Pierre-François Gouiffès, qui ne traite pas d’une nouvelle biographie de la Dame de Fer, s’attache à analyser un des moments charnières qui a contribué à forger l’image de femme politique de conviction et de femme d’Etat volontaire, résolue à sortir son pays de la situation catastrophique dans laquelle il se trouvait alors. Cette analyse porte donc sur la confrontation qui a opposé le gouvernement de Margaret Thatcher au très influent et emblématique syndicat des mineurs britanniques. Si la plupart d’entre nous avons du mal à définir les contours de cet affrontement politique, nous nous souvenons qu’il fut un des tournants majeurs dans la politique de redressement national qui a permis à la Grande-Bretagne de retrouver toute sa place sur la scène internationale.

Pour bien saisir les ressorts de cet affrontement, P.F. Gouiffès le replace dans la longue histoire des mineurs britanniques et de leur syndicat mais également dans le contexte économique et social général de l’époque. En effet, comment comprendre la logique et la détermination des protagonistes du conflit sans revenir sur les années qui l’ont précédé et qui en constituent la genèse. Margaret Thatcher, comme Arthur Scargill, leader charismatique de la NUM (National Union of Miners) ont forgé leurs convictions lors des conflits précédents et restent influencés par les conceptions politiques et choix de société de cette époque. Ce conflit se présente, en effet, à la fois comme un conflit du travail classique porté à son paroxysme et comme une confrontation politique majeure sur un choix de société pour la Grande-Bretagne. Les acteurs principaux en étaient conscients et c’est ce que nous propose d’analyser P.F. Gouiffès.

Le poids du charbon dans le décollage économique de la Grande-Bretagne est primordial ; il l’explique presque à lui seul, à tel point que l’on a pu parler du « King Coal ». Il n’est donc pas surprenant que les communautés de mineurs aient tenu une place particulière dans le monde ouvrier du XIXe et du premier tiers du XXe siècle. Leur influence sur le monde ouvrier d’alors est prédominante, à la fois en raison de leur position dans l’économie, de leur nombre (1,1 million en 1913) mais aussi de leur importance syndicale. Ils sont nombreux et bien structurés. Pourtant, dès 1926, les mineurs connaissent un premier échec suite à une grève de six mois infructueuse. Cette grève où des divisions entre mineurs sont apparues et à laquelle les autres syndicats n’ont pas apporté leur soutien reste dans les mémoires et fait naître une rancœur qui incitera beaucoup de mineurs à abandonner le parti travailliste accusé de trahison pour rejoindre le parti communiste de Grande-Bretagne. A cette même époque, la part du charbon britannique dans le monde est en forte diminution et seulement 28% de l’extraction est mécanisée alors que cette part est de 91% en Allemagne et de 72% en France.

La réunification syndicale ne sera entreprise qu’à partir de 1937 pour être effective en 1944. La NUM reste toutefois marquée par les anciennes scissions et l’on compte en son sein une aile « droite » modérée et une aile gauche militante proche du parti Communiste. Le secteur charbonnier continue de perdre de sa vigueur et devient une industrie très subventionnée après 1945. Malgré ce soutien, la situation se dégrade et le nombre de mineurs passe, entre 1945 et 1973, de 600.000 à 230.000. Dans ce contexte, le rapport de forces entre l’aile modérée et l’aile gauche militante évolue au bénéfice de cette dernière. Arthur Scargill, jeune militant de gauche, ancien des Jeunesses communistes et toujours proche du PC, prend, dans le courant des années 1960, la direction de l’Union régionale du Yorkshire, l’une des Unions régionales en pointe au sein de la NUM. Ce fort esprit militant se traduira dès 1969 par la mise en place et l’utilisation efficace des « piquets volants » qui joueront un rôle déterminant lors des grèves des années suivantes. Ces « piquets volants » ont pour mission de bloquer, sur l’ensemble du territoire, les sites ne suivant pas le mouvement de grève ou étant jugés stratégiques par les grévistes.

D’une façon générale, dans une économie en mauvaise santé où de larges secteurs sont nationalisés, les syndicats ont de plus en plus de pouvoir. Les grèves deviennent au Royaume-Uni une question lancinante à partir de 1964. Elles sont systématiquement utilisées pour faire pression sur les négociations collectives. Le contexte juridique est extrêmement protecteur pour les syndicats et les organisateurs des grèves (Trade Dispute Act de 1906). La situation au sein de la société britannique est paradoxale car, si le nombre de syndiqués ne cesse de croître – 10 millions dans les années 1960 pour atteindre 13 millions à la fin des années 1970 –, la part des personnes jugeant que les syndicats ont trop de pouvoir passe de 62,4% en 1964 à 73,1% en 1970. Ce point particulier aurait mérité d’être creusé par l’auteur et aurait ainsi permis de mieux comprendre le phénomène de lassitude à l’égard des actions syndicales et du peu de soutien dont bénéficieront les mineurs en 1984-1985. Le nombre de syndiqués est trompeur car à cette époque, mais encore aujourd’hui dans certains secteurs, il est impossible de ne pas être syndiqué, même si l’on ne partage pas l’esprit syndical. Les mutations, voire les promotions, étaient et sont encore trop souvent dépendantes de l’adhésion au syndicat. Il n’y a bien évidemment aucune obligation à se syndiquer mais dans les faits il n’y a pas réellement d’autre choix.

Face à cette situation, la nouvelle majorité conservatrice élue en juin 1970 marque sa volonté d’encadrer l’action syndicale et les actes de grève. Une nouvelle loi, la « National Industrial Relation Act », est votée en 1971. La réponse ne se fait pas attendre : le « Trade Union Congress » (TUC), la très puissante confédération des syndicats britanniques, organise une succession de grèves pour s’opposer à cette loi et à son application. Durant les trois ans et demi de son mandat, Edward Heath devra décréter cinq fois l’état d’urgence pour pallier les conséquences des grèves sur la vie des Britanniques. Dans le même temps, la NUM continue son glissement vers la gauche et modifie son propre statut en abaissant à 55% (au lieu des 2/3) la majorité requise pour déclencher une grève nationale.

Dès le mois de novembre 1971, la NUM, sous la direction du modéré Joe Gormley qui a conclu une alliance avec les syndicats du secteur électrique, déclenche une grève des heures supplémentaires ; la NUM demande des augmentations de salaire de 27% en moyenne. Lorsque la grève nationale commence le 9 janvier 1972, soit deux mois après le début de la grève des heures supplémentaires, il ne reste que huit semaines de stock pour la production d’électricité. L’efficacité de cette grève, notamment par l’action coordonnée sur l’ensemble du territoire des piquets volants, amène le gouvernement à décréter l’état d’urgence dès le 9 février et entraîne les premières coupures d’électricité dès le 10 février. La police ne parvient pas à faire face au blocage de centrales thermiques. De plus, l’impact médiatique du blocage du dépôt de coke de Saltley par les mineurs du Yorkshire dirigés par Arthur Scargill est extrêmement préjudiciable au gouvernement et donne à A. Scargill une dimension nationale. Les mineurs sont les maîtres de la situation.

Une commission nommée pour sortir de la crise rend des conclusions qui sont pratiquement un résumé des revendications des mineurs. Ces conclusions sont immédiatement acceptées par le gouvernement alors que la NUM surenchérit et gagne cette dernière manche. Cette victoire exemplaire pour les autres syndicats déclenche la multiplication des grèves. Le premier ministre effectue alors un virage à 180° de sa politique économique. Ce changement de cap politique restera dans les mémoires sous le terme de « U-turn », c'est-à-dire le demi-tour. Cette faiblesse manifeste du gouvernement ne lui facilitera pas les choses. De nouveau en 1973, suite au choc pétrolier et à la hausse de l’inflation qui en résulte, la NUM demande une nouvelle augmentation des salaires. Le refus des propositions faites par le NCB (« National Coal Board », entreprise publique des charbonnages britanniques) débouche sur la grève des heures supplémentaires le 12 novembre. Malgré les coupures d’électricité, le grand public soutient les mineurs et, le 23 janvier 1974, 81% des mineurs votent pour la grève nationale. Il est à noter pour la suite qu’à deux reprises le comité exécutif de la NUM s’est opposé à son président Joe Gormley jugé trop modéré face au NCB et au gouvernement. Le renforcement sur la gauche se confirme. Face au blocage économique, le premier ministre demande la dissolution de la Chambre et a recours à de nouvelles élections. Son slogan de campagne est à cet égard significatif puisqu’il pose la question de manière claire : « Qui gouverne le Royaume-Uni ? ». Le gouvernement sort affaibli de cette élection et Edward Heath donne sa démission. Le gouvernement travailliste qui lui succède donne alors satisfaction aux mineurs. De ce fait, les victoires de 1972 et 1974 donnent l’image d’un syndicat des mineurs puissant. Il devient un acteur médiatique majeur.

Si la situation se traduit pour le parti conservateur par une remise à plat idéologique et l’élection de Margaret Thatcher à sa tête, la situation ne s’améliore pas pour le pays. Le Royaume-Uni connaît de graves difficultés et doit recourir à l’aide du FMI qui pose ses conditions. En 1976, Harold Wilson démissionne au profit de James Callaghan qui commence à remettre en cause l’orthodoxie travailliste dominante. En 1978, le gouvernement veut limiter les augmentations salariales, c’est alors le début de grèves en cascade qui aboutiront à « l’hiver du mécontentement » (« Winter of discontent »). Cette grève générale, débutée en octobre 1978, se prolongera jusqu’à mars 1979. Ce même mois, suite à une motion de défiance votée contre son gouvernement, James Callaghan demande l’organisation de nouvelles élections. Ces élections sont remportées par les conservateurs qui accèdent au pouvoir le 3 mai 1979. A ce moment, 81,1% des Britanniques pensent que les syndicats ont trop de pouvoir ; seulement 20% d’entre eux pensent que les syndicats sont une bonne chose pour le pays ; ils font même figure de principal responsable de la médiocrité de la performance économique britannique.

Les premières années du gouvernement de Margaret Thatcher sont extrêmement difficiles. Le second choc pétrolier vient d’avoir lieu et le gouvernement souhaite mettre en place une politique d’équilibre financier. Pour l’industrie charbonnière ceci se traduit par le « Coal Industry Act » de 1980 qui prévoit la fermeture de puits par le NCB. Immédiatement, la NUM a recours à la grève. Le gouvernement recule car il estime ne pas être en mesure de gagner. Le retrait du plan est effectif le 18 février 1980. L’année suivante, en décembre 1981, la NUM achève son glissement vers la gauche par l’élection d’Arthur Scargill à sa présidence. Margaret Thatcher est alors convaincue de l’affrontement à venir. En préparation de la crise, trois domaines principaux sont considérés : la politique énergétique, la police et l’ordre public, le droit syndical.

Il est décidé d’augmenter les stocks de charbon au sein même des centrales électriques ainsi que celui des produits complémentaires nécessaires. De nombreux sites passent en mode dual fioul-charbon. Un plan de recours à la route plutôt qu’au train est élaboré. L’augmentation des forces de police et la création d’un centre de coordination national (« National Reporting Centre ») accompagnent ce plan. Est également mise en place une supervision des syndicats par les services de renseignement.

Sur le plan juridique une transformation du droit de grève et des relations du travail est entreprise, il s’agit de l’Employment Act de 1982. Il donne lieu à une limitation du « picketing ». Sont déclarés illégaux les « secondary picketings » (sont ici visés les piquets volants) et les grèves de solidarité. Il est également mis fin à l’immunité juridique des syndicats en tant que personnes morales si les dommages sont liés à une activité illégale. Il est maintenant possible de s’attaquer aux finances des syndicats. Une loi sur les syndicats de 1984 (« Trade Union Act ») imposant un vote majoritaire à bulletins secrets complète le dispositif. De même est adapté le régime des prestations sociales. L’ensemble est bien accueilli par le public. Par ailleurs, le gouvernement est conscient qu’il existe des divisions entre les mineurs car les politiques sont différentes d’une Union régionale à l’autre en raison de leur situation économique.

En 1983, suite à la guerre des Malouines, à la division de la gauche et à son programme jugé « radical et naïf », le parti conservateur remporte les élections avec une majorité absolue. La NUM manifeste très vite un raidissement face à ce nouveau gouvernement conservateur.

Dans le cadre de la politique d’équilibre financier Ian MacGregor, nouveau directeur du NCB, propose, en novembre 1983, la fermeture de 10% des puits. Rappelons que le NCB bénéficie de 40% de l’ensemble des subventions aux entreprises publiques.

Une grève des heures supplémentaires est alors déclenchée par la NUM. La grève nationale va suivre. L’auteur, comme d’ailleurs certains politiques de l’époque, s’interroge sur le caractère prémédité de la grève, une grève qui apparaît de plus en plus politique. En effet, dès le 9 mars 1984, la NUM transfère 8,5 millions de livres à une banque de l’Ile de Man. Le jour précédent, le comité exécutif a voté, par 21 voix pour et 3 voix contre, pour un lancement de la grève sans recourir au vote national des mineurs. La grève nationale se fait par une combinaison de grèves régionales. C’est un précédent majeur. Plusieurs Unions régionales s’y opposent. Un chantage à l’action des piquets est utilisé pour pousser les mineurs gallois à la grève. Il est une réussite : 10.000 piquets volants mènent une offensive foudroyante. Quarante-huit heures après le début officiel de la grève (le 12 mars), 11 puits sur 165 fonctionnent normalement. La méthode ne plaît pas à tous et, le 17 mars, les mineurs du Nottinghamshire, des Midlands, du Northeast et du Northwest votent massivement contre la grève.

Pour gérer cette opposition entre grévistes et non-grévistes, M. Thatcher et Leon Brittan, ministre de l’Intérieur, poussent la police à faire appliquer la loi. Les forces de police vont donc jouer un rôle crucial pour empêcher la NUM d’interrompre totalement la production de charbon. De plus, l’utilisation de la violence contre les mineurs non-grévistes du Nottinghamshire par des piquets volants a creusé un fossé entre les mineurs et se traduit par une perte de l’efficacité de ces piquets volants. Désormais, la grève va se prolonger dans les plus mauvaises conditions pour les grévistes. Le refus de recourir à un vote national pour le lancement de la grève prive la NUM du soutien du parti travailliste, du soutien des autres syndicats et du soutien moral de la population. Le gouvernement poursuit son action et des actions pénales sont menées contre des Unions régionales et contre des mineurs. Non seulement les amendes sont nombreuses mais 200 mineurs sont même condamnés à des peines de prison. La situation financière de plus en plus critique pour beaucoup d’entre eux, qui s’attendaient à une grève rapide et victorieuse comme les précédentes, pousse certains à retourner au travail.

Cette politique volontaire de la part du gouvernement, qui laisse toutefois le NCB en première ligne pour gérer le conflit, s’accompagne d’une efficace campagne de communication menée par le ministre de l’Energie Peter Walker. Non seulement l’absence de vote national et les violences desservent la NUM mais les relations que son dirigeant entretient avec la presse sont tendues. Certains journalistes subissent des attaques verbales de la part de militants. La révélation de l’aide financière reçue par la NUM des mineurs d’URSS et de partis communistes étrangers ou de syndicats proches des partis communistes, comme la CGT, achève de discréditer l’action des mineurs aux yeux de l’opinion publique. De plus, la NUM apparaît comme refusant les évolutions que d’autres secteurs ont connues ; de ce fait, les syndicats des électriciens et des sidérurgistes ne la soutiennent pas. La grande grève générale n’aura pas lieu. Sur le plan politique, le parti travailliste est paralysé en raison de l’absence de vote, du jusqu’au-boutisme et de la politisation du conflit et d’une extrême gauche qui l’empêche de critiquer ouvertement Arthur Scargill.

Cependant, alors que la situation paraît bloquée et sans espoir pour les mineurs, un élément secondaire pourrait tout faire basculer. La NACODS (National Association of Colliery Overmen, Deputies and Shotfirers) qui regroupe les agents chargés de la sécurité et de l’entretien des puits de mine – dont la présence est obligatoire dans les mines en vertu des règles de santé et de sécurité – menace de faire grève suite à une maladresse de Ian MacGregor, dirigeant du NCB. Celui-ci a menacé ces agents de ne pas être payés s’ils ne franchissaient pas les piquets de grève. Peter MacNesty, secrétaire général de la NACODS, qui a déjà tenté sans succès de déclencher une grève, saisit cette occasion et obtient cette fois un vote favorable. Sans la présence de ces agents et compte tenu des règles de sécurité, les derniers puits encore en fonctionnement devront donc fermer. C’est maintenant le NCB et le gouvernement qui se retrouvent dans une situation critique. Le gouvernement mesure immédiatement l’impact d’une telle grève et demande au NCB d’entrer immédiatement en négociation avec la NACODS. La NACODS se retrouve alors dans un rôle d’intermédiaire entre le NCB et la NUM. Le NCB finit par céder sur tous les points importants. Le représentant de la NACODS est prêt à signer un accord. Le représentant du TUC demande que cet accord ne soit pas signé sans la NUM, ce qui signifierait sa victoire face au gouvernement. Mais, dans son entêtement, A. Scargill refuse tout accord car il ne fait aucune référence au « plan pour le charbon ». Il laisse ainsi passer la dernière occasion pour la NUM de sortir du conflit la tête haute. Notons toutefois que le NCB et donc le gouvernement avaient reculé et qu’il n’a tenu qu’à la faute d’Arthur Scargill que le gouvernement ne perde la face.

Après cet épisode, la situation est de nouveau bloquée et la grève apparaît stratégiquement perdue à partir de novembre 1984. La NUM perd de plus en plus de crédit, d’autant que des liens entre certains de ses membres et la Libye sont avérés. Les reprises de travail se multiplient et les médias s’en font l’écho. La stratégie judiciaire s’intensifie et les premières critiques contre A. Scargill de la part de dirigeants syndicaux importants ou de politiques sont prononcées ouvertement. La dernière bataille, la bataille défensive pour le retour au travail, sera perdue. Les mineurs de Galles du Sud, qui avaient été l’un des principaux piliers de la grève, décident de reprendre le travail sans négocier avec le NCB.

Le 5 mars 1985 la grève est finie.

La presse, tant britannique qu’internationale, consacre la victoire de Margaret Thatcher sur le mouvement syndical. L’impact financier de la grève est énorme : le montant généralement admis est de 6 milliards de livres (20 milliards d’euros 2007), les conséquences pour le NCB le sont tout autant. La production ne remontera jamais au-dessus de 100 millions de tonnes et des clients stratégiques sont définitivement perdus.

Au cours des années suivantes les réductions d’effectifs et les fermetures de puits vont s’accélérer. Au début de la grève en mars 1984, 170 puits étaient en fonctionnement et employaient environ 200.000 mineurs. Entre 1985 et 1992 140 puits sont fermés et les effectifs sont réduits de 100.000. En 1992, 30.000 emplois sont à nouveau supprimés et 31 sites fermés ; ne restent alors que 19 puits en fonctionnement ; ils ne seront plus que 15 en 1994, dix ans après le début de la grève.

En 1875, le Royaume-Uni représentait 75% de la production mondiale de charbon. Il n’en représente aujourd’hui que 0,5%. Le charbon reste cependant une industrie encore importante dans le monde et connaît une demande en hausse de 3% par an. 60% des volumes extraits alimentent des centrales thermiques mais cette énergie est polluante, ce qui constitue un inconvénient majeur dans le monde d’aujourd’hui.

Le Royaume-Uni s’est tourné vers une nouvelle forme d’économie où les services tendent à remplacer l’industrie. Le pays est plus dynamique, connaît une forte croissance et une baisse significative du chômage. Le reflux des syndicats à partir des années 1980 s’est traduit par une chute du nombre d’adhérents et un recul des négociations collectives. Pour sa part, le parti travailliste s’est démarqué de son extrême gauche et a amorcé un recentrage que Tony Blair, arrivé à la tête du parti en 1994, accentuera encore.

La situation économique actuelle du Royaume-Uni est une des meilleures d’Europe et tout le monde s’accorde pour reconnaître le rôle majeur de Margaret Thatcher et de ses gouvernements dans cette réussite. Tony Blair lui-même, alors premier ministre, n’a pas remis en cause les « acquis » du « thatcherisme ».

La victoire sur la NUM, et donc le choix de société que cela impliquait, était le prélude nécessaire à cette évolution. Pierre-François Gouiffès a su analyser et décrire de façon claire les mécanismes de ce conflit exemplaire. Une présentation des protagonistes avant l’analyse du conflit aurait toutefois permis de mieux comprendre leurs comportements et leurs motivations. Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage doit être lu par tous ceux qui souhaitent comprendre comment Margaret Thatcher a pu sortir victorieuse de ce conflit pour pouvoir s’en inspirer dans des situations similaires. Comme le rappelle l’auteur à juste raison, il ne s’agit pas de copier Margaret Thatcher mais de tirer les leçons de son expérience en s’attachant à la préparation du gouvernement et en faisant preuve de pragmatisme dans l’action.

Bruno Odier Cenat de l’Herm
© Polémia
14/04/08

Pierre-François Gouiffès, « Margaret Thatcher face aux mineurs / 1972-1985 : treize années qui ont changé l'Angleterre », éd. Privat, 2007, 363 p., 18,05 euros.

Archives Polemia