Portrait : Le cas BHL ou comment fonctionne l’idéologie dominante

samedi 17 novembre 2007
Il y a deux lectures possibles du phénomène Bernard-Henri Lévy (BHL).
Une interprétation légère ironisera sur les fantaisies du dandy médiatique. Une lecture plus sévère décrira l’homme de pouvoir et de réseaux. C’est ce que font les journalistes Nicolas Beau et Olivier Tocser dans leur pamphlet sur « Une imposture française ». Mais BHL n’est pas seulement cela. Par son importance dans l’élaboration et l’imposition dans les esprits de l’idéologie dominante des trente dernières années, il est l’acteur majeur de l’imposture antifrançaise.

Explications :

1. Le dandy médiatique

L’affaire est entendue pour les auteurs d’une « imposture française » : BHL est un « dandy médiatique » (p. 14), « c’est le plus beau décolleté de Paris » (Angelo Rinaldi) grâce à un excellent faiseur qu’il partage avec Charles Pasqua, Jack Lang et Yves Saint-Laurent et qui lui fournit des chemises pour la bagatelle de 350 € (p. 18). « Il borde son personnage comme un lit d’appelé » (Philippe Lançon, p. 38). C’est un « Afghan de papier » (p. 46) qui travaille à coups de SAM, Société d’admiration mutuelle (p. 48), promouvant les films de sa femme, Arielle Dombasle, et les siens pour le plus grand malheur du contribuable : ainsi pour « Le jour et la nuit », film pour lequel le critique Pierre Billard (p. 126) voyait « John Huston et Visconti réunis », il n’y eut, en 1997, que 70 000 spectateurs, ce qui revint à… 110 € de subventions par spectateur.

Tout ceci serait finalement drôle et bénin si « ses innombrables relations dans le monde des affaires n’avaient fait de lui un intouchable (…), l’écrivain est devenu l’arbitre des élégances de la presse et des médias en France, distribuant les bons points et écoutant les mal pensants » (p. 17). Ici le dandy médiatique se mue en chien de garde de l’idéologie dominante.

2. Chien de garde de l’idéologie dominante

Avec l’ « Idéologie française », publié chez Grasset en 1981, BHL fonde la démarche de culpabilisation permanente de la France, puisque toutes ses gloires intellectuelles – Voltaire, Gobineau, Péguy, Maulnier… et même Jean Jaurès – y sont présentées comme « préfascistes » et traînées au banc d’infamie. C’est aussi l’exaltation des valeurs universelles et éternelles de « l’homme abstrait » et le dénigrement de « ces peuples d’autochtones enchaînés à leurs collines, enchaînés à leur clocher » (p. 212) et même la haine lyrique de la France charnelle : « Qu’y a-t-il de plus imbécile, de plus bêtement obscurantiste qu’un nationaliste qui, dans les œuvres de l’esprit, dans un livre ou dans une toile, s’attache à retrouver la trace d’un hypothétique génie français ? C’est un régionaliste qui dans les même œuvres de l’esprit, dans le même livre ou la même toile, ne hume plus que les parfums de Lorraine, des grasses terres de Beauce ou des embruns bretons » (p. 214).

C’est dans cette même logique antifrançaise que BHL créera le mensuel (à l’époque) branché, GLOBE, dont le manifeste de présentation du premier numéro s’ouvre ainsi : « Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, bérets, bourrées, binious – bref franchouillard ou cocardier – nous est étranger voire odieux. »

Dans la foulée de cette dévalorisation de l’image nationale, BHL sera à la pointe de la mise en avant de l’idéologie antiraciste que son ancien compagnon de route Alain Finkielkraut qualifie aujourd’hui de « communisme du XXIe siècle ».

Il devint ainsi l’un des pères fondateurs de SOS-Racisme dont Harlem Désir a ainsi décrit le lancement dans son ouvrage « Touche pas à mon pote » (Grasset, 1985) : « Bernard-Henri Lévy nous a ouvert les portes que nous cherchions désespérément à forcer. Là, en une heure au bar du Twickenham, son bar favori, il nous a fait un plan de bataille en or massif. Les célébrités du cinéma, du showbiz, de la politique, du monde intellectuel, il en faisait son affaire. Tous allaient accourir, porter notre badge, soutenir l’association, participer à son combat. Mais il fallait aussi obtenir le soutien des journalistes, les convaincre de faire des portraits de nous, etc. Eblouis, emportés, nous l’écoutions réciter négligemment l’annuaire du Gotha parisien » (p. 49).

Culpabilisation de la France, antiracisme militant sont les deux premiers piliers de l’idéologie béhachélienne ; le troisième c’est l’alignement – au nom des droits de l’homme – sur les positions de la puissance américaine, ce qui a conduit BHL à soutenir les guerres de l’OTAN, notamment contre la Serbie. C’est la même démarche qui l’a poussé récemment à publier « American Vertigo », ouvrage peu pris au sérieux aux Etats-Unis mais encensé en France et que BHL justifiera par la nécessité de faire reculer l’antiaméricanisme qu’il qualifie de « dernière religion en France ».

Ces engagements valent à BHL un portrait au vitriol par Régis Debray dans « Le B.A.ba du BHL » (La Découverte, 2004) : « Nous avons les divas que nous méritons. Le fric, l’image et le lieu commun sont les trois pilotis de notre système social. BHL réussit la synthèse. Il mérite sa place. »

3. Le fric, l’image et le lieu commun

La formule de Régis Debray mérite qu’on s’y attarde. L’analyse des relations et du système BHL montre en effet l’étroite connivence entre les grands milieux d’affaires et l’idéologie politiquement correcte. Dans le n° 9 du mensuel GLOBE de juillet/septembre 1986, BHL écrit : « Ma religion est faite : entre l’Etat et la Bourse je choisis la Bourse. » Les liens de BHL avec la Bourse sont effectivement forts. Nicolas Beau et Olivier Tocser racontent, p. 11 de leur livre, que « Maurice Lévy, puissant patron de Publicis » et « conseiller en lobbying de la moitié des grands patrons du CAC 40 », est intervenu auprès d’eux pour les faire renoncer à leur décision de publication.

Et les projets littéraires, cinématographiques et idéologiques de BHL sont ou ont été puissamment soutenus par trois des grands parrains du capitalisme financier français :

– Jean-Luc Lagardère, ce marchand d’armes devenu éditeur (Grasset) dont BHL fit l’éloge funèbre ;
– Claude Bébéar, patron d’AXA, éminence grise du patronat français, promoteur à travers l’Institut Montaigne de la mise en œuvre de la « discrimination positive » dans les entreprises ; lui aussi lié à BHL à travers les surgelés Picard (ça ne s’invente pas) dont ils sont l’un et l’autre détenteurs de 4 % de parts des actionnaires de référence ;
– et surtout François Pinault, le Bernard Tapie du bois exotique, le collectionneur d’ « art minimal » qui a racheté à la famille de BHL la BECOB (société d’exploitation de bois exotique) pour 730 millions de francs en 1992, François Pinault à propos duquel BHL déclare : « Pour réaliser mon premier film “Bosna” (1994) c’est vrai qu’il m’a aidé (…) lorsque SOS-Racisme a un gros problème de fric, je vais voir François Pinault. Je lui dis qu’il faut aider » (cité p. 77 de « Une imposture française »).

Le cas BHL illustre donc parfaitement les relations entre le capital dominant et l’idéologie dominante. Plusieurs interprétations de ce fait sont possibles. D’abord, le capital, qui a la planète pour marché, peut trouver intérêt à développer l’idéologie d’un monde sans frontières. Mais cette vision quasi marxiste n’est pas forcément la seule à retenir. En aidant l’idéologie dominante, les patrons d’influence peuvent aussi être dans une logique de troc au service de leurs propres intérêts particuliers : apporter des moyens aux faiseurs d’opinion et en retirer un gain en terme d’image pour eux-mêmes et leurs entreprises ; gain d’image d’autant plus nécessaire quand il s’agit d’un marchand d’armes, d’un exploitant de bois tropicaux et d’un assureur dont le métier est la discrimination des risques. Il y a sans doute là une des clés du système : une puissance financière n’achète pas des médias pour changer leur orientation mais pour lisser son image personnelle au regard de l’orientation dominante.

Ainsi la finance se met au service de l’idéologie dominante pendant que l’idéologie dominante sert la finance.

4. BHL, la politique et les affaires

Une fonction résume mieux que toutes les autres la position charnière entre la politique et les affaires de BHL : celle de président de l’association des Amis de Marrakech. Dans cette capitale culturelle et touristique du Maroc – premier producteur de cannabis du monde – se retrouvent tous ceux qui comptent en France. Et BHL y rencontre des soutiens aussi bien à gauche qu’à droite. En 1985/86 il participe à la campagne de GLOBE « Tonton, laisse pas béton » et recevra en 1992 l’aide du Crédit Lyonnais et d’Elf Aquitaine international, présidé depuis Genève par Alfred Sirven, pour transformer son mensuel en hebdomadaire. Il sera à la même époque président de la commission d’avances sur recettes du cinéma, poste où il a été nommé en 1991 par Jack Lang. Ce qui ne l’empêchera pas de devenir en 1993 – cette fois sur la proposition d’Alain Carignon – président du conseil de surveillance d’Arte.

Et Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée, n’hésita pas à le comparer au Christ après l’échec de son film en 1997 !

On croise aussi dans les parages de BHL, Alain Minc, le président-bailleur de fonds de l’association des lecteurs du « Monde » mais aussi Jean-François Kahn qui occupe dans « Marianne » le créneau du politiquement incorrect dans les limites que permettent la décence et les soutiens financiers reçus…

Ainsi BHL n’est pas seulement le « philosophe enseigné dans aucune université, journaliste mêlant le vrai et le totalement faux, cinéaste de raccroc, écrivain sans vrai œuvre littéraire, (ni) l’icône d’une société des médias où la simple apparence pèse infiniment plus que le fond des choses » (p. 203/4) ; BHL est aussi et surtout l’homme charnière de l’idéologie et des médias dominants.

Andrea Massari
© Polémia
02/06/06
Archives Polemia