Culpabilisation autochtone et immigration musulmane

samedi 1 mars 2003
L'époque contemporaine étant marquée par une rapide afro-islamisation du Vieux Continent, on ne peut écarter l'hypothèse d'une géopolitique des mouvements migratoires ayant des populations musulmanes pour vecteur. D'autant que l'histoire de l'Islam est intimement liée à celle des phénomènes migratoires de populations musulmanes en terre non-musulmane et aux acteurs qui les ont favorisés.

Cette hypothèse supposerait que le monde musulman y trouve un intérêt et que, pour des raisons diverses, certaines minorités hexagonales influentes en tirent elles aussi des bénéfices.

Dans le cadre d'un tel "cahier des charges", il est possible d'imaginer une idéologie dans laquelle fonceraient tête baissée des populations occidentales abêties par une surmédiatisation crétinisante. On pourrait aussi percevoir l'utilisation anesthésiante d'un humanisme d'essence grecque et chrétienne retourné contre ceux qui s'en réclament les héritiers.

L'intérêt du monde musulman pour les actuels phénomènes migratoires tombe sous le sens. Tout comme hier, l'ancienne Chrétienté est riche et opulente.
On imagine mal comment l'Islam pourrait refuser cette belle pomme dans laquelle il peut croquer avec avidité. En revanche, le profit que d'éventuelles minorités hexagonales influentes pourraient en tirer apparaît moins évident. Comment des nantis pourraient-ils en effet favoriser la razzia sans un jour ou l'autre en subir certaines retombées ?

Il faut cependant savoir qu'en géopolitique toutes les hypothèses sont possibles, puis se souvenir d'une évidence : l'actuelle société française, héritière de plus de deux mille ans d'histoire, ne possède pas que des admirateurs. Sa culture essentiellement catholique et gréco-romaine est exposée, de par sa nature même, à des haines récurrentes et tenaces inscrites dans une histoire fort longue. Les anciennes inimitiés contre Athènes, Rome, puis Byzance perdurent encore de nos jours. Le catholicisme, tout comme l'orthodoxie sont probablement encore moins bien loties. Il ne manque pas d'énergies toutes disposées à les abattre, sinon à les combattre.

Certes, l'idée d'une France soumise à la domination d'autres puissances entre en contradiction avec nos susceptibilités nationales. Nombreux sont ceux qui préfèrent aujourd'hui imaginer une France souveraine, maîtresse de son avenir et capable de réguler la composition de sa population. La réalité pourrait bien être tout autre : l'hypothèse d'un territoire hexagonal devenu comme beaucoup d'autres avant lui, l'un des terrains de "jeu" des autres, et plus particulièrement celui de l'islam, n'est certainement plus à rejeter.

Dans l'hypothèse d'une géopolitique musulmane utilisant les migrations comme facteur d'islamisation, les populations musulmanes devraient logiquement être appelées à jouer un rôle actif. L'actuel phénomène des violences et insécurités urbaines et scolaires pourraient fort bien lui être intégré. Il n'y aurait donc pas absence de repères dans l'esprit des "jeunes", comme les "spécialistes" de la question s'en sont eux-mêmes persuadés, mais au contraire un repère très clair, un but à atteindre, celui d'une future société française à domination musulmane. Le phénomène dit "des banlieues" constituerait l'un des moyens d'y parvenir. Il serait l'une des manifestations de cette "pression musulmane" ou "solidarité musulmane" décrite un peu partout à la surface de la planète et qui est un facteur essentiel dans le processus d'islamisation des sociétés non-musulmanes à travers l'histoire. Comme dans une ruche, chacun y travaille sans nécessairement savoir quel est le véritable rôle du voisin ni quel est l'exact cheminement des évènements qui conduiront au but recherché.

La démarche intellectuelle qui consiste à étudier de telles hypothèses ne suppose ni xénophobie ni racisme mais, au contraire, souplesse de raisonnement et flexibilité d'esprit. Il est essentiel en effet de se désolidariser des modes de pensée occidentaux pour se positionner en lieu et place de l'autre, c'est-à-dire de l'immigré afro-musulman, mais également en lieu et place de l'hindouiste d'Inde, de Java ou de Bali, du bouddhiste de Thaïlande ou du Sri Lanka, ou bien du chrétien de Madagascar ou des Philippines, les uns et les autres observant l'évolution de l'interface Islam/non-Islam dans leurs propres pays.

Il est également nécessaire d'avoir une bonne connaissance de l'actuel phénomène des violences et insécurités urbaines et scolaires (sur le terrain et non dans le confort des bureaux). Enfin, et surtout, il est impératif d'accepter d'avancer de nouvelles hypothèses pouvant aller à l'encontre de ses propres convictions et d'en accepter l'inconfort intellectuel.

Nous autres Français n'avons jamais été familiarisés qu'avec un seul type de clivage politique et sociologique, droite/gauche, héritier de notre Révolution. En conséquence, nous avons pris la fâcheuse habitude de tout observer à travers cette grille de pensée. Par ailleurs, l'universalité supposée des idéaux révolutionnaires nous a persuadés qu'une telle vision du monde était partagée par tous, alors qu'à l'évidence elle ne l'est pas. Il suffit de passer la Manche pour constater que la bipolarité de nos voisins anglais n'est déjà pas superposable à la nôtre. Pour ne rien arranger, la propagation, à partir du XIXème siècle, du libéralisme économique et du marxisme a partagé notre monde en deux parties bien distinctes, les riches et les pauvres, les exploiteurs et les exploités. Ces deux visions du monde ont un point commun, celui du seul prisme de l'économie.

Dans le domaine de l'information, nos sources ne sont, elles aussi, que le reflet d'un prisme caricatural. Elles ne font que traduire le monde dans une langue que nous, petits Français, sommes capables d'entendre et que nos médias sont capables de transmettre. Elles ne s'expriment que dans un vocabulaire correspondant aux concepts que notre propre histoire a forgés et intégrés dans nos cerveaux. Nos sources incapables de prononcer des mots traduisant les concepts des autres. Elles sont tout aussi incapables d'évoquer des notions psycho-affectives telles que le désir, la convoitise, la jalousie, la vengeance et la haine, tous sentiments bien trop humains pour tenir dans le fourre-tout dogmatique de la causalité économique, mais parfaitement capables de mobiliser les foules sur le moyen ou le très long terme. Dans les faits, nous sommes donc persuadés que notre "monde de la communication" est apte à nous ouvrir sur le monde réel, alors qu'il ne perçoit que ce qu'il est capable de percevoir au travers de l'étroitesse de son champ conceptuel et de son univers sémantique.

Pour prétendre saisir la réalité d'une France qui se "mondialise", peut-être faudrait-il commencer par s'initier à d'autres manières de voir le monde afin de parvenir à mieux le comprendre.

Ainsi, on peut concevoir qu'en France, comme dans le reste du monde existent des groupes de réflexion et de pouvoir qui expriment un large éventail de sentiments et de ressentiments de nature psycho-affective, idéologique, culturelle, religieuse vis-à-vis de la France et de ses autochtones, qui échappent à notre univers conceptuel. On imagine par conséquent certains d'entre eux bien peu fâchés de constater la réalisation sur le territoire français d'une besogne qu'ils appellent de tous leurs voeux mais dont ils ne peuvent se charger personnellement et officiellement. Quelle subtile vengeance en effet que de constater jour après jour que le "petit blanc" se terre au coeur de quartiers sensibles qui ne cessent de s'étendre !

On ne peut en effet que prendre acte de l'inquiétude grandissante, voire la crainte, qui s'installe progressivement au sein des populations autochtones des quartiers "sensibles" et de leurs marges. On ne peut pas non plus nier que cette crainte soit générée ou majorée par un quasi-sentiment d'impuissance dont la principale composante semble de nature morale et psychologique.

Si l'autochtone ne réagit plus, ce n'est peut-être pas seulement par passivité naturelle ou par méconnaissance d'un type de violence qui lui est étranger. Son apparente inaction peut s'expliquer par une très forte pression morale : la perpétuelle et lancinante crainte d'une accusation de racisme. On ne peut en effet nier qu'aujourd'hui, du plus bas au plus haut de la pyramide des responsabilités, chacun craigne le regard de l'autre et l'éventuelle révélation d'une quelconque pensée de nature raciste.

Dans les faits, il s'est progressivement installé un étouffant climat de délation larvée dont la traduction pratique est d'un côté une absence quasi totale de réactivité et de l'autre, la curée.

Tandis que l'accusation de racisme envers les autochtones est omniprésente, les urgences des hôpitaux de France et de Navarre attirent l'attention sur les conséquences d'agressions dont sont de plus en plus fréquemment victimes, depuis le milieu des années 1980, ces mêmes autochtones. Ceci est l'exacte réalité de "la banlieue au jour le jour", mais ne rentre pas dans la grille d'observation de l'idéologie dominante. Dans celle-ci, l'autochtone se doit d'être un bourreau et le non-autochtone, une victime. L'inverse ne peut entrer dans la programmation des circuits de "l'information".

Le concept n'existant pas dans le disque dur du monde politico-médiatique, les mots pour le dire n'apparaissent pas sur les écrans et se retrouvent absents de l'univers sémantique des masses. Pis, toute tentative d'utilisation d'une autre grille d'observation a fait systématiquement l'objet d'une culpabilisation destinée à la rendre inopérante.

Le racisme à la mode politico-médiatique étant unilatéral, la réalité du terrain se retrouve ainsi absente de l'univers sémantique collectif. L'univers médiatique ayant remplacé Dieu le Père, ce qui n'est pas dit "à la télé" n'existe pas. L'autochtone ne le formule souvent plus. Il n'a plus les mots pour le dire car les médias ne l'expriment pas. N'ayant plus les mots, il ne possède pas les concepts.

Ce phénomène est particulièrement visible chez les jeunes autochtones.
Pourtant victimes depuis des années de paroles et d'actes parfaitement assimilables à du racisme à l'état pur, ils ne le formulent que très difficilement, en très petits comités, voire dans l'intimité d'un entretien (par exemple sous la protection du milieu médical) lorsque la confiance s'est installée, et à l'abri du secret. Avec les mots viennent les concepts ainsi que l'angoisse de la réalité qu'il convient souvent de se dépêcher d'évacuer au plus vite pour éviter le cauchemar d'un monde où ils sont censés vivre s'ils ne peuvent le fuir.

Il faut noter au passage qu'il y a refus, dans la quasi-totalité des cas, de témoigner hors secret d'arcane. L'éventuelle médiatisation fait terriblement peur. La crainte, au mieux du jugement négatif de l'autochtone, au pire des représailles du non-autochtone, est le principal moteur de l'absence d'expression officielle. Cela en dit long sur la véracité de l'information que l'on nous diffuse. Cela en dit également long sur l'importance du fossé qui s'est creusé entre le monde réel et le monde virtuel que les médias nous content.

Comme les écrits journalistiques représentent une part importante du matériel sur lequel travaillent sociologues et historiens, on imagine aisément ce qui peut se dégager de travaux construits à partir de données erronées. Par un prévisible retournement de situation, l'information échappe à ceux qui sont censés la recueillir et la transmettre. Il ne subsiste qu'une réalité tronquée en rapport avec le prisme que les médias ont eux-mêmes contribué à mettre en place.

L'a priori de culpabilité de l'autochtone (chrétien ou laïque) est ainsi devenu le point de départ de toute observation de l'interface afro-musulman/autochtone. Aussi, en pratique, ce dernier se sent-il constamment obligé de faire acte de repentance et de s'excuser d'exister (tout comme d'être capable d'émettre une quelconque pensée) avant de proposer un modeste avis sur les évènements qui émaillent sa vie quotidienne. La crainte de s'exprimer est ainsi devenue la normalité de toute une société. Cela en dit long sur l'efficacité du travail de culpabilisation qui a été mené depuis près d'un demi-siècle.

Bien sûr, d'autres s'expriment, les représentants du monde médiatique tout comme ceux du spectacle, par exemple. En le faisant, ils ne font que mettre en scène le petit univers restreint d'une nouvelle caste qui s'autosatisfait et s'autocongratule, se donnant bonne conscience à peu de frais, grâce aux "restos du coeur" et autres pseudo-bienfaisances qui cachent mal des revenus exhorbitants.

L'importance de leur patrimoine comparé à celui de ceux qui les font vivre est l'exacte traduction du fossé qui ne cesse de se creuser entre la réalité quotidienne et le monde qu'ils se plaisent à imaginer.

Si le "petit blanc" se terre, si un peu partout et chaque jour plus que la veille il n'ose plus s'opposer aux provocations, aux agressions, aux viols, voire aux meurtres, ce n'est peut-être pas uniquement en raison d'un individualisme occidental rapidement et trop souvent mis en avant. C'est peut-être aussi parce qu'on lui a progressivement enseigné la honte de lui-même et de son passé.

Dans le "Sanglot de l'homme blanc" (Le Seuil, 1983), Pascal Bruckner le soulignait déjà. C'était il y a bientôt vingt ans : "À priori, en effet, pèse sur tout Occidental une présomption de crime. Nous autres, Européens, avons été élevés dans la haine de nous-mêmes, dans la certitude qu'il y avait au sein de notre monde un mal essentiel qui exigeait vengeance sans espoir de rémission". Jour après jour et depuis un demi-siècle, une idéologie de la repentance s'est répandue de cercles d'intellectuels restreints à certains partis politiques, avant de devenir le discours quasi quotidien du monde étouffant de la "communication". Cette idéologie a tellement pénétré les consciences que rares sont aujourd'hui les propos qui se démarquent clairement d'associations sémantiques telles que Blanc/raciste, chrétien/antisémite, Occidental/colonialiste, Français/fasciste.

Aussi peut-on avancer le concept d'un phénomène culturel ayant pour caractéristique de mettre depuis un quart de siècle l'autochtone en position d'accusé face à des populations afro-musulmanes qu'il est supposé accueillir dans les meilleurs conditions matérielles mais aussi morales et psychologiques.

Comment ce produit de l'agitation neutronale d'une minorité a-t-il pu devenir le crédo d'une époque ? Comment a-t-on réussi à réduire à néant, ou tout du moins à bien peu de chose, l'esprit critique, le réflexe de protection ou de conservation de presque tout un peuple ? Comment l'hypothèse de son association avec la réalité d'une afro-islamisation de la France a-t-elle bien pu ne jamais être évoquée ? Se repentir, c'est ainsi accueillir toujours plus et, pour toujours mieux accueillir, doit-on toujours plus se repentir ? C'est une "immigration de repentance".

La France est ainsi devenue le terrain d'expression de toutes les revanches. Revanche de l'Islam contre la Chrétienté, revanche des colonisés contre les colonisateurs, revanche de l'Afrique contre l'Europe, revanche du tiers monde contre l'Occident, revanche des Arabo-Andalous contre l'Eglise catholique et romaine... Le Français de ce début de siècle est un repentant tous azimuts. Il imagine avec peine comment il pourrait exister sur cette terre des individus plus méprisables que lui-même. Cette accusation s'est totalement intégrée au discours politico-médiatique jusqu'à devenir l'un des fondements du politiquement correct version française. Une accusation sans appel, une interdiction de toute défense dans l'attente de la sentence.

La prise de conscience de cette axiomisation, son étude et sa description ne sont pas dissociables d'une approche globale des rapports Islam/non-Islam, tout au long de l'histoire et à la surface du globe. Cette approche se heurte à trois obstacles majeurs. D'une part, le manque d'intérêt des historiens pour l'histoire mondiale. D'autre part, le manque d'avancement des études sur ce que l'Occident considère comme son "Orient". Enfin, le manque d'intérêt des Occidentaux pour tout ce qui est extérieur à leur propre civilisation. Si l'on fait exception de cercles très restreints, les rapports de l'islam avec le judaïsme, tout comme avec l'hindouisme ou le bouddhisme, dans l'histoire longue, sont totalement méconnus.

L'actualité internationale non occidentale ne peut donc être commentée qu'au travers d'un prisme contemporain, essentiellement dominé par l'économie et par la bipolarité droite/gauche, donc bien éloigné des réalités locales. Par un effet boomerang, ce prisme d'observation entre en résonance avec l'analyse de ce qui se produit en France entre les différentes communautés, et interdit toute prise de conscience de la réalité d'une géopolitique des phénomènes migratoires sur le sol européen. Elle ne peut être réalisée sans la prise de conscience d'univers conceptuels différents des nôtres. Une partie du jeu qui se joue aujourd'hui en Europe occidentale et plus particulièrement en France n'est, de manière indirecte, que le produit de notre incapacité à imaginer d'autres concepts que ceux qui constituent les fondements de notre monde.


Hadrien Dekorte,
SOURCE : La Nouvelle Revue d'Histoire,
n° 4 de janvier-février 2003
Archives Polemia